Les spectacles de Royal de Luxe sont devenus rares. Mais chaque année, depuis que l’association s’est résignée à les publier conformément à la loi (quoique toujours en plein mois d’août, avec quelques semaines de retard), ses comptes sont un sujet d’émerveillement.
Combien valent les grosses machines de spectacle de Royal de Luxe – El Xolo, le Bull Machin, les géants d’autrefois qui doivent bien être rangés quelque part, les cabestans et les filins, etc. ? Vous donnez votre langue aux chiens ?
La réponse est : 13 906 euros à fin 2022.
Telle est la somme inscrite dans le bilan de l’association, certifié par son commissaire aux comptes, publié samedi au Journal officiel.
Outre l’amortissement comptable, plusieurs explications théoriques sont possibles : l’association omet de capitaliser ses travaux faits pour elle-même, le propriétaire du Bull Machin est en réalité quelqu’un d’autre, la grosse mécanique ne vaut pas plus cher que de la camelote, etc. Mais c’est tout de même une bizarrerie.
Il y en a d’autres. Par exemple, du côté des pertes et profits. En 2020, la troupe n’a pratiquement rien fait : 12 676 euros de prestations facturées. En 2021, pas grand chose : 142 703 euros (pour un petit spectacle à Calais, apparemment). En 2022, beaucoup plus : 1 312 459 euros. Cette multiplication par 9 est due bien sûr au Bull Machin de Villeurbanne, spectacle vendu à Villeurbanne en septembre dernier. Or, si l’on regarde le bas du compte d’exploitation, Royal de Luxe a gagné 13 463 euros en 2020, perdu 4 877 euros en 2021 et… perdu à nouveau 173 048 euros en 2022.
Plus la troupe facture de spectacles, plus elle est dans le rouge, ce qui ne pousse guère à travailler ! À ce jour, ce n’est pas grave : à force de ne pas faire grand chose tout en touchant quand même des subventions, Royal de Luxe a fait des économies. Il lui restait 629 367 euros en caisse fin 2022. De quoi voir venir, mais c’était quand même un tiers de moins qu’à fin 2021.
Un grand boum des salaires
La question des rémunérations n’est pas moins mystérieuse. En 2021, Royal de Luxe a employé (comme permanents ou comme intermittents) 46 personnes. En 2022, 70 personnes (+ 52 %). Normal : il a fallu renforcer les effectifs pour Villeurbanne. Pourtant, les intermittents y ont sans doute été employés moins longtemps puisque, sur l’année, l’effectif de la troupe est resté stable : 8 « équivalents temps plein » (ETP), dont 5 employés et 3 cadres, comme en 2021. Or le montant des salaires, lui, a fait un bond colossal. De 415 499 euros hors charges patronales en 2021, il est passé à 1 134 315 euros en 2022 (+ 173 %). C’est-à-dire que le salaire brut moyen annualisé aurait bondi de 51 937 euros en 2021, ce qui est déjà coquet, à 141 789 euros par tête de pipe en 2022 !
Pour expliquer cette bizarrerie-là, se pourrait-il que certains privilégiés aient été beaucoup mieux servis que d’autres ? Voici d’où vient ce noir soupçon. La loi prévoit que les comptes doivent indiquer la rémunération globale des trois plus hauts dirigeants de l’association. Or les comptes 2022 laissent en blanc cette rubrique, p. 19, avec cette explication : « En application du principe du respect du droit des personnes, cette information n’est pas toujours servie, car elle aurait pour effet indirect de fournir des renseignements à caractère individuel ».
Le « principe du respect du droit des personnes » a bon dos : la loi est la loi, et elle prévoit cette publication. Il est vrai que beaucoup d’associations riches ont les mêmes pudeurs illégales. Mais le plus bizarre est que… l’information refusée p. 19 a été donnée p. 12 ! Les trois plus hauts dirigeants de Royal de Luxe ont perçu ensemble 237 590,66 euros en 2022. C’est 56 % de plus qu’en 2021 (151 990,67 euros). Une belle augmentation. Pourtant, loin d’expliquer le mystère des salaires moyens, elle l’épaissit : ces rémunérations sont en moyenne très inférieures à la moyenne des ETP indiquée ci-dessus, comme si les intermittents du spectacle étaient beaucoup mieux payés que les grands chefs à plumes.
Cotisations minimes en chute, subventions stables à haut niveau
Parmi les autres variations énormes des comptes de Royal de Luxe d’une année sur l’autre, on note la chute de 100 % des cotisations. L’association ne fait même plus semblant d’en être une : elle avait perçu 4 euros de cotisations en 2021, elle n’a pas eu un centime en 2022 !
À l’inverse, les subventions – versées surtout par Nantes Métropole – montrent une belle stabilité. Leur montant a été identique en 2021 et en 2022 : 821 156 euros. S’y ajoutent, comme chaque année, 96 717 euros de prestations en nature pour la mise à disposition gracieuse d’une ancienne usine du Bas-Chantenay. Cette générosité n’empêchera pas Johanna Rolland d’honorer en plus une facture de 1,27 million d’euros pour la création d’un « nouveau » spectacle à Nantes-Saint-Herblain dans quelques semaines.
Sven Jelure
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