La Tour Bretagne encore dans les nuages

« La Tour Bretagne est un symbole de Nantes et de sa métropole. Elle est vide depuis plusieurs années » (sic), déclare Johanna Rolland dans son communiqué. D’accord avec Nantes Métropole, le Groupe Giboire vient de présenter un projet de transformation de la Tour Bretagne.

Demain ça ira mieux, c’est promis. Désormais résidentielle, la Tour Bretagne sera dotée d’un rooftop. Rooftop ! Le mot fait vibrer d’aise l’urbaniste qui sommeille en chacun de nous. C’est l’un de ces mots anglais qui signifient autre chose en français que dans leur langue d’origine. En anglais, rooftop désigne le toit, ou plus exactement sa face extérieure. On trouve à New York des rooftop bars, des rooftop lounges, des rooftop observatories, jamais de rooftops tout seuls. Sauf dans les guides touristiques en français, bien sûr.

Privée du Nid, la Tour aura donc un rooftop, et même un « lieu de convivialité et de culture », c’est-à-dire un bar au sommet quoi. Tout comme la Tour Saupin, à côté du stade du même nom, elle aussi fruit d’un accord entre le Groupe Giboire et Nantes Métropole.

Houlala ! Attention, là. Certes, la Tour Saupin devait avoir un rooftop, mais finalement, elle n’en aura pas : faire fonctionner un bar au 17e étage, ce serait trop cher ! Reste à espérer que ça ne soit pas encore plus cher au 33e étage de la Tour Bretagne…

La Tour parent pauvre du projet ?

Le Groupe Giboire annonce une « transformation » de la Tour. « C’est une opportunité en plein centre-ville pour reconstruire la ville sur elle-même », affirme aussitôt Johanna Rolland. Que fait-on, alors, on transforme ou on reconstruit ? Les deux, ma générale, peut-être bien. Car le projet comprend en réalité deuxbâtiments. « Distincts mais indissociables », assure le Groupe Giboire.

Le premier des deux est un bâtiment nouveau construit sur huit étages côté place du Cirque et rue de l’Arche-Sèche. Ainsi dissocié de la Tour dont il est indissociable, il échappe à la réglementation des immeubles de grande hauteur (IGH). Construit à la place du parking privé et de l’immense rampe d’accès de la Tour Bretagne, il bénéficie d’un potentiel constructible qui, au prix du marché, facilitera la rentabilisation de ce premier immeuble. Il hébergera un hôtel de 102 chambres (qui, en l’état actuel du plan local d’urbanisme, pourra se contenter d’une trentaine de places de stationnement). « On y trouvera un hôtel et un restaurant dont la terrasse, surplombant les toits de Nantes, sera ouverte au grand public », assure Nantes Métropole. Tiens, dans ce premier immeuble, ce ne sera pas un rooftop ?

Le second immeuble est la Tour elle-même. « Sa forme d’origine sera conservée dans le respect de son histoire et son esprit », assure l’un de ses architectes. Bel échantillon de langue de bois au service du béton : si l’on conserve le bâtiment, une tour crayon de 144 m de haut, comment ferait-on pour ne pas conserver sa forme d’origine ? Quant à respecter « son histoire et son esprit », ce n’est pas forcément engageant, s’agissant d’un immeuble vite déserté par les activités commerciales, décrié par ses occupants, mal-aimé des Nantais et évacué pour cause d’amiante. « Sublimer ce bâtiment emblématique » (emblématique de quoi, d’ailleurs ?) ne sera pas du luxe. C’est la manière qui intrigue. On annonce qu’elle sera désormais de couleur claire. Est-ce si sublime en soi ? Les illustrations d’artiste montrent quelque chose à l’aspect plutôt HLMisant, dans l’esprit des immeubles de la porte de la Chapelle à Paris. On a beau aspirer au sublime, il n’y a pas de miracle.

Scoop : la Bretagne bientôt réunifiée !

Il faudra voir à l’usage. « Le projet de réhabilitation permettra d’accueillir des usages plus diversifiés et en phase avec les enjeux du 21e siècle » promet justement Nantes Métropole qui, en exemple de ces usages et enjeux d’aujourd’hui, cite expressément l’Agence culturelle bretonne. Le message est subliminal mais il est clair : Johanna Rolland a opté pour la réunification de la Bretagne ! D’autres « usages en phase avec les enjeux du 21e siècle » et pas moins emblématiques auraient pu être imaginés. Tiens, par exemple, New York s’apprête à construire à Chinatown, en plein Manhattan, un jailscraper, tour-prison de 40 étages pour 886 prisonniers…

À l’été 2013, un grand panneau d’affichage apposé face au château des ducs de Bretagne annonçait : « Ici, le Groupe Giboire investit pour la préservation du patrimoine ». Il s’agissait de sauvegarder la façade de l’ex hôtel de la Duchesse Anne, détruit par un incendie le… 14 juin 2004 ! Ces travaux devaient avoir lieu« dans le respect du plan de sauvegarde et de mise en valeur du centre-ville ». En juillet 2014, des travaux commençaient. Mais ils étaient mandatés par Nantes Métropole et effectués par Lefebvre Rénovation. En juillet 2015, le patrimoine si diligemment préservé était entièrement démoli à l’initiative de Nantes Métropole. À peu près rien n’a bougé depuis lors.

Nous n’avons aucune raison de suspecter un gag répétitif. Mais la Tour Saupin incite à la circonspection. Avant de sauter de joie à 144 m de hauteur, on se dit qu’il vaut mieux attendre et voir.

Sven Jelure

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