Deux hauts fonctionnaires viennent d’être mis en examen pour des faits datant de la construction du Carrousel des mondes marins. Deux dirigeants de la SAMOA, dont l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault l’avaient déjà été voici six mois. Mais pourquoi Pierre Orefice et François Delarozière tiennent-ils à s’en mêler ?
« Il n’y a rien dans l’enquête autour du montage du Carrousel », assure dignement Pierre Orefice à Presse Océan (3 décembre 2022). « On a fait les choses bien », ajoute-t-il, sans préciser qui est cet « on » : Le directeur des Machines de l’île ? Les deux créateurs du Carrousel des Mondes Marins ? La SPL Le Voyage à Nantes, son gestionnaire ? Nantes Métropole, qui en est propriétaire ? L’ensemble des protagonistes du dossier ?
L’institution judiciaire ne semble pas aussi convaincue par ce « rien » et par ce « bien ». Déjà, dès la première page de son rapport d’observations définitives (ROD) consacré la SPL Le Voyage à Nantes, la Chambre régionale des comptes écrit en 2017 :
La chambre a analysé l’organisation de la commande publique, et tout particulièrement, l’opération de construction du carrousel des mondes marins (d’un montant global de 10 M€). La SPL n’a pas toujours respecté les obligations légales, réglementaires ou contractuelles qui s’imposaient à elle.
Des conséquences judiciaires sont inéluctables. Mais le dossier est compliqué par un mélange des genres typique de la municipalité nantaise. Après avoir fait construire Les Machines de l’île, Nantes Métropole en confie l’exploitation, par délégation de service public (DSP), à une société d’économie mixte, Nantes Culture et Patrimoine en 2007. Les Machines de l’île ouvrent leurs portes le 30 juin 2007. La même année, le 27 octobre, Nantes Métropole décide la construction d’un Manège des mondes marins. Il doit coûter 6,4 millions d’euros et ouvrir ses portes au début de l’été 2009 (il coûtera finalement 10 millions et ouvrira en juillet 2012). Le suivi de la construction est confié à Nantes Culture et Patrimoine.
La SAMOA en sous-marin
Début 2011, Nantes Culture et Patrimoine est transformé en une société publique locale (SPL), Le Voyage à Nantes, englobant aussi l’office de tourisme et l’opération Estuaire, précédemment gérée par l’association CRDC-Le Lieu unique. La Chambre régionale des comptes s’apprête à étriller sévèrement le CRDC ; pourtant, c’est son patron, alias Jean Blaise, que Jean-Marc Ayrault nomme à la tête du Voyage à Nantes. Lequel s’empresse de passer contrat avec l’association La Machine pour construire le manège.
Mais le pilotage de l’opération est en fait assuré par la société d’économie mixte (SEM) SAMOA, dirigée par Jean-Luc Charles, ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault. Aurait-on préféré en haut lieu ne pas laisser la bride sur le cou aux services de Jean Blaise ? Cette mission s’étend du 5 juillet 2010 au 30 avril 2011. Elle est formalisée par un contrat signé le… 13 août 2012 !
Ce qui n’amuse pas du tout la Chambre régionale des comptes. S’agissant d’un contrat administratif, note-t-elle, « la rétroactivité est une illégalité ». Le grand mot est lâché, les jeux sont faits : dès l’adoption du ROD, le 7 septembre 2017, les suites judiciaires sont dans les tuyaux. Fin 2017, la police judiciaire ouvre une enquête. En juin 2019, elle visite Le Voyage à Nantes. En mars 2021, elle perquisitionne ses locaux.
Pas de vagues
Ce n’est pas stricto sensu le calendrier des relations entre Le Voyage à Nantes et la SAMOA qui vaut à Jean-Luc Charles et à l’une de ses collaboratrices de l’époque d’être mis en examen en juin dernier. On leur reproche d’avoir commis un délit de favoritisme. Celui-ci consiste, pour une personne chargée d’une mission de service public, à« procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié » (article 432-14 du code pénal). La police judiciaire a donc hameçonné davantage qu’un contrat rétroactif. Et rien ne dit qu’elle ait fini de tourner le moulinet.
Les mises en examen intervenues voici quelques jours impressionnent parce qu’elles concernent deux très hauts fonctionnaires. Cependant, on ne leur reproche qu’une complicité de favoritisme. C’est bien la SAMOA qui reste en vedette. Les milieux métropolitains veillent à parler de Jean-Luc Charles comme d’un « ancien » directeur général de la SEM : il serait parti en retraite depuis le mois d’avril 2022. Mais son départ n’a été déclaré au registre du commerce et des sociétés que le 13 juillet et publié au BODACC le 22 juillet. Encore un problème de rétroactivité, sans doute…
Affirmer que « il n’y a rien dans l’enquête autour du montage du Carrousel » est donc beaucoup s’avancer. Inutilement, qui plus est. Le ROD de la chambre régionale des comptes porte sur Le Voyage à Nantes, le Carrousel est un équipement qui appartient à Nantes Métropole et dont le nom a été déposé par Le Voyage à Nantes (en novembre 2012, quatre mois après son inauguration ‑ toujours un problème de rétroactivité). François Delarozière et Pierre Orefice auraient pu rester dans l’ombre en sifflotant innocemment. Ils semblent pourtant tenir à dire qu’ils n’y sont pour rien. Ils ne craignent donc pas l’effet Streisand ? Car le ROD montrait tout de même que La Machine était impliquée dans plusieurs irrégularités, portant notamment sur des factures. De là à penser que Johanna Rolland a préféré ne pas réitérer l’expérience avec l’Arbre aux Hérons…
Sven Jelure
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