Johanna Rolland hisse donc le drapeau de la Palestine devant l’hôtel de ville de Nantes. Elle le fait aujourdhui pour une unique raison : Emmanuel Macron déclare à New York que la France reconnaît l’État de Palestine.
En voilà une affaire ! À ce jour, pas moins de 152 des 193 États membres de l’ONU ont déjà reconnu cet État (qu’il ait une consistance ou pas, avec un territoire, une population, un gouvernement et une capacité d’entrée en relation avec les autres États, c’est un débat différent). La France arrive après 80 % du monde : y a-t-il matière à pavoiser ?
Deuxièmement, pour reconnaître un État, pas besoin d’aller à New York : c’est un acte déclaratif sans formalisme particulier. Keith Starmer s’est contenté ce dimanche d’un message de vingt-six mots sur X pour dire que le Royaume-Uni reconnaissait l’État de Palestine. Emmanuel Macron aurait pu en faire autant et le tour était joué. Plusieurs fois depuis 2017, comme le coiffeur qui demain rasera gratuit, il a tenu non pas à le dire mais à dire qu’il allait le dire !
Troisièmement, en réalité, la France a déjà reconnu l’État de Palestine, ainsi que sa diplomatie y inclinait depuis longtemps. Le 10 mai 2024, dans une circonstance solennelle, une assemblée générale de l’ONU, elle a voté en faveur de l’admission de l’État de Palestine comme membre de l’ONU. Autrement dit, elle considérait que cet État existait. Pourquoi chercher plus loin ?
Quatrièmement, Emmanuel Macron a précisé le 15 avril 2025 les conditions dans laquelle la France allait reconnaître l’État de Palestine : « Voici la position de la France, elle est claire : Oui à la paix. Oui à la sécurité d’Israël. Oui à un État palestinien sans le Hamas. Cela exige la libération de tous les otages, un cessez-le-feu durable, la reprise immédiate de l’aide humanitaire et la recherche d’une solution politique à deux États. La seule voie possible est politique. Je défends le droit légitime des Palestiniens à un État et à la paix, comme celui des Israéliens à vivre en paix et sécurité, l’un et l’autre reconnus par leurs voisins. » En se joignant à cette condamnation du Hamas, Johanna Rolland ne va pas se faire que des amis.
Cinquièmement, la mise en scène d’Emmanuel Macron est laborieuse. Il a convié pour la circonstance une conférence dans les locaux de l’ONU. Il a d’abord fallu la reporter de juin à septembre. Une dizaine de pays devaient se prononcer le même jour à l’assemblée générale des Nations Unies, mais le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et le Portugal lui ont coupé l’herbe sous le pied en publiant leur propre proclamation dès ce dimanche. Restent, pour franchir la ligne d’arrivée en même temps que le président français, Andorre, la Belgique, le Luxembourg, Malte et Saint-Marin… La conférence est co-présidée non par un chef d’État mais par le prince héritier d’Arabie saoudite, l’aimable Mohammed Ben Salman. Lequel, suprême outrage, n’a pas fait le déplacement : il se contente de parler en visioconférence !
Voilà donc Emmanuel Macron un peu seul. Heureusement que Johanna Rolland, contre l’avis de 71 % des Français, vient à son secours en se pliant à son tempo particulier !
Une porte ouverte sur le ministère des Affaires étrangères ?
Mais foin de ces considérations politiciennes : une naissance est un événement heureux. On comprend que la mairie de Nantes célèbre celle d’un État, même avec quelques décennies de retard (l’État de Palestine a été proclamé le 15 novembre 1988). Après tout, n’a-t-elle pas hissé le drapeau kosovar le 18 février 2008, quand la France a reconnu l’État du Kosovo, le lendemain de sa proclamation d’indépendance ? N’a-t-elle pas hissé le drapeau sud-soudanais le 9 juillet 2011 quand la France a reconnu l’État du Soudan du Sud (deux fois plus peuplé et cent fois plus vaste que la Palestine, soit dit en passant), le jour même de sa proclamation d’indépendance ? Non ? Zut alors, c’était sûrement par étourderie. Johanna Rolland devrait bien profiter de la circonstance pour se rattraper.
En tout état de cause, elle aurait pu montrer plus d’audace en s’inspirant d’un précédent fameux. En 2008, avant d’accueillir solennellement le Dalaï-lama, Jean-Marc Ayrault avait hissé le drapeau du Tibet devant la mairie de Nantes pendant plusieurs semaines. Le préfet lui avait demandé de le retirer. « C’est ce qui s’appelle un couac », avait commenté Le Monde.
Curieusement, comme aujourd’hui Johanna Rolland, le maire de Nantes d’alors allait à la rencontre des vœux du président de la République : Nicolas Sarkozy venait lui aussi de recevoir le Dalaï-lama, au grand mécontentement de la Chine. Mais c’est peut-être cette incursion pataude dans les questions diplomatiques qui a décidé François Hollande, six ans plus tard, à confier à Jean-Marc Ayrault le ministère des Affaires étrangères.
Johanna Rolland vient-elle à son tour de faire acte de candidature ? Moi, j’dis ça, j’dis rien. Tant que le Gwenn-ha-du flotte sur l’hôtel de ville, tout est bien.
Sven Jelure
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