Petit segment à part au sein de la ligne verte du Voyage à Nantes 2024, le « Campus Créatif » illustre surtout l’échec d’une vieille ambition technocratique. Et c’est dommage, car ses étudiants mériteraient mieux que ça.
Au long de la ligne verte du Voyage à Nantes 2024, les numéros 39 et 40 sont les plus rébarbatifs d’aspect.
Au numéro 39, l’accueil de l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) est aussi peu convivial que celui d’un parking public, et pour cause : pour visiter l’exposition « J’habite ici ! », il faut gravir la rampe d’accès grillagée, sous le cagnard éventuellement, sous l’œil d’un vigile assurément.
Au numéro 40, l’École des beaux-arts Nantes Saint-Nazaire (EBANSN) n’est pas plus accueillante, mais en version rez-de-chaussée. Son énorme et sombre porte-à-faux d’aspect industriel domine de sa masse une élégante table en anneau copieusement salopée par les pigeons et les graffeurs. Pas la meilleure entrée en matière pour une exposition intitulée « Go Wild ».
Qu’on ne se laisse pas intimider ! À l’étage noble de l’ENSA, une trentaine de maquettes de maisons sont exposées ‑ « au sein d’une scénographie chaleureuse », assure la plaquette du Voyage à Nantes. En fait de scénographie, quelques blocs de terre noirâtre ont été déposés dans un vaste espace de béton poli, le côté chaleureux étant assuré par la météo. Quant aux maquettes, le Voyage à Nantes les compare à « des maisons de poupées à observer minutieusement ». On l’a connu plus prodigue de superlatifs. Mais a-t-il observé lui-même ? Ces travaux d’étudiants ne sont pas des joujoux pour ados attardés. À les « observer minutieusement », on perçoit au contraire des réflexions professionnelles solides et raisonnables. Trop peut-être : la végétation urbaine ne hante guère l’imagination de la future promo d’architectes. C’est peut-être par esprit de contradiction puisque le thème du VAN 2024 est « L’arbre dans la ville ».
À l’EBANSN, un vaste espace clair accueille une exposition collective d’une trentaine d’étudiants. Imagine-t-on qu’une bande d’artistes en devenir pourrait se passer de délires prétentieux et encombrants ? En l’occurrence, les œuvres, de genres divers (peinture, sculpture, photo…), se distinguent plutôt par leur sobriété et leur maîtrise technique. Elles sont bien servies par la mise en place élégante de la commissaire d’exposition Colombe Lecoq-Vallon (joli nom pour une expo sur le thème du vivant). Aucun cartel, c’est manifestement un parti-pris : les œuvres se suffisent ensemble à elles-mêmes sans envolées lyriques. Beaucoup sont d’ailleurs libellées « Sans titre », seuls quelques-unes font de la retape (mention pour Javiera Demetrio-Ruiz avec J’attaque!!! Où j’attaque??). Mais c’est peut-être trop compter sur le degré d’éveil des visiteurs après les 39 étapes précédentes de la ligne verte. N’aurait-on pu faire appel à quelques apprentis rédacteurs de la voisine Audencia SciencesCom pour regonfler les enthousiasmes ?
Car les numéros 39 et 40 font partie avec Audencia SciencesCom et quelques autres d’un sous-ensemble du Voyage à Nantes 2024 présenté comme le « # Campus Creatif Nantes » – « un seul et unique quartier de tous les possibles ». Un ghetto hors duquel rien n’est possible, en somme ? (La traduction anglaise donne : « a single district, where students can dream big », ce qui paraît tout de suite moins despotique.) Cette tentative de création d’une étiquette commune souligne plus qu’elle ne dissimule une cruelle réalité : de campus, il n’y a point. Alors que 800 mètres à peine séparent l’ENSA à l’Est de Cinécréatis à l’Ouest, avec une demi-douzaine d’établissements entre les deux on ne voit rien qui évoquerait l’unité et la vie d’un campus. Le numéro 38 de la ligne verte, L’Absence, semble donner le ton aux étapes suivantes.
Une vieille idée maintenant
C’est l’un des plus tristes aspects du ratage urbanistique de l’île de Nantes telle qu’héritée de l’époque Ayrault. L’idée du Quartier de la Création remonte à une vingtaine d’années. Réuni en 2017 sous la présidence de Johanna Rolland, le conseil de Nantes Métropole se payait encore de mots : « Nantes Métropole a l’ambition, avec le Quartier de la Création, de créer un pôle de compétences de niveau international à la croisée de l’économie, la recherche, la formation et la culture, de développer de nouvelles formes d’activités et de contribuer ainsi à l’émergence d’un mode de croissance économique issue des Industries Culturelles et Créatives (ICC). Ainsi, au sein du Quartier de la création, en phase de construction, émerge un «campus créatif», avec la présence sur site de… » ‑ ici une belle liste d’établissements et d’équipements d’enseignement supérieur : Médiacampus, École de design Nantes Atlantique, etc.
Quelques mois plus tard, Nantes Métropole confiait à la SAMOA par délégation de service public de, entre autres, « assurer la montée en puissance du Campus Créatif associant art, culture, recherche, enseignement supérieur et économie, sur un campus urbain, qui a vocation à rayonner à l’échelle métropolitaine, régionale et européenne ». Déjà, on ne prétendait plus à l’échelle internationale : c’était mauvais signe. Depuis lors, certains établissements sont brillamment illustrés grâce au talent de leurs enseignants et de leurs étudiants. Le Campus Créatif, lui, est resté pour l’essentiel un concept publicitaire inabouti que le Voyage à Nantes continue à traîner machinalement.
D’autres « campus créatifs » se sont créés ailleurs : Montpellier, Lille, Cannes, Bordeaux, Tours, Rennes… Le nom « Campus Créatif » lui-même a été déposé par une société montpelliéraine. Interrogé sur « campus créatif », le moteur de recherche Bing* de Microsoft mentionne d’abord les campus créatifs de Lille, Bordeaux et Montpellier. Celui de Nantes n’arrive qu’à la treizième réponse : sa « montée en puissance » ne l’a pas mené bien haut en sept ans. On aimerait ricaner des échecs de Nantes Métropole (« Caramba, encore raté ! »), mais sur un tel sujet, alors que Nantes partait avec tant d’atouts et y a mis tant de moyens, et a suscité tant d’espoirs sans doute, le résultat inspire surtout la consternation.
Sven Jelure
* Pourquoi Bing ? Parce que Google a parfaitement repéré que je m’intéresse à Nantes et me présente d’abord ce qui concerne la ville ! Il me fallait un moteur de recherche « naïf ».
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