Avec un peu d’imagination, la Cité des Imaginaires s’appellerait… Musée Jules Verne

Depuis des années déjà, Nantes veut une Cité des Imaginaires. Cette cité a un nom mais pas de concept. Le projet ne comprend à ce jour que du banal, y compris les perspectives de coûts prohibitifs. Elle ne comporte qu’un seul aspect spécifique : Jules Verne. Mais alors, pourquoi s’acharner à brouiller les pistes en l’appelant autrement ?

Si les délais sont tenus, il aura fallu neuf ans entre la décision métropolitaine en faveur d’un nouveau Musée Jules Verne et l’inauguration de celui-ci, en 2028, au sein d’une Cité des Imaginaires. C’est presque un sprint par rapport au Musée Dobrée (quatorze ans) mais bien poussif par rapport au Musée d’arts (six ans « seulement », au lieu de deux annoncés). Trois ans restent à courir. Ils n’empêchent pas Nantes Métropole de commence à s’en revendiquer : l’élection municipale, c’est l’an prochain, pas en 2028. « Découvrez les nouvelles images de la Cité des imaginaires », propose-t-elle dans le dossier qu’elle vient de mettre en ligne.

Les « nouvelles images » racontent en creux une histoire : la Métropole s’abstient désormais de montrer les anciennes images des Grands moulins de Loire qu’elle aimait à reproduire naguère. On prétendait préserver l’œuvre de l’ingénieur Hennebique ? On n’en gardera en fait que quelques poutrelles et piliers intérieurs cachés sous un coffrage métallique au goût des années 2025 remplaçant le coffrage métallique au goût des années 1970. Le nouveau bâtiment sera sûrement très bien, mais il n’aura qu’une parenté allusive avec l’ancienne minoterie. On s’en doutait dès le début, d’ailleurs. Un jardin intérieur exotique ? Cela aurait bien fait rire Hennebique !

Johanna Rolland voulait de la conservation et de la transparence. Dans un bâtiment industriel peu vitrés, les deux objectifs étaient inconciliables. Il fallait bien que l’un des deux écrasât l’autre. Non sans quelques rémanences probables sous forme de complications pratiques et de coûts supplémentaires tels qu’on en a vus avec l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire, simulacre d’usine selon le vœu de Jean-Marc Ayrault.

Jules Verne à la remorque de l’imaginaire

« La Cité des Imaginaires, en interaction avec le Jardin Extraordinaire […]  aura vocation à constituer un lieu culturel et touristique ouvert, vivant, expérientiel et sensible », assure Nantes Métropole dans son habituel langage lyophilisé. La dénomination « Cité des imaginaires » a de quoi impressionner et la rime avec « extraordinaire » est riche (on a évité « doctrinaire » et « urinaire »). L’imagination, déjà, est un vaste sujet. Mais LES imaginaires, fruits pléthoriques de cette capacité fabuleuse, comment les faire tenir dans un bâtiment de 5 000 m² ?

Qui trop embrasse mal étreint : il y a de l’escroquerie intellectuelle dans l’air ! Sans compter qu’il existe déjà une Assemblée des Imaginaires, portée par des poids lourds du genre TF1 ou Engie, qui risque de faire de l’ombre, et puis aussi un Observatoire des Imaginaires, un Laboratoire des Imaginaires, une Fabrique des Imaginaires, etc.

En réalité, la « Cité » nantaise sera composée du musée Jules Verne, agrandi mais pas transmuté, d’une médiathèque/ludothèque, d’un auditorium, d’un espace d’exposition, d’un bar (quelle surprise !) au rez-de-chaussée et d’un restaurant sur le toit-terrasse (qu’il est plus chic d’appeler rooftop). Que du familier, en somme. Ils sont où, les imaginaires ? De temps en temps, dans l’espace d’exposition ?

Au lieu de mettre en avant des imaginaires laborieux, et de coller deux enseignes sur un seul établissement au risque de brouiller les pistes touristiques, on ferait mieux de s’en tenir à Jules Verne. Ce patronyme célèbre mondialement a un lien clair avec Nantes, il dit de quoi l’on parle, et l’on peut fourguer de l’imaginaire dans son sillage aussi bien, sinon mieux, que du Verne dans le sillage de l’imaginaire.

La directrice saura-t-elle faire sans subventions ?

Avec cet établissement, Nantes Métropole espère atteindre enfin la notoriété internationale qu’elle n’a pu acquérir avec ses chevaux de bataille précédents, les Machines de l’île, le Voyage à Nantes et l’Arbre aux Hérons. Jules Verne, on l’avait pourtant depuis longtemps : pourquoi n’avoir pas commencé par là ? Rattraper le temps perdu sera une mission stratégique. Le 1er septembre 2022, Nantes a donc nommé à la tête de l’établissement futur une dirigeante de confiance, Marie Masson. Vingt ans d’expérience dans l’encadrement du palais des congrès de Nantes, co-créatrice des Utopiales et du festival du livre Atlantide, elle paraissait prédestinée à ce poste.

