L’Étrange été, tel est le thème général du Voyage à Nantes 2025. Étrange en effet que Jean Blaise n’ait pas tenu à partir en retraite sur une édition à visées plus internationales. L’événement estival, qui n’a pas réussi en quatorze ans à s’inscrire dans les circuits mondiaux, se contente d’un destin de plus en plus nanto-nantais.
Le Voyage à Nantes 2025 a été concocté par Jean Blaise avant son départ en retraite. Sophie Lévy, qui lui a succédé, ne manque pas une occasion de le rappeler. Est-ce par courtoisie ou plutôt pour dégager sa responsabilité ? Avec l’installation Latest Version sur la fontaine de la place Royale, on aurait pu la soupçonner d’avoir paresseusement prolongé la recette de l’exposition Hyper sensibleorganisée par elle au musée d’arts. Après tout, si l’hyperréalisme réjouit le bon peuple, pourquoi faire autre chose ? Mais si c’est un choix de Jean Blaise, alors c’est tout de même autre chose.
D’ailleurs, Nantes s’en tire bien. Avec Willem de Haan, on pouvait craindre le pire. Ce jeune Néerlandais excelle dans la blague douteuse. Il a exposé des totems d’ordures à Berlin, des toilettes mobiles à Tilburg, des tentes de camping superposées à côté de Kampen… Sa Latest Version nous ramène plus confortablement à une sorte de musée Grévin nantais aux effigies de personnages locaux.
Locaux ! Là est le secret ! Le Voyage à Nantes 2025 ne s’adresse plus qu’aux Nantais. Eux seuls chercheront à reconnaître dans les mannequins de la place Royale des gens qu’ils croisent dans la vie quotidienne.
Lors de sa création en 2011 sous la houlette de Jean Blaise, l’événement estival avait pour mission de donner à Nantes une « envergure internationale ». L’échec est évident. Google Trends, impitoyable, montre que les recherches sur « voyage à nantes » déclinent irrémédiablement d’année en année et proviennent rarement de l’étranger. Quand 100 recherches sont effectuées en France, sur les cinq dernières années, 3 le sont en Belgique, 1 en Espagne, moins de 1 dans tous les autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
L’illusion ratée
Pour la quatorzième édition de son événement estival, Le Voyage à Nantes ne fait même plus semblant. La couverture de son livret saisonnier témoigne de son orientation vers le seul public local. Elle montre la colonne Louis XVI sans Louis XVI. Seuls les Nantais peuvent être intrigués par cette disparition d’un élément familier de leur décor. Ce jeu de cache-cache passe au-dessus de la tête des touristes qui ignorent l’état ordinaire des choses. Sur le livret qui leur est remis, ils ne voient rien d’autre qu’une photo de ciel retouchée. Maladroitement.
Plus maladroite encore est la réalité. On suppose qu’Antipodos, d’Ivan Argote, a été choisi pour provoquer le fameux « effet waouh » que Jean Blaise espérait dans toute édition du Voyage. C’est raté. Le Voyage à Nantes persiste à se féliciter d’une « illusion de la disparition » de Louis XVI, et les médias veulent bien reprendre ses propos. Pourtant, tout le monde voit bien que le tour de magie révèle trop ses ficelles. À la place de la statue, on a une grosse boîte cylindrique. Les miroirs qui la composent ont beau refléter le ciel, ils demeurent visibles en tant que miroirs. Il est étonnant que les anciens collaborateurs de Jean Blaise aient cherché à le cacher au lieu de faire de nécessité vertu, comme souvent (genre « douze miroirs postés en haut de la colonne offrent au passant des reflets venues de tous les points cardinaux », etc.). Ivan Argote a vendu une fausse bonne idée au Voyage à Nantes. Ce dernier s’est laissé prendre au point d’imprimer imprudemment, par milliers, un livret illustré d’un concept irréalisable.
Ses photomontages montrent aussi un personnage en train de gravir la colonne – ou de la descendre, selon qu’on regarde sa tête ou ses pieds. Dans la réalité, impitoyable, on le voit solidement fixé à la colonne par un double cerclage métallique, aussi moche qu’indispensable. Quant à la sculpture elle-même, une fois de plus, le Voyage à Nantes fait dans le déjà-vu. Son Antipodos diffère surtout par le « s » final de l’Antipodo exposé à Anvers, d’abord au Stadspark en 2023, puis au Schengenplein depuis l’an dernier. Divers bronzes intitulés Antipodo ont aussi été édités.
Vaché squeezé
Sans doute est-ce pour insister sur « l’étrangeté », thème de cette année, qu’on a placé en exergue du livret une citation comme choisie par une fléchette dans Les Pas perdus d’André Breton. Le même recueil contient pourtant ceci : « c’est à Jacques Vaché que je dois le plus. Le temps que j’ai passé avec lui à Nantes en 1916 m’apparaît presque enchanté. […] Sans lui j’aurais peut-être été un poète ; il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation. » Jacques Vaché est évoqué par la Mauvaise troupe de Romain Weintzen, exposée cet été au lycée Clemenceau. Aurait-il pas été légitime de lui rendre hommage avec cette citation nihiliste comme faite exprès pour Le Voyage à Nantes ?
Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que tout soit à jeter dans les installations de 2025. Au palmarès du sauvable, je citerai les statues de la place Royale enfermées derrière des grilles en attendant de récupérer leur socle sur la fontaine, le cours Cambronne, qui a échappé aux réquisitions cette année mais qu’il est toujours agréable de parcourir, Aurarium, de Jenna Kaës, au dispensaire Jean V, L’Absurdistan, de Gloria Friedmann, à l’hôtel de Briord et surtout Vie de bêtes, d’Éléonore Saintagnan, au passage Sainte-Croix, pour la désopilante vidéo biographique du perroquet Ver-Vert. Et chapeau au diocèse de Nantes pour l’avoir tolérée en ses locaux !
Sven Jelure
Partager la publication "Le Voyage à Nantes devenu simple balade dans Nantes : l’étrange retraité"