Nantes Métropole préférera sans doute ne pas fêter le vingtième anniversaire du 18 juin 2004

Aujourd’hui sujet d’inquiétude pour Nantes Métropole et autres collectivités actionnaires de la SPL Le Voyage à Nantes, Les Machines de l’île sont le fruit d’une décision prise le 18 juin 2004. Vingt ans après, à l’expérience, ce 18 juin-là évoque plus Napoléon à Waterloo que le général de Gaulle à Londres.

En 1987, la fermeture des chantiers navals de l’île Sainte-Anne est pour la ville de Nantes un traumatisme financier et plus encore psychologique qui favorise l’élection à la mairie de Jean-Marc Ayrault en 1989. Pour faire du neuf et repartir de l’avant, celui-ci dispose d’un atout exceptionnel : l’emplacement même des chantiers.

À cette époque, dans maintes villes portuaires européennes, la mutation du transport maritime vers des navires géants libère de vastes espaces au bord de l’eau, en général proches du centre-ville. Un rêve d’urbaniste ! Chaque ville réagit à sa manière. Londres confie au secteur privé la construction du luxueux quartier d’affaires de Canary Wharf, qui renforce son leadership européen dans le secteur financier. Hambourg érige la Philarmonie de l’Elbe, l’une des plus prestigieuses salles de concert européennes. Glasgow aménage le Scottish Event Campus, plus grand centre de congrès du Royaume-Uni. Mais la référence explicite, pour Jean-Marc Ayrault, est Bilbao, la grande ville basque, qui réussit à attirer l’implantation européenne du musée d’art moderne Guggenheim. Celui-ci accueillera bientôt un million de visiteurs par an, faisant d’une ville excentrée et sans grand charme une destination touristique majeure.

Miser sur le tourisme n’est pas sans risque : cette activité est volatile en cas de crise économique, sécuritaire, climatique ou sanitaire, comme on l’a vu lors de l’épidémie de covid-19. Jean-Marc Ayrault ne se précipite d’ailleurs pas pour suivre l’exemple basque. Tandis que le Guggenheim ouvre ses portes en 1997, il reste pendant une douzaine d’années comme une poule qui a trouvé un couteau devant les friches de l’île Sainte-Anne. En 2002 enfin, neuf projets d’utilisation du site à des fins de tourisme culturel sont soumis à un cabinet spécialisé, Cultura. Aucun n’est jugé très bon, mais le moins bon, avec 84 points sur un total possible de 270, est… celui des Machines de l’île : la pérennité des machines n’est pas assurée, aucun élément n’est prévu pour susciter la réflexion chez le visiteur, aucune alternative n’existe en cas d’insuffisance de fréquentation, etc. C’est néanmoins ce projet que Jean-Marc Ayrault choisit de proposer au conseil de Nantes Métropole le 18 juin 2004.

Des promesses jamais tenues

Les élus d’opposition sont sceptiques. « On parle de mettre un éléphant sur un lieu qui a un rapport avec l’Atlantique, personnellement, j’aurais préféré autre chose qu’un éléphant », regrette l’un d’eux. Mais, même s’il n’offre guère de déclinaison envisageable, l’éléphant est dans l’air du temps : il sera bientôt la vedette de La Visite du sultan des Indes sur son éléphant à voyager dans le temps, peut-être le spectacle le plus réussi de Royal de Luxe. En vendant à Nantes Métropole une version mécanisée de la machine créée pour la troupe de Jean-Luc Courcoult, François Delarozière et Pierre Orefice gagneront du temps.

Finalement, par 74 voix pour, 8 contre et 20 abstentions, le conseil « approuve le projet de développement d’un équipement touristique appelé « Les Machines de l’île » ». Il repose sur « une implantation et un parcours de différentes « machines extraordinaires » : la Baleine, l’Eléphant, le Monde marin, l’Aérodrome, l’Arbre aux oiseaux, l’Arche, le Carrousel des éléphants ». Ce catalogue présenté au conseil communautaire ne sera jamais entièrement réalisé. Quand Les Machines de l’île ouvrent leurs portes, en 2007, le dossier de presse de Nantes Métropole annonce : « l’Éléphant, le Calamar à rétropropulsion, le Poisson pirate, le Luminaire des grands fonds seront les premières Machines à sortir du Grand Atelier des Nefs ». Mais les trois dernières machines, plus modestes ne sont pas destinées à parcourir l’île de Nantes : elles seront juste exposées dans la Galerie puis intégrées au Carrousel des mondes marins.

Nantes Métropole se lie les mains

Le conseil du 18 juin 2004 assortit sa décision de deux dispositions lourdes de conséquences. D’abord, il prévoit que le projet sera mis en œuvre dans le cadre d’un marché négocié « sans publicité préalable et sans mise en concurrence », comme le permet (mais ne l’impose pas) le code des marchés publics pour une œuvre mettant en jeu une propriété intellectuelle. Ensuite, il désigne comme fournisseurs exclusifs les deux transfuges de Royal de Luxe, car « le projet ne pourrait être réalisé par d’autres artistes, F.Delarozière et P.Orefice ayant déposé leurs droits sur l’oeuvre et disposant ainsi d’un droit d’exclusivité sur leur concept artistique ». Ainsi, la métropole se lie les mains doublement et délibérément, sans même exiger de droits sur une création qui, pourtant, n’a de valeur en pratique que parce qu’elle la réalise. Si Nantes Métropole tient à développer son projet, elle devra le faire aux conditions imposées par les deux créateurs. Elle se prive aussi d’issue de secours : impossible de faire appel à quelqu’un d’autre si jamais ces deux-là perdent leur motivation, leur inspiration ou leur sens des réalités (on voit le résultat avec l’Arbre aux Hérons). Impossible aussi de se tourner vers un nouveau venu plus talentueux ; avec ce genre de principe, entre mille exemples, Florence n’aurait jamais eu son Duomo, confié à Brunelleschi parce que Ghiberti ne savait pas faire.

Sur le plan financier, le procès-verbal du conseil communautaire du 18 juin 2004 en témoigne, l’optimisme règne. Les premières réalisations, Éléphant, branche prototype et galerie, coûteront 4,865 millions d’euros. Il faudra cependant porter ce montant à 6 millions (+ 23 %) un peu plus tard – mais le projet sera financé à 25 % par l’Union européenne au titre du tourisme. Surtout, une étude économique confiée à un cabinet-conseil en ingénierie touristique, Grévin Développement, « montre que l’on peut raisonnablement tabler sur un équilibre d’exploitation » avec un prix moyen du billet d’entrée de 5 euros. En réalité, cet équilibre ne sera jamais atteint, loin de là. Lors de l’ouverture des Machines, en 2007, Nantes Métropole assure encore que les Machines « tendront vers l’équilibre » en 2009. Puis elle se résoudra à acter le déficit permanent, couvert année après année par des subventions. Qu’ils profitent ou pas des Machines de l’île, tous les Métropolitains contribuent chaque année à payer les conséquences de l’erreur commise par Jean-Marc Ayrault et sa majorité métropolitaine le 18 juin 2004.

Sven Jelure

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