Présidé par Johanna Rolland, l’Institut d’études avancées (IEA) peine à retrouver le droit chemin

Quoique publiée au Journal officiel, la manipulation est discrète. Le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, créé par l’IEA de Nantes (présidente : Johanna Rolland) avec de l’argent provenant de subventions publiques, n’a obtenu que des résultats minimes, s’est soustrait pendant deux ans à la dissolution promise et s’est réinventé in fine en organisme de défense des immigrés.

Nantes n’a pas de veine avec ses fonds de dotation (ou réciproquement) créés pour recueillir des fonds auprès de généreux mécènes. On a relaté ici les péripéties tragi-comiques du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, toujours à la recherche de 18 sous pour faire un franc, ou du Fonds de dotation pour le développement culturel, victime collatérale des malversations à l’encontre de la Folle Journée.

Plus discret dans la débine est le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, dernier avatar de la plus intello des fausses bonnes idées héritées de Jean-Marc Ayrault. En 1995, celui-ci s’entiche de sciences humaines ; il crée la Maison des sciences de l’Homme Ange Guépin, vouée à étudier le syndicalisme et les conflits sociaux. En 2003, il installe un « conseil scientifique » chargé d’éclairer les choix de la Communauté urbaine de Nantes mais dont le destin semble avoir été très bref. En 2005, c’est un programme d’accueil de savants étrangers, qui mène en 2009 à une fondation reconnue d’utilité publique, l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes, hébergeant des savants étrangers en résidence. À l’origine de ces quatre initiatives, un même guide spirituel : le juriste Alain Supiot, ex-vedette de la gauche post-soixante-huitarde à la faculté de droit de Nantes. Il est nommé patron de l’IEA.

Pour l’IEA, on ne lésine pas : Nantes bâtit 6.000 m² de bureaux prestigieux entre canal Saint-Félix et pelouse de Marcel-Saupin. « En se dotant de locaux dédiés à la recherche en sciences humaines et sociales, la ville souhaite être repérée comme ville pionnière de la recherche nationale », explique l’IEA. Le bâtiment héberge aussi la Maison des sciences de l’Homme Ange Guépin. L’IEA dispose en outre d’une vingtaine d’appartements de fonction au sommet de la tour voisine, qui domine le confluent de la Loire et de l’Erdre. 

Un gros appétit

La collectivité assure à l’Institut d’études avancées de gros moyens financiers (de l’ordre de 28 millions d’euros en subventions et mises à disposition entre 2008 et 2020). Mais il en voudrait plus  : en 2014, il créé donc le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, dont l’objet est le suivant : 

« participer à la mission reconnue d’utilité publique de l’IEA de Nantes en recevant et en gérant des fonds privés de façon à constituer des chaires de recherche mises en œuvre au sein de l’IEA de Nantes ; intervenir dans le domaine de la recherche scientifique et principalement s’intéresser à l’ouverture de la connaissance de l’homme et de la société à d’autres points de vue que celui de l’Occident. »

À la date de sa création, Alain Supiot a déjà pris la tangente. L’IEA lui a servi de marchepied pour engager vers la cinquantaine une carrière universitaire brillante comme professeur au Collège de France. Un titre prestigieux qui lui permet à l’occasion de proférer des absurdités sans être repris. Il est douteux en revanche que l’IAE apporte grand-chose à Nantes. Jamais il n’acquiert le prestige intellectuel espéré. Les chercheurs étrangers qui y séjournent deviennent rarement de grandes sommités. L’un des plus connus est Massimo Amato, professeur d’histoire économique italien qui a convaincu Jean-Marc Ayrault et Pascal Bolo de s’embarquer dans le projet de monnaie locale SoNantes, avec le résultat qu’on sait…

