Nantes Métropole se gargarise de dialogue citoyen. La concertation sur les lignes de tramway, fin 2020, avait recueilli 1 748 observations, avis ou commentaires. Celle sur la fabrique de la ville, l’an dernier, 646. Celle sur le pôle d’écologie urbaine, à la fin de l’année… 31 contributions individuelles, soit une pour 21 867 habitants métropolitains et 56 fois moins que n’en avait suscitées les tramways trois ans plus tôt. Les Nantais ne croient plus au dialogue citoyen ? On peut les comprendre.
L’une des six grandes promesses de Johanna Rolland pour l’année 2023 concernait « un grand débat sur la fabrique de la ville ». L’année a été « riche en dialogue citoyen » assure Nantes Métropole. Puisqu’on est riche, pourquoi se priver ? Pour alimenter le narratif du débat, on a appelé à la rescousse différents conseils extérieurs.
Le résultat le plus clair de l’exercice, c’est que la notion de « dialogue citoyen » façon Rolland s’est trouvée plus dévaluée à la fin de l’année qu’elle ne l’était au début. Entre jargon sociologisant, étroit encadrement des thèmes autorisés (« les sujets de controverses proposés au débat seront choisis par le commanditaire ») et jeux déjà faits, les Nantais ont fini par conclure : le dialogue, c’est « cause toujours » !
Inutile de s’étonner, donc, s’ils ont boudé la concertation sur le pôle d’écologie urbaine de la prairie de Mauves. (On note l’évolution gratifiante du vocabulaire : les « décharges municipales » sont devenues « centres de traitement des déchets » puis « pôles d’écologie urbaine ».) Un projet à 366 millions d’euros lourd de conséquences pour l’agglomération et sa population, et même pour une bonne partie du département.
La com’ métropolitaine ne mobilise plus
Conformément à la loi, l’opération était placée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Celle-ci est en général bienveillante. Ses critiques envers Nantes Métropole n’en sont que plus saillantes. Or Nantes Métropole était tenue de publier son verdict « sous forme de PDF non modifiable » (on n’est jamais trop prudent). Ainsi commence-t-il :
La concertation s’est déroulée du 25 septembre au 20 décembre 2023. D’importants moyens de communication ont été mis en place par divers canaux en septembre et pendant la concertation pour faire connaître le projet. Les garants font le constat, partagé avec Nantes Métropole, qu’en dépit des efforts déployés, cette concertation a peu mobilisé le public en particulier lors de la majorité des diverses réunion et ateliers. Les contributions sur le site de la concertation, quoique riches, restent très peu nombreuses au regard de l’importance du projet.
Les Nantais ne se désintéressent certainement pas de leur cadre de vie et le battage médiatique orchestré par Nantes Métropole, jamais avare de com’, était abondant. « Le résultat est pourtant incontestablement un échec en termes de mobilisation du public », constate la CNDP. La réunion de clôture du dialogue, le 20 décembre, a culminé à 28 participants. La raison paraît claire : les citoyens en ont assez des concertations de façade. Ils se sont abstenus de participer à un débat visiblement fictif. La CNDP le constate sans détour :
L’exercice de concertation préalable apparaît au garant [la CNDP] comme moyennement satisfaisant. En effet, le projet d’extension du Centre de Traitement et de Valorisation des Déchets (CTVD) est déjà si avancé dans sa définition qu’il n’a pas été présenté de marge de manœuvre par le maître d’ouvrage rendant la concertation assez peu attrayante pour les participants qui ont mentionné un projet « bouclé » et qui ont interrogé à plusieurs reprises sur l’objectif de la concertation.
Le CTVD n’était pas tout. Les autres volets du projet, eux, n’étaient pas « bouclés » mais au contraire trop peu avancés pour qu’on en discute ! Le résultat est le même : les citoyens s’en désintéressent :
A contrario les 3 autres projets structurants présentés à la concertation (STEP, Déchetterie, plateforme de valorisation des biodéchets) sont trop peu définis pour donner lieu à une information et une concertation complète sur l’ensemble de leur contour.
