La discrète monnaie locale nantaise Moneko fait de son mieux pour exister sur un créneau difficile qui reste embryonnaire depuis une dizaine d’années. Héritière d’une tentative municipale ratée qui a englouti des millions d’euros sous la houlette de Pascal Bolo, elle va encore descendre une marche à fin mars en évinçant ses souscripteurs inactifs.
Moneko s’apprête à faire le ménage dans ses comptes. Moneko, pour qui l’ignorerait, est une « monnaie locale complémentaire » (1 moneko = 1 euro) qui circule en Loire-Atlantique. Le système fonctionne par adhésion. Désormais, le versement d’une cotisation annuelle sera exigé. Et ceux qui détiendraient encore quelque argent en Moneko sans l’utiliser seront taxés pour « compte inactif ». Ce système qui avait pour idéal d’échapper au système bancaire se comporte comme lui.
À fin 2022, près de 2 000 adhérents particuliers étaient inscrits sur ses registres. Mais le nombre réel de cotisants n’était que de 585, soit 0,038 % des habitants de Loire-Atlantique. Ils peuvent effectuer des achats auprès d’entreprises ou de prestataires acceptant des paiements en Moneko : dans cette catégorie, on compte encore 300 inscrits, mais seulement 188 cotisants. Le nettoyage dénote un certain courage : après lui, il ne restera pas grand chose.
D’après son récit officiel, Moneko est né d’une fusion entre le Retz’L, monnaie locale du pays de Retz, et la SoNantes… SoNantes, ah ! tout s’éclaire pour les Nantais qui ont un peu de mémoire !
Ce nom reste attaché à une péripétie franchement grotesque. Ses origines remontent à 2006 : sous l’impulsion de Jean-Marc Ayrault, l’Agenda 21 de Nantes Métropole, programme d’action écologique pour le 21e siècle, prévoit la création d’une monnaie locale. Puis viennent des années de palabres et d’investigations menées par Pascal Bolo, ancien inspecteur des finances publiques et adjoint aux finances du maire de Nantes, Jacques Stern, directeur du Crédit municipal, et Massimo Amato, professeur d’histoire économique dans une université italienne, propulsé « conseiller scientifique auprès de la Ville ».
Après une longue gestation et quelques voyages d’études, en Suisse notamment, ce trio d’élite crée une monnaie complémentaire locale (MLC) dénommée Nanto, puis SoNantes. Elle est « complémentaire » car elle ne prétend pas supplanter l’euro ! Entièrement virtuelle, elle fonctionnera avec une carte magnétique. C’est son originalité, car la plupart des monnaies locales existantes ont imprimé leurs propres « billets de banque » ‑ souvent achetés comme souvenir par des touristes de passage.
Fiasco annoncé vite réalisé
Deuxième originalité : au moment où la carte SoNantes est lancée, en 2015, le porte-monnaie électronique Monéo est déjà en plein naufrage. Inexplicablement, MM. Bolo, Stern et Amato n’en tirent pas de leçon et présentent la SoNantes lors d’un grand raout dans un palace bruxellois. Ils paraissent encore nourrir de grandes ambitions pour leur système. Exprès pour lui, le Crédit municipal a créé une filiale, SoNao, qui a développé à grand frais un logiciel de gestion ad hoc, qu’on espère vendre un peu partout pour gérer d’autres monnaies locales. Sous le label de l’économie sociale et solidaire s’est glissée une bonne dose de start-up capitaliste !
Le volet social et solidaire est néanmoins assuré par une association elle aussi ad hoc, La SoNantaise, domiciliée au Crédit municipal de Nantes. Elle est chargée d’assurer la promotion de la SoNantes. Ainsi, les efforts sans but lucratif favoriseront la commercialisation du logiciel de SoNao.
Cet ambitieux projet tourne vite au fiasco. La faute à pas d’chance, comme le plaide Pascal Bolo ? Pas du tout, le projet était mal embarqué dès le départ et a accumulé les erreurs. Qui voudrait reconstituer le feuilleton retrouvera aisément ses épisodes sous le lien suivant : « Bolopoly (35) : FiascoNantes ». SoNao est dissoute en novembre 2017, après moins de trois ans d’existence. D’abord, la SoNao vend toute l’exploitation à La Sonantaise. Montant de la transaction : 521 euros. C’est tout ce que vaut désormais cette société qui a consumé l’essentiel des 2 millions d’euros investis dans le projet par le Crédit municipal !
« Ce projet n’a pas coûté le moindre centime d’argent public, puisque la monnaie est issue du capital du Crédit municipal », assure néanmoins Pascal Bolo à Presse Océan qui titre sur « le fiasco de la monnaie locale ». C’est jouer sur les mots : comme le Crédit municipal appartient à Nantes, les sommes englouties dans le projet sont bel et bien de l’argent public. De plus, les frais d’étude du projet, qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros ont été supportés par Nantes ou Nantes Métropole. Aujourd’hui encore, Moneko ne peut fonctionner que grâce aux subventions – pardon, aux « cotisations » ‑ de ses « adhérents solidaires », au premier rang desquels Nantes Métropole, la ville de Nantes, le Crédit municipal de Nantes, Nantes Gestion Équipements, Le Voyage à Nantes et la TAN… présidée par Pascal Bolo. L’argent public demeure solidaire.
Manteau de Noë sur la Sonantaise
On tente néanmoins de brouiller les pistes en modifiant les noms. La SoNantes devient Moneko. La Sonantaise adopte un nouveau nom aussi neutre que possible : MLC44. Le Retz’L, monnaie complémentaire du Pays de Retz, qui s’était rapproché de l’initiative nantaise, disparaît dans l’aventure. L’association qui le gérait est dissoute. La marque SoNantes, déposée à l’INPI par le Crédit municipal, expirera dans quelques jours, le 17 avril 2023, à moins que quelqu’un ne se préoccupe de la renouveler d’ici là. La marque La Sonantaise, déposée par Jacques Stern au nom du Crédit municipal de Nantes, expirera le 5 décembre prochain.
Le changement de nom, d’adresse et d’objet de La Sonantaise ne sont même pas publiés au Journal officiel. Il est seulement signalé à la préfecture et au répertoire national des associations (RNA), dont la consultation n’est pas des plus faciles. C’est légal mais spécialement contestable en l’occurrence, puisque l’association a en fait changé de nature. Lors de sa création, La Sonantaise avait pour but d’« organiser le caractère participatif et citoyen de la monnaie de Nantes ; contribuer au développement de la monnaie de Nantes », etc. Aujourd’hui, MLC44 a pour objet « l’émission, la gestion et le développement de la monnaie locale complémentaire et solidaire sur le territoire de la Loire-Atlantique ». La différence n’estpas anodine : aux termes l’article L311-5 du code monétaire et financier une association ne peut émettre et gérer une MLC que si c’est son « unique objet social ».
L’échec de la SoNantes, finalement, résulte d’un constat attristant : les monnaies locales, dans le fond, tout le monde s’en fout, hormis une poignée de militants convaincus, comme au Pays basque, ou l’eusko, seule MLC prospère de France, fait rimer solidarité avec identité. C’est la chance de Pascal Bolo : ce désastre discret n’aura pas durablement terni la réputation du grand manitou des finances municipales nantaises (et futur sénateur de Loire-Atlantique ?).
Sven Jelure
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