Après le départ de son fondateur, l’IEA sombre dans les querelles internes et acquiert une réputation de pétaudière, au point que la  chambre régionale des comptes s’en alarme, bien qu’il n’entre pas dans le champ habituel de ses compétences. En décembre 2021, elle établit un rapport gratiné. L’Institut multiplie les anomalies : absence d’évaluation par le ministère de la Recherche, comptabilité « perfectible », non-séparation des tâches financières, nombre de cartes bancaires injustifié, imputations comptables excessives au compte « fournisseur divers », non-application de règles de la commande publique, système d’information « éparpillé », absence de contrôle interne formalisé, subvention de Nantes Métropole votée irrégulièrement en présence de la présidente de la fondation (c’est-à-dire de Johanna Rolland), comptabilité analytique à compléter, achat d’appartement « sur des fonds fléchés qui s’éloigne de l’objectif initial », non remboursement des agents publics mis à disposition, etc. 

Plus de deux ans pour une dissolution

Au passage, la chambre épingle le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, « dont on perçoit difficilement l’utilité » : d’une efficacité presque nulle, il « présente une activité insignifiante et vient en concurrence avec le financement sur fonds privés de la fondation ». La Chambre demande donc sa dissolution. Disciplinée, Johanna Rolland, présidente du conseil d’administration de l’IEA répond le 16 décembre 2021 qu’elle y veillera « dans les plus brefs délais. » Le 27 janvier 2022, le conseil d’administration de l’IEA, décide de dissoudre le fonds de dotation. La décision est aussitôt annoncée par un communiqué de presse.

Fin de cet épisode peu glorieux ? Pas tout à fait. Le Fonds publie le 1er avril 2022 ses comptes 2020/2021, clos au 31 juillet 2021. Ils sont certifiés par un commissaire aux comptes dont le rapport comporte, c’est la loi, une rubrique sur les « Événements significatifs postérieurs à compter de la clôture », c’est-à-dire entre le 31 juillet 2021, date d’arrêté des comptes et le 1er avril 2022, date de leur publication. On imaginerait donc y trouver mention  des critiques de la chambre régionale des comptes, de la promesse de Johanna Rolland et surtout de la dissolution du fonds ! Que pourrait-on imaginer de plus « significatif » ? Or il n’en est rien dit…

Ce n’est pas une simple étourderie. Malgré la promesse faite par Johanna Rolland à la chambre régionale des comptes et la décision proclamée par le conseil d’administration, le fonds Promouvoir l’accueil de savants étrangers n’est pas dissous en 2022 ! Ni en 2023. Sa dissolution n’intervient finalement que le 25 avril 2024 et n’est publiée au Journal officiel que le 21 mai 2024, c’est-à-dire la semaine dernière.

Changement de vocation clandestin

Cette première extravagance se double d’une seconde. L’objet du fonds déclaré lors de sa création a été indiqué ci-dessus. Mais à la date de la dissolution, son domaine d’activité est mystérieusement devenu celui-ci : 

« défense de droits fondamentaux, activités civiques / défense des droits des personnes étrangères ou immigrées, de personnes réfugiées. »

Cette vocation politique n’a évidemment rien à voir avec la recherche scientifique. Une main anonyme a modifié subrepticement et illégalement l’objet du fonds. Cherchait-elle à orienter la dévolution de l’actif résiduel vers une cause militante ? Cet actif s’élève à 7.160 euros : pas le hold-up du siècle. Il n’empêche, c’est contraire à la loi. Le préfet de Loire-Atlantique, chargé du contrôle des fonds de dotation, se serait-il laissé prendre à ce coup de bonneteau ?

Il va avoir une occasion de se rattraper. Alors qu’il existait toujours au moins en droit, le fonds de dotation a « oublié » de publier au Journal officiel ses comptes des années 2021/2022 et 2022/2023. L’abstention de ses dirigeants est punissable d’une amende de 9.000 euros. Le préfet, qui avait sévi (quoique à mauvais escient) à l’égard du fonds Corsair de l’hôpital privé Confluent, tiendra certainement à montrer sa diligence.

Comme il le fera évidement envers le Fonds de dotation pour le développement culturel, qui n’a pas publié ses comptes depuis ceux de 2019/2020, et pour le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire, qui n’a pas publié ses comptes pour 2023.

Sven Jelure

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