Les Machines de l’île continuent à ramer dans le sillage du festival américain Burning Man. Elles exposeront cette année une œuvre qui y a eu autrefois son heure de gloire. Pas une nouveauté, donc, mais tout de même un spectacle étonnant à la nuit tombée. Âmes sensibles s’abstenir, cependant.
« Inédit », assure Presse Océan à propos de l’installation Charon, qui sera visible aux Machines de l’île de Nantes en juillet. Pas si inédite que ça, pourtant. L’information avait déjà été livrée par Pierre Orefice en décembre 2020. « Je l’ai découverte au festival Burning Man en 2017 », raconte-t-il sur le compte twitter des Machines de l’île. Une « découverte » un brin naïve puisque Charon a été créé pour ce festival en 2011. En 2017, c’était déjà du réchauffé, si l’on peut dire à propos d’un festival aussi prompt à manier le brandon !
Charon est un zootrope. Le zootrope n’a rien d’inédit non plus : la technique date d’avant le cinéma muet. Elle consiste à faire défiler des images ou des formes pour donner l’illusion du mouvement en jouant sur la rémanence rétinienne. Cependant, Charon est particulièrement remarquable du fait de sa grande taille. L’œuvre se présente comme une roue d’une dizaine de mètres de diamètre sur le pourtour de laquelle sont fixées une vingtaine de reproductions de squelettes humains décomposant le mouvement d’un rameur. Quand la roue tourne, on croit voir les squelettes pagayer. L’effet est surtout spectaculaire dans l’obscurité grâce à un effet stroboscopique.
L’auteur de Charon, Peter Hudson, alias Hudzo, s’est imposé comme le maître du genre depuis sa première participation au Burning Man, qui remonte à l’édition 2000. En 2012 déjà, il se disait « disponible pour des installations d’art cinétique zootrope à grande échelle pour des manifestations et des festivals dans le monde entier ». Les Machines de l’île avaient loupé l’occasion, mais Peter Hudson avait été exposé à cette époque dans quelques pays d’Europe. Au lieu d’aller jusqu’au Nevada en 2017, Pierre Orefice aurait ainsi pu « découvrir » Charon au festival Robodock d’Amsterdam en 2012.
Peter Hudson semble s’être un peu désintéressé des zootropes ces dernières années. Apparemment, il n’en a plus produit depuis L’éternel retour, successeur de Charon, en 2014. Il les aurait vendus avec tout le contenu de son studio de San Francisco avant de déménager en 2018. La tournée de Charon, qui après Nantes sera visible à Londres, Paris, Anvers et Clisson – pour le Hellfest 2023 – sera donc plus une rétrospective qu’une découverte.
Au fait, le nom Charon renvoie bien sûr au nautonier des Enfers de la mythologie grecque, qui faisait traverser le Styx aux âmes des défunts. Le nom convient tout à fait à cet équipage de squelettes rameurs. Il a inspiré Nantes Métropole qui annonce froidement : « Une grande roue mortelle cet été au parc des Chantiers ». Rien de tel pour attirer les touristes.
Sven Jelure
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