Arbre aux Hérons : la hausse du prix qui cache la forêt

La construction de l’Arbre aux Hérons n’est pas encore décidée que son coût est déjà réévalué : ce sera 52,4 millions d’euros au lieu de 35 millions. Depuis vendredi, les débats politiques nantais se focalisent sur cette hausse, mais n’est-ce pas l’arbre… qui cache la forêt ?

Comme annoncé, Johanna Rolland a fait semblant de faire le point sur le projet d’Arbre aux Hérons vendredi dernier. Elle a laissé son grand argentier, Fabrice Roussel, annoncer la douloureuse : 52,4 millions d’euros H.T. au lieu de 35. On admire la précision de la décimale : grâce à elle, on ne peut pas dire que le coût augmente de moitié (+ 49,7 % seulement).

La nouvelle enveloppe est inférieure aux 69,9 millions d’euros (+ 99,7 %, tiens, tiens) venus naguère aux oreilles de La Lettre à Lulu via une indiscrétion municipale. Il suffit peut-être d’attendre. On invoque l’inflation intervenue entre l’annonce des 35 millions, en 2013, et aujourd’hui. Comme l’Arbre ne devrait être achevé qu’en 2027, cette satanée inflation a encore près de six ans devant elle. Si l’on projette la note finale au rythme des huit dernières années, on arrive à quelque chose comme 69,9 millions d’euros. Tiens, tiens (bis).

Cette extrapolation ne relève pas du mauvais esprit. Dans les quatre mois avant leur entrée en service, le coût du Grand éléphant et de la Galerie est passé des 4,8 millions d’euros prévus à 5,2 millions d’euros (+ 8,3 %). Le Carrousel devait coûter 6,4 millions d’euros lors de sa présentation en 2009 ; il en a finalement coûté 10 (+ 56,25 %) trois ans plus tard.

Les 52,4 millions d’euros ne sont qu’une petite partie du budget d’investissement, insiste Fabrice Roussel. Sans aucun doute, la Métropole ne manque pas d’autres sujets de gaspillage ! Et puis, si l’on compare au prix d’un tableau de Picasso ou d’un international de football, ça n’est pas si colossal après tout. Mais 52,4 millions d’euros, c’est quand même un peu plus que les 52 millions investis en 2020 par Le Puy du Fou pour créer tout à la fois son nouveau spectacle « Noces de feu », un hôtel 4 étoiles de 96 chambres et un palais des congrès autour d’un auditorium de 500 places. À Nantes, tout est plus cher.

Un Arbre mono-Héron ?

De bonnes surprises ne sont pas exclues, cependant. Les études menées jusqu’à présent ne sont pas des études de prix. Qui pourrait dire aujourd’hui ce que coûteront vraiment les travaux ? Tout le monde est d’avis que l’Arbre aux Hérons sera une réalisation très prestigieuse. Pour avoir l’honneur d’en être, les entreprises devraient tirer leurs prix aux maximum quand elles répondront aux avis de marché de Nantes Métropole.

Ah ! mais vous rêvez ? Des avis de marché, il ne faut pas compter dessus ! On l’aura remarqué, Johanna Rolland, Fabrice Roussel et les autres veillent à répéter que l’Arbre sera une « œuvre d’art ». Décryptage : pour acheter une œuvre d’art, on peut déroger au droit commun de la commande publique et attribuer les commandes de gré à gré. D’ailleurs, le dossier de presse signé François Delaroziere et Pierre Orefice annonce franco « 90 % d’entreprises régionales associées à la construction » de l’Arbre, ce qui sous-entend que les heureux élus sont déjà désignés. Cependant, le climat politique est de moins en moins aux arrangements entre amis. Déjà, le Carrousel n’avait pas entièrement échappé aux rigueurs de la loi. Ceux qui entendent déjà tinter leur tiroir-caisse pourraient avoir des déceptions.

Et puis, les concepteurs de l’Arbre pourraient trouver à faire quelques économies. Déjà, entre les lignes il semble bien que l’Arbre aux Hérons soit devenu l’Arbre au Héron ; les deux lettres gagnées pourraient se traduire en millions d’euros épargnés. Personne n’a insisté là-dessus, mais la nouvelle présentation de l’Arbre montre désormais un seul Héron tournoyant à sa cime, au lieu de deux. Le second se contenterait de couver un œuf. Un peu moins compliqué, forcément.

Possible ? Il vaudrait mieux !

Si les dépenses sont incertaines, les recettes ne le sont pas moins. Johanna Rolland pouvait difficilement se déjuger : elle a confirmé que le financement de l’Arbre devait être apporté pour 1/3 par Nantes Métropole, 1/3 par d’autres acteurs publics et 1/3 par le secteur privé. Soit désormais 17,5 millions d’euros pour chaque tiers au lieu d’une petite douzaine.

« On pense que c’est possible », dit Bruno Hug de Larauze, président du Fonds de dotation de l’Arbre aux hérons, sur un ton qui ne semble pas totalement assuré : il suffirait de trouver 2 millions d’euros par an jusqu’en 2027 (en réalité, plutôt 2,5 millions si l’on tient compte de l’inflation et des frais de fonctionnement du Fonds). Mais en s’accordant jusqu’en 2027 pour trouver l’argent, il annonce que plus de la moitié de la contribution privée manquerait encore lors du lancement de la construction en 2023. Pas prudent, ça ! À la place de Fabrice Roussel, on demanderait à M. Hug de Larauze de s’engager personnellement à combler le trou éventuel.

Jeu à la nantaise

Quant à l’avenir à plus long terme, il n’en a pas été question vendredi : 2027, c’est loin. « Après l’ouverture au public, le Bestiaire continuera de s’agrandir, et les années suivantes verront arriver de nouvelles espèces », annoncent pourtant les auteurs du projet. Bien entendu, personne n’a dit qui paierait ces nouvelles machines le jour venu.

Personne ne s’est soucié non plus des investissements nécessaires pour aménager les abords de l’Arbre aux Hérons (voies de circulation, parkings…). Une personne, en revanche, une seule, a évoqué le déficit de fonctionnement. Car déficit il y aura, c’est déjà convenu. Pierre Orefice a annoncé que les recettes de l’Arbre couvriraient 80 à 85 % des dépenses. Il semble trouver ça admirable. Mais cela laisse quand même 15 à 20 % à la charge du contribuable métropolitain, soit peut-être 1 million d’euros par an. Et si les 500 000 visiteurs espérés par Pierre Orefice ne sont pas au rendez-vous, ce sera plus.

Pas grave, il faut le faire, car c’est du « jeu à la nantaise », ça illustre le dynamisme et l’esprit innovant de Nantes. Ah ! oui, sûrement, un projet encore dans le flou au bout de dix-sept ans (il remonte à 2004) est une preuve incontestable de dynamisme. « L’Arbre aux Hérons sera à Nantes ce qu’est la tour Eiffel à Paris », répète une Nième fois Yann Trichard, président de la CCI. Cela donnera à la Ville un élan formidable. C’était déjà le résultat attendu des Machines de l’île, puis du Voyage à Nantes. Ça n’a donc pas marché ? Raison de plus pour continuer, on ne change pas une équipe qui perd, c’est comme ça, de nos jours, le jeu à la nantaise.

Sven Jelure

2 réponses sur “Arbre aux Hérons : la hausse du prix qui cache la forêt”

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