Bien qu’elle oublie l’héritage des Allumées, que tout n’y soit pas médiéval ni même chevaleresque et que sa version nantaise s’égare sur des pistes peu productives, l’exposition Chevaliers, présentée au château des ducs de Bretagne jusqu’au 20 avril 2025, mérite une visite.
Chevaliers nous vient du musée Stibbert. Celui-ci n’est pas sans évoquer le musée Dobrée. Frederick Stibbert (1838-1906), héritier de l’immense fortune amassée par son grand-père, gouverneur militaire du Bengale britannique, a réuni une collection vaste et éclectique dans une demeure fantasmagorique, alliant entre autres néo-classique, néo-médiéval et néo-rococo, sur les hauteurs de Florence – à laquelle il a légué le tout à sa mort. Contrairement au département de Loire-Atlantique, cependant, la ville italienne a respecté les clauses du legs en maintenant le musée dans son jus.
La concurrence entre musées est rude dans cette ville qui en compte soixante-dix ; certains guides de voyage, comme le Florence Toscane de National Geographic, ne citent même pas le musée Stibbert. Pour faire bouillir la marmite, il s’exporte, en particulier grâce à sa collection d’armes de toutes époques et de tous pays. Si les armes sont l’une des grandes forces du musée Dobrée, avec deux mille pièces, pour la plupart enfermées dans ses réserves, le musée Stibbert en possède seize mille et s’efforce de les montrer. Ainsi est née cette exposition passée par Ottawa, Atlanta, Nashville et Arlington avant de parvenir au château des ducs. Elle « a été conçue pour valoriser et faire connaître à un public plus vaste une section du Museo Stibbert », explique sans fausse pudeur Enrico Colle, directeur de l’institution, dans un beau-livre édité par le château de Nantes.
Le métal et le mental
« Le propos principal de l’exposition », assure néanmoins le Château, « est d’illustrer et de faire revivre la figure emblématique du chevalier, le code de la chevalerie qui l’anime, sa relation à la guerre, sa place dans la société de l’époque et les formes de démonstration de son statut, comme la coutume des tournois et des joutes. » C’est ratisser large. Si, au-delà du thème de l’armement médiéval, on veut traiter vraiment d’histoire, de sociologie, de culture, de littérature et même de théologie, dix châteaux des ducs n’y suffiront pas. Merlin, au secours !
Le Château tente néanmoins de rassurer : « Chevaliers est une exposition constituée d’un ensemble d’armes et d’armures européennes datant du Moyen Âge et de la Renaissance ». Cette promesse-ci est réalisée et vaut le coup d’œil. Hélas, l’équipe de Bertrand Guillet a voulu y ajouter son grain de sel. Réalisée « en collaboration avec le musée Stibbert », l’exposition s’est élargie à de « nouveaux thèmes, comme la chevalerie française et bretonne, la place des femmes dans cet univers masculin et le mythe du chevalier dans les arts, la littérature, le cinéma aux 19e et 20e siècles ». Aux pièces de collection tangibles venues du Stibbert, le Château a ajouté des textes rédigés localement sur des sujets plus incertains, où il s’attache à dénicher des « mythes » : « La construction d’un mythe » pour Bertrand du Guesclin, « Entre légende et réalité » pour le Cid, « Le mythe du chevalier croisé exemplaire » pour Godefroi de Bouillon… D’ailleurs, conclut-il en fin d’exposition, le chevalier est un « véritable mythe [sic] réinventé et réactualisé par des médias très variés »…
À prétendre faire une exposition autre que celle qu’il a achetée, le château a eu les yeux plus gros que le ventre. Le résultat est disparate et paraît même un peu bâclé. Pourquoi qualifier Lancelot de « chevalier ambigu » alors qu’il « incarne l’archétype du chevalier, symbole de la quête perpétuelle d’un idéal hors d’atteinte » ? Pourquoi présenter Ségurant le Brun comme « le chevalier oublié » ? Emanuele Arioli, chercheur tenace et talentueux, et sans doute pas ennemi d’un peu de publicité, assure l’avoir « redécouvert », mais voici déjà cinq ans qu’il le proclame à tous les micros ouverts : ce chevalier « oublié » a eu le temps de devenir célèbre ! Pas bien loin de Nantes, le Centre de l’Imaginaire Arthurien du château de Comper en Brocéliande lui a par exemple consacré son exposition annuelle 2024.
Les Allumées éteintes
Le véritable « chevalier oublié » de l’exposition, en réalité, c’est Tirant le Blanc (Tirant lo Blanch en V.O.) : elle n’en dit pas un mot (sauf dans le beau-livre édité par le musée pour l’exposition). L’omission est à peine croyable puisque ce petit-fils d’un duc de Bretagne aurait été enterré dans la cathédrale de Nantes et qu’une place de la ville porte son nom à 200 m de là ! Cet emplacement est l’un des seuls vestiges de la première édition des Allumées, en 1990. La ville invitée était Barcelone, or les aventures de ce chevalier de la Table Ronde nantais ont été contées en catalan par Joanot Martorell. Cervantès y voyait « le meilleur livre du monde ». Après avoir cru à un canular, Jean-Marc Ayrault avait donné le nom du chevalier à la petite place située à la jonction de la rue de Strasbourg et de la rue des Carmélites.
« Quand Nantes se redécouvre un héros légendaire, écrivait alors Luc Douillard,
« Aussi médiéval qu’Anne de Bretagne mais bien plus célèbre à l’étranger
« Plus fictif que Cambronne mais plus excitant
« Aussi littéraire que Jules Verne mais sous la forme de personnage de roman
« Aussi apprécié que le Petit Beurre LU mais ignoré dans sa propre ville »
Et voilà le résultat : trente-cinq ans après Les Allumées, Tirant le Blanc est ré-ignoré. Le travail est à refaire ! Bien sûr, ce chevalier tueur de Maures qui a tenté d’arrêter la conquête islamique à Constantinople est peut-être moins politiquement correct aujourd’hui. Mais on pourrait éventuellement lui trouver un lien de parenté avec le « croisé » de Breuning exposé à la présidence de l’université.
Sven Jelure
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