Julien Gracq, géographe sans vagues

Honnêtement, Julien Gracq ne m’a jamais beaucoup impressionné, ni comme auteur, ni comme personnage. L’insistance ridicule mise par Jean-Marc Ayrault à se revendiquer de l’écrivain n’a rien arrangé. Il distribuait volontiers La Forme d’une ville à ses visiteurs.

Je l’ai déjà dit, « Julien Gracq n’a pas compris grand chose à Nantes. Juste retour des choses, Jean-Marc Ayrault n’a probablement pas compris grand chose à Julien Gracq. » Apparemment, il voyait chez lui une description chic de Nantes. L’avait-il vraiment lu ? Gracq n’a pas cherché à tromper le lecteur : il présente explicitement son livre comme la projection d’une âme adolescente sur les lieux qu’elle côtoie. Et qui, entre nous, ne se projette pas loin : Julien Gracq, c’est quasiment l’anti-Jules Verne, malgré l’estime maintes fois manifestée par le premier pour le second*.

Le culte gracquien à l’époque Ayrault a atteint des sommets grotesques. Voici une dizaine d’années, le site web de la mairie de Nantes a longtemps comporté ce passage :

La flèche de la cathédrale témoin des temps anciens, la grue de chantier dressée sur le bord du fleuve, l’architecture audacieuse du nouveau palais de justice, autant d’édifices qui, dans leur diversité, fondent l’identité et « la Forme d’une ville » (Julien Gracq).

La cathédrale de Nantes n’a jamais eu de flèche. Le plus cocasse est que Julien Gracq évoque lui-même « la cathédrale sans flèches ni tours, engluée dans les maisons comme une baleine échouée » ! Décidément, on citait La Forme d’une ville sans l’avoir lu. (Cela dit, la cathédrale a quand même deux tours…)

L’œil angevin

Hélas, ne pas se pâmer au nom de Gracq paraît du plus mauvais goût à Nantes : le conformisme de l’époque Ayrault a laissé sa marque. Je suis donc soulagé de pouvoir faire un pas dans le sens du culturellement correct en disant du bien de Julien Gracq, l’œil géographique, exposition de photos présentée jusqu’au 3 septembre à la médiathèque Jacques Demy. Les photos valent le coup d’œil, mais il faut lire aussi le livret qui les accompagne, également disponible en ligne. Rédigé par Israel Ariño, Jacques Boislève, Hélène Gaudy, Martin de La Soudière, Emmanuel Ruben et Jean-Louis Tissier, il est inégal mais plein de notations judicieuses.

Julien Gracq – mais peut-être serait-il plus juste de dire Louis Poirier – était professeur de géographie, et ça se voit. Il a laissé des centaines de photos, presque exclusivement consacrées à des paysages. Non pas des vues touristiques mais des descriptions composées de manière à révéler les lignes majeures des lieux visités. Les humains, inutiles, en sont quasiment absents – un enfant qui « s’éloigne en nous refusant son visage, intrus qui bientôt aura quitté le champ » (Hélène Gaudy), une femme « dont on ne voit que la coiffure et l’habit sombre, [..] qui ne semble pas photographiée pour ce qu’elle apporte à l’image mais pour ce qu’elle lui retranche » (idem)…

L’exposition, une sélection d’une cinquantaine de photographies, est présentée par thèmes géographiques : France, Montagnes, Espagne & Portugal, Amérique, Italie. On y voit des montagnes, des rivières, quelques bâtiments, des ponts… Constat frappant : pas une seule photo n’est consacrée à l’océan. S’il apparaît en quelques occasions, à l’instar des humains, c’est comme un élément de contexte inéluctable dans un cliché dont le sujet principal est autre : la statue de la Liberté, une vaste plage sous un vaste ciel, une falaise vertigineuse… Aucune vague, jamais. Julien Gracq/Louis Poirier est un géographe et un photographe, mais d’abord un Angevin.

Sven Jelure

* Et manifestée avec talent, il est juste de le dire, en particulier dans le n° 10 de la Revue Jules Verne (2001).

Julien Gracq, l’œil géographique
Médiathèque Jacques Demy, 24 quai de la Fosse, Nantes
Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h jusqu’au 3 septembre 2022

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