En réalité, les seuls à réagir à peu près ont été les Nantais habitant à proximité de la prairie de Mauves. Ils ont quelques raisons d’être inquiets puisque ce projet vise à créer sur ce site un immense centre de traitement de nouveaux déchets, perché sur le million de tonnes de déchets anciens déposés là au 20e siècle. Il centralisera les poubelles d’un territoire immense, allant de Redon à Fontenay-le-Comte ‑ qui devraient être plutôt satisfaites d’en être débarrassées ! Autrement dit, note la CNDP, un projet « qui va mettre sur la route des quantités considérables de déchets et qui conduit à une usine d’incinération de très grande capacité ».
Rien à dire, même en roumain
Ulcérée par les critiques de la CNDP, Nantes Métropole a tenu à publier sur son site web, voici quelques jours, une réponse à ses « remarques et retours » ‑ réponse qui consiste pour l’essentiel à redire sans jolies illustrations ce qui avait été dit dès le départ, mais qui n’avance aucune explication au flop de la consultation.
À coup sûr, on reparlera du sujet. Ne serait-ce que parce que la réalisation du projet comporte un enjeu humain considérable. La prairie de Mauves n’est pas seulement un gros tas de déchets. Des centaines de Roms, un millier peut-être, y ont bâti un immense campement. La « concertation » à la nantaise ne leur a pas demandé leur avis ! Ce que la CNDP relève avec un soupçon d’ironie :
Une des rares remarques concernant le projet a été celle d’un habitant du bidonville qui, parcourant le flyer rédigé en roumain pour l’occasion, a affirmé “ C’est de l’écologie alors ce n’est pas la peine de discuter il faut partir ! ”
En voilà un qui a tout compris au dialogue citoyen !
Nantes Métropole, qui a l’esprit de l’escalier, annonce organiser une réunion publique le 5 juin pour redire le mal qu’elle pense des commentaires de la CNDP (sa « réponse argumentée »). Assurément, elle se débrouillera pour réunir plus de 28 participants. Nous sommes heureux de l’y aider avec cet article.
Sven Jelure
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Pour avoir dans mon temps participé à des « ateliers citoyens » et autres « conseils de quartier » je confirme la méthode municipale qui consiste 1/A présenter un projet déjà défini où il ne reste rien à discuter sur le fond. Cela revient à vous présenter la maquette du pavillon et à vous faire choisir la couleur de la porte : bleu ou vert ? 2/A cadrer dès le départ ce dont il faut parler et ce qui ne doit pas être abordé quand bien même les participants veulent en discuter : pas de « sujets de controverse » en dehors des clous municipaux !
N’ayant pas participé à cette concertation, je ne sais si les consultants ont eu recours également à ces techniques d’animation avec petits papiers de couleurs, dessins collectifs à produire qui vous donnent la désagréable impression de retourner en maternelle alors que les sujets sont eux des sujets bien adultes…
Ayant fait partie des concertations de la fabrique de la ville et du pôle d’écologie (qui est en fait une déchèterie géante à ciel ouvert). Je ne peux malheureusement qu’abonder dans votre sens.
Le grand débat sur la ville était intéressant sur le fond, mais on a bien choisi les modes d’expressions : exclusivement qualitatif, afin de pouvoir faire dire à peu prêt ce qu’on veut à l’analyse des contributions. L’atelier sur la déchèterie auquel j’ai assisté était clairement inutile, le projet étant totalement bouclé.
Concernant ce dernier, aucune réponse concrète n’a pu être apporté aux questions : quelles nuisances pour les habitants ? Si ce n’est, pour faire court, « on va faire de notre mieux pour que ça ne pue pas dans toute la ville et que la valse des camions ne dérange pas trop ». Parce que, soyons concret, ce projet c’est mettre un composteur géant en pleine zone urbaine. Projet qui n’a « jamais été fait à cette ampleur » nous a-t-on avoué.
Le tout à quelques mètres du nouveaux quartier de Doulon-Gohards, où des milliers de logements vont voir le jour.
À une échelle plus compréhensible, cela consiste à mettre dans ton garage toutes les poubelles du quartier et d’épandre dans ton jardin tous les déchets alimentaires du voisinage. Le tout en t’expliquant que tout va bien se passer.
Oui, on en reparlera ça c’est certain.