« Je ne peux que témoigner de la chance que l’on a eue d’avoir Marie à Nantes pour son engagement, son professionnalisme », se félicitait Aymeric Seassau, adjoint à la culture de Nantes, en avril 2024. Le passé composé « on a eue » était un aveu : la nouvelle directrice quittait son poste au bout d’un an et demi (probablement pas de son plein gré car à ce jour, selon LinkedIn, elle est toujours sans emploi) ! L’instabilité des directeurs d’institutions culturelles est une sorte de maladie auto-immune nantaise, voire départementale : comme naguère au Château, au Musée des beaux-arts et au Musée Dobrée, il a fallu dare-dare une solution de rechange.

Nantes Métropole l’a trouvée en la personne d’Alexandra Müller. Son nom mis à part (parfait pour les Grands moulins de Loire, il signifie « meunier » en allemand), le choix surprend. Alexandra Müller a été pendant plus de quinze ans chargée de recherche et d’exposition au sein du pôle programmation du Centre Pompidou-Metz. Elle y a acquis une expérience précieuse pour l’espace d’exposition nantais. Cependant, elle a pu y acquérir aussi de mauvaises habitudes, car le Centre Pompidou-Metz, bien que situé dans un vaste bassin de population et à proximité de la frontière allemande et luxembourgeoise, est l’un des musées les plus dispendieux de France.

En 2023, il a reçu 10 millions d’euros de « contributions » et subventions provenant de la ville, de la métropole, de la région et du département, et près de 0,6 million d’euros de mécénat, contre 1 246 217 euros de recettes de billetterie. Autrement dit, chacun de ses 301 449 visiteurs a été subventionné à hauteur de 33,17 euros ! L’entrée est gratuite pour les moins de 26 ans et la moitié des visiteurs seulement paient leur billet : ça aide à faire du chiffre d’entrées, pas du chiffre d’affaires. Le Musée Jules Verne a attiré 37 764 visiteurs en 2023 ; chacun d’eux a coûté à Nantes moins de 10 euros de subvention. Combien est-on prêt à dépenser pour en faire venir davantage ? Et Johanna Rolland a-t-elle discuté business avant de conclure cette embauche ?

Cerise sur le gâteau, Alexandra Müller a commis une gaffe de débutante en déclarant au Figaro, voici quelques jours, que le futur parcours permanent mettra en exergue « la force [des textes de Jules Verne], mais aussi ce qu’ils peuvent avoir, parfois, de choquant aujourd’hui ». Cette promesse de présentation politisée a aussitôt suscité pas moins de 226 réactions en ligne, hostiles pour la plupart (« Il y en a assez de cette municipalité nantaise et de sa novlangue et de son wokisme et de sa décadence tous azimuts »…) ! Johanna Rolland se plaint déjà du Nantes bashing et il faudrait y ajouter du Verne bashing ? (Pas sûr que ça attire vraiment les touristes…)

Les limites des comparaisons

Le Centre Pompidou-Metz n’a guère que la taille en commun avec notre future Cité des Imaginaires : environ 5 000 m². C’est un vaste espace d’expositions temporaires où s’empilent trois salles d’exposition de 1 150 m². Chacune d’elles équivaut presque à la HAB Galerie du Hangar à bananes (1 400 m²). La Cité des imaginaires ne jouera pas dans la même catégorie avec seulement 850 m² d’espace d’exposition. Sa locomotive, en revanche, sera un musée littéraire permanent, domaine dans lequel la directrice n’a aucune expérience.

Ah ! non, tout de même, une autre ressemblance entre les deux institutions : un restaurant de qualité dans les hauteurs. Le restaurant du Centre Pompidou-Metz a épuisé trois ou quatre chefs et est même resté fermé pendant deux ans avant d’être repris l’an dernier par un restaurateur de renom ‑ qui n’ouvre cependant qu’en soirée. À Nantes, il va falloir décider un chef à risquer son argent et sa réputation sur un établissement à la fois éloigné du centre-ville et très proche de deux concurrents de poids, L’Atlantide côté gastronomie et LAB côté brasserie, tous deux avec vue sur Loire.

Une troisième ressemblance à craindre serait le budget. La construction du Centre Pompidou-Metz a coûté près de 70 millions d’euros en 2009. Il faut y ajouter les réparations exigées par sa toiture en teflon, spectaculaire mais fragile. Nantes ne compte dépenser « que » 50 millions d’euros. Il est bien possible néanmoins que ce montant annoncé en 2022 exige une réévaluation (on était déjà passé de 10/15 millions en 2019 à 50 millions en 2022). De plus, le Centre Pompidou est idéalement situé en centre-ville, à côté de la gare et du principal pôle d’échange des transports en commun de Metz. Si Nantes veut amener des visiteurs jusqu’à la Cité des Imaginaires, elle devra dépenser un budget considérable en aménagements et en transports publics. Espère-t-elle que cela se verra moins si on le divise entre Musée Jules Verne et Cité des Imaginaires ?

Sven Jelure

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