Il y a beaucoup d’arbres dans les 189 mesures du programme municipal de Johanna Rolland. Les 25.000 arbres et arbustes promis au n° 13, d’abord, qui prendront plus de place sur le terrain que sur le papier. Et puis évidemment l’Arbre aux Hérons, serpent de mer municipal évoqué depuis 2004. Reléguée vers la fin du classement, au n° 151, la mesure le concernant se veut quand même ambitieuse : « Accompagner l’installation de l’Arbre aux Hérons (financement 1/3 Nantes métropole, 1/3 entreprises privées et 1/3 autres partenaires publics) : une offre de loisirs pour les familles, vitrine du savoir-faire et de l’inventivité nantaise à l’international. »
Là, franchement, il faudrait une explication de texte. L’accompagnement des mourants, par exemple, on voit de quoi il s’agit. L’accompagnement des Arbres aux Hérons, mystère. Quelle peut être cette « vitrine du savoir-faire et de l’inventivité nantaise à l’international » ? La dernière grande invention nantaise à l’international, c’était le commerce triangulaire. On ne va quand même pas s’y remettre ? Déjà que le site de l’Arbre se trouve « dans le prolongement du quai de la Fosse »…
Mais l’international, à Nantes, on y tient. L’Arbre aux Hérons « va nous donner une visibilité mondiale », récite Frédéric de Boulois, président des hôteliers de Loire-Atlantique, cité par Ouest-France. Attirer un public international, c’était déjà l’objectif officiel des Machines de l’île quand Nantes Métropole a décidé de les réaliser, le 18 juin 2004. Quant au Voyage à Nantes, lors de sa création en 2011, il avait pour objectif proclamé de « faire de Nantes une métropole touristique internationale ». Ces deux créations de Jean-Marc Ayrault ont donc raté leur coup, puisque l’Eldorado international reste à atteindre. Mais pourquoi l’Arbre réussirait-il là où ses auteurs ont déjà échoué ?
Une attraction mondiale fermée plus de trois jours sur sept
Parce qu’il sera « accompagné », sans doute ! On savait déjà que l’attraction exigerait de nombreux aménagements : semi-destruction de Cap44 pour lui ouvrir une vue sur Loire, navette fluviale forcément déficitaire depuis le Hangar à bananes, nouvelles lignes de transports en commun, parking, modification des voies de circulation… Il y en a pour des millions d’euros et, là, pas question de demander à des entreprises privées de payer un tiers de la facture : elle sera plein pot à la charge des contribuables métropolitains.
En plus des aménagements, il faudra des accompagnements. Car l’Arbre sera incapable de jouer seul un rôle d’attraction touristique internationale. Un « dossier de présentation des premières hypothèses d’exploitation et de sécurité » établi en juillet 2018 par l’association La Machine prévoit qu’il sera exploité… 203 jours par an.
On comprend pourquoi. L’Arbre sera exposé à toutes les intempéries. La pluie dégoulinera de branche en branche. Et il sera exclu de faire tournoyer des passagers à 40 mètres en l’air les jours de grand vent. L’attraction sera donc fermée de la fin des vacances de la Toussaint au début des vacances de Pâques, sauf pendant les vacances de Noël – qui bénéficieront sûrement d’une météo idéale. Il est probable que l’Arbre sera fermé aussi les jours de grande chaleur, à l’instar du toboggan du château des ducs de Bretagne, quand le métal chauffé par le soleil dépassera les 40 degrés. De quoi faire tomber le nombre des jours d’ouverture bien au-dessous de 200.
Des 203 jours d’ouverture théoriques, il faudra aussi retrancher les jours de panne. Quand on pense à la médiocre fiabilité de l’Éléphant*, pourtant pas plus complexe qu’une moissonneuse-batteuse, on frémit à la pensée de ce qui pourrait arriver à l’Arbre et à ses deux ascenseurs. Même les jours « sans », pourtant, il faudra payer sa cinquantaine de salariés.
Un accompagnement inéluctable
Quand l’Éléphant défaille, les visiteurs se rabattent sur la Galerie des Machines et le Carrousel des mondes marins (à propos, les Machines de l’île, elles, sont ouvertes plus de 300 jours par an). L’Arbre aux Hérons n’a pas de roue de secours. Le Jardin extraordinaire ? C’est comme si l’on demandait à un enfant privé de promenade sur l’Éléphant de se consoler en contemplant la grue jaune… Il va bien falloir prévoir une attraction de rechange pour les jours de fermeture.
Même sans panne et par temps doux, d’ailleurs, l’Arbre devra être accompagné. Les Hérons, son attraction majeure, auraient une capacité maximale de 100 visiteurs à l’heure, soit 900 par jour en période estivale, 300 pendant les vacances de Noël. Les autres visiteurs devront se contenter des jardins suspendus. Mais la capacité de ceux-ci ne dépasse pas 400 personnes, et l’on espère vendre jusqu’à 3.000 billets par jour en été, avec neuf heures de fonctionnement par jour**. À supposer que les visiteurs soient également répartis de 10:00 à 19:00 (on peut toujours espérer…), chacun d’eux ne devra pas passer plus de 1:12′ sur l’Arbre en moyenne. Il faudra leur proposer une autre occupation. L’« accompagnement » prévu — mais non chiffré — par Johanna Rolland serait donc inéluctable.
Ce n’est pas seulement moi qui le dis. Dans une Description du projet de décembre 2018, la compagnie La Machine — François Delarozière, donc — décide unilatéralement ceci : « La famille d’Andréa exploite le Manège Magique (anciennement Manège Catimini). Ce manège a été également construit par François Delaroziere. Il est donc indispensable qu’il soit présent dans les jardins de la Carrière à proximité de l’Arbre pour la plus grande satisfaction de nos visiteurs. » Johanna Rolland est disposée à obéir.
* Le Dragon et le Minotaure récemment installés par La Machine, respectivement à Calais et à Toulouse, ont aussi des problèmes de fiabilité.
** Là, une curiosité : l’Arbre serait ouvert de 10:00 à 19:00, ce que La Machine compte comme… dix heures d’ouverture par jour !
Sven Jelure
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