Les start-ups nantaises entre bonne fée Johanna et marâtre nature

On aimerait croire les belles histoires. La société nantaise Bescent est rachetée par Lampe Berger, nous apprend Presse Océan ce 14 mars. Bescent, c’est le créateur en 2015 du « réveil sensoriel » Sensorwake, un réveil-matin qui diffuse une odeur suave au lieu de déclencher une sonnerie. Idée aimable. Succès médiatique, d’autant plus que l’un des deux fondateurs de la société, Guillaume Rolland, n’avait alors que 18 ans. Avec Lampe Berger, Bescent « passe la vitesse supérieure », assure Presse Océan.

En fait de vitesse supérieure, Bescent, déficitaire, a été mis en règlement judiciaire début février. Son cofondateur, Ivan Skybyk, s’en était déjà dégagé l’été dernier. Sa vente à Lampe Berger n’est pas une promotion, c’est une solution élégante pour quitter la scène en limitant les dégâts.

L’important est d’entreprendre, échouer n’est pas si grave. Sauf que Bescent n’aurait jamais dû échouer. C’était l’une des sept start-ups sélectionnées en 2015, parmi soixante-deux candidatures, par la Creative Factory. Celle-ci n’est autre que le cluster des industries créatives et culturelles de l’île de Nantes, géré par la Samoa, une SPL dont le capital appartient majoritairement à Nantes Métropole. La Samoa est présidée par Johanna Rolland.

Bescent aux enfers ?

La Creative Factory, dont on se demande pourquoi elle a justement choisi un nom si peu créatif, se présente elle-même comme un « opérateur économique de développement des filières des industries culturelles et créatives ». Elle « dispose d’une offre de services et d’un dispositif d’accompagnement qui favorisent l’implantation de votre entreprise, la création d’emplois et la pérennité économique de vos projets ». Elle prend chaque année sous son aile quelques start-ups afin de les accompagner vers le succès. Et l’argent abonde : depuis six ans, les entreprises soutenues par Creative Factory ont levé 13,9 millions d’euros.

Avec un tel tuteur, Bescent n’aurait jamais du échouer mais a échoué quand même. La Creative Factory a-t-elle mieux réussi l’implantation, la création d’emploi et la pérennité avec les six autres start-ups de sa promotion 2015 ?

  • Baludik, éditeur d’une appli mobile pour les acteurs du tourisme, ne va pas trop fort. Ses actionnaires ont décidé en 2018 de poursuivre l’activité malgré une perte supérieure à la moitié du capital social. Plus récemment, ils sont convenus de remettre de l’argent au pot pour reconstituer l’actif net.
  • Mobidys, alias Majenat SAS, éditeur de livres numériques pour les publics atteints de troubles de l’apprentissage de la lecture, est toujours là, et fonctionne réellement. La société dépose même ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, obligation légale dont beaucoup de start-ups se dispensent. Mais elle les assortit d’une déclaration de confidentialité, ce qui signifie souvent qu’ils ne sont pas très bons. Et sa présidente vient de créer une autre entreprise : va-t-elle prendre la tangente ?
  • Music You Share, créateur d’un réseau social musical, semble avoir disparu en rase campagne. Son site web mysit.com est introuvable, son compte Twitter n’est plus alimenté depuis trois ans
  • Myteeshirtletter, alias Play Art Atelier, à Longeville-sur-Mer, créateur de t-shirts personnalisés vendus sur abonnement, a été mis en liquidation judiciaire par jugement du 4 avril 2018.
  • OPDesign, créateur de meubles en béton, a été liquidé et radié du RCS au printemps 2018. L’adresse de son site web opdesign.com est à vendre, pour ceux que cela intéresserait.
  • Termites Factory, producteur de film et de programmes pour la télévision, a été mis en liquidation judiciaire simplifiée par jugement du 10 octobre 2018.

Sven Jelure

2 réponses sur “Les start-ups nantaises entre bonne fée Johanna et marâtre nature”

  1. Oh ! je vous trouve dur quand même ! Faut-il deviner derrière vos critiques si bien ciselées un autre vécu que la simple contemplation d’une évolution vers le « tout pour l’image de marque » ? Incriminer les « élites bourgeoises locales » me paraît insuffisant. La bourgeoisie nantaise a sans doute été une élite au 19ème siècle. Plus aujourd’hui. En une génération, elle a fini par se mettre à la remorque du pouvoir politico-administratif. La CCI ne dit que du bien de la mairie. La bourgeoisie est ainsi : elle a besoin d’être du côté du manche ! Et puis, l’évolution de Nantes, jusque dans ses aspects prétendument les plus modernes (start-ups…) est représentative en réalité d’un air du temps très répandu. Ce que Johanna Rolland et les siens veulent prendre pour un « esprit nantais » relève au contraire d’un conformisme répandu dans une grande partie du monde – on s’imagine avant-gardiste en essayant comme beaucoup d’autres de refaire ce qui s’est fait en Californie il y a plus de vingt ans. Mais l’avantage de l’esprit du temps, c’est qu’il peut changer ! Et après tout, si vous et moi prenons le temps de la critique, c’est peut-être qu’une amélioration demeure possible… Et si de la critique naît la créativité, c’est encore mieux : bonne chance donc dans l’écriture de votre roman !

  2. Merci 1000000 fois, je viens de vous découvrir et vous donnez des mots à mon ressenti d’ancien nantais affreusement triste dans cette pseudo green city, je suis si heureux de ne plus errer dans cette pseudo fabrique créative qui n’a pas dépollué ses sols, qui a renié totalement son passé ouvrier, et qui en mimant le développement vert est un modèle d’urbanisme à combattre. Partout ces cubes et ces bacs en palettes parsemés mais pensés eux aussi par des start uppers, cette omniprésence du vieux fantôme de Le Corbusier qui se faufile, et ce centre ville muséifié, ce Bouffay-Rocamadour, cette rue Bellamy parsemée la nuit de prostituées et de policiers en civil, le jour de catholiques en jupes plissées…J’ai été une seule fois dans une espèce de Fab Lab sursubventionné où j’ai ressenti beaucoup de gêne et de honte.
    J’écris aujourd »hui un roman dont Nantes est l’un des chapitres, et les deux seules choses qui m’y poussent sont un besoin vital d’excréter ce que j’y ai vécu et ressenti, et mon amour de la liberté et de la beauté. J’aime Nantes à partir de saint Florent le Vieil, et de deux ou trois chansons de Dominique A..Mais l’arrogance et l’hypocrisie des élites bourgeoises locales, sont pour moi un modèle pour de longs chapitres à venir. E t le lourd passé colonial de ces « métropoles » que sont Nantes et Bordeaux ne s’effacera pas avec trois monuments quai de la Fosse. Merci pour vos articles.

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