Pierre Orefice, directeur des Machines de l’île, prend sa retraite. On la lui souhaite heureuse. Ce qui n’empêche pas d’essayer de faire le point sur son œuvre managériale, dont les résultats ne sont pas à la hauteur des folles espérances ayraultiques.
D’abord, on est surpris d’apprendre de sa bouche que François Delarozière et lui sont « en pleines négociations sur le renouvellement des droits avec Nantes Métropole pour imaginer la suite de l’histoire des Machines, même sans l’Arbre ». Encore des droits d’auteur ? On croyait la question réglée depuis longtemps. Jean-Marc Ayrault l’avait négligée, les services juridiques de Nantes Métropole avaient probablement les yeux ailleurs, mais la Chambre régionale des comptes avait dénoncé en 2017 des règlements de droits d’auteur irréguliers. Un accord a alors été passé entre Nantes Métropole et MM. Delarozière et Orefice. Ils ont notamment touché 140 000 euros pour avoir imaginé l’Arbre aux Hérons : un investissement en pure perte avalisé par Johanna Rolland ! Et il faudrait maintenant un « renouvellement des droits » ?
La conception de l’Arbre aux Hérons était un hobby pour Pierre Orefice, qui était à la ville salarié du Voyage à Nantes, sous les ordres de Jean Blaise, comme directeur des Machines de l’île. Celles-ci, créées selon la volonté de Jean-Marc Ayrault, ont été conçues en 2004 et ont ouvert leurs portes fin juin 2007. Elles comportaient alors la Galerie, le Grand éléphant et la branche prototype. Le Carrousel annoncé pour 2009 a ouvert en 2012. Les autres attractions prévues à l’époque n’ont jamais vu le jour.
Les Machines de l’île sont une création originale de Pierre Orefice et François Delarozière. Tout, et bien plus encore, a été dit sur leurs qualités esthétiques et imaginatives, voire imaginaires. On a même appelé à la rescousse Léonard de Vinci et Jules Verne, qui n’en demandaient pas tant. Dût sa modestie en souffrir, Pierre Orefice lui-même n’a jamais lésiné sur les superlatifs publicitaires pour décrire son œuvre. On ne commentera pas ici ces jugements forcément subjectifs. Mais qu’en est-il du travail du directeur chargé de faire fructifier l’investissement de la collectivité ?
Loin de Bilbao
Jean-Marc Ayrault l’a dit en 2004 devant le conseil métropolitain qui a avalisé la création des Machines de l’île : il en attendait un effet d’entraînement international comparable à celui du musée Guggenheim pour Bilbao. Les Machines ont revendiqué 677 826 « visiteurs payants » en 2022. Ce nombre est en fait celui des billets vendus pour les trois attractions des Machines : si les visiteurs ont acheté en moyenne 1,5 billet par personne, ils n’étaient en réalité que 451 884. Soit trois fois moins qu’au Guggenheim (1,3 million de visiteurs en 2022).
Les Machines avaient vendu 521 000 billets en 2013, la première année complète de fonctionnement du Carrousel. Leur fréquentation a donc progressé de 30 % en dix ans, ce qui est bien sans être exceptionnel (dans le même temps, par exemple, le nombre des visiteurs a augmenté de 35 % au Puy-du-Fou, celui des passagers de 50 % à Nantes Atlantique). Aux Machines, un visiteur sur cinq est étranger en été. Au Guggenheim, deux sur trois toute l’année. Quant au type de motivation qui anime les visiteurs respectifs des Machines et du Guggenheim, inutile d’épiloguer.
La création des Machines de l’île a été entièrement financée par Nantes Métropole, qui doit en outre rajouter au pot tous les ans pour équilibrer les comptes. En 2022, cette subvention s’est élevée à 1,7 million d’euros, soit 2,5 euros par billet vendu ! Les contribuables ont par ailleurs versé 630 000 euros pour la rénovation du Carrousel, dix ans après sa mise en service. La rénovation du Grand éléphant leur avait déjà coûté 770 000 euros en 2018. Malgré leur lucratif débit de boissons, les Machines restent, sur le plan financier, une très mauvaise affaire pour Nantes Métropole.
La faute n’en incombe pas au seul Pierre Orefice. Il a fait ce qu’il pouvait avec les moyens du bord. En 2004, Nantes Métropole avait demandé à un expert en tourisme de hiérarchiser les différents projets présentés pour l’île de Nantes. Celui des Machines avait été classé en queue de liste. Jean-Marc Ayrault l’a néamoins repêché. Et voilà le travail ! Pierre Orefice, co-créateur des Machines (et financièrement intéressé à l’affaire), n’allait évidemment pas faire la fine bouche. Mais il n’a pas fait de miracle non plus. Ses quelques initiatives originales, comme la Maker Faire de 2016 et 2017, n’ont pas sorti les Machines du rouge, au contraire. En fait, leur concept et leur « expérience client » n’ont pas évolué depuis 2004. Elles ont juste été glissées en l’état dans la corbeille du Voyage à Nantes lors de sa création en 2011 ; Jean Blaise ne semble pas leur avoir apporté le moindre progrès.
Autre chose que des remontées mécaniques
Et l’avenir s’annonce mal. La dynamique des parcs d’attractions est claire : il faut y introduire régulièrement des nouveautés pour que les visiteurs reviennent. Ces dernières années, dans la perspective de l’Arbre aux Hérons, Pierre Orefice a ainsi acheté à la Compagnie La Machine de François Delarozière un paresseux, un caméléon, un vol de papillons, etc. et a su communiquer efficacement autour de ces nouveautés cosmétiques (toutes payées par Nantes Métropole, cela va de soi).
La Galerie des machines est ainsi devenue une sorte d’annexe d’un Arbre aux Hérons hypothétique mais sûrement très haut placé dans les préoccupations du directeur. Aujourd’hui, les animateurs de la Galerie assurent encore que telle ou telle mécanique est destinée à l’Arbre. Mais cette pieuse fiction, qui entretient un reste de mouvement perpétuel, évoque le coyote de Tex Avery au-dessus du ravin. Peut-être était-il vraiment temps de s’en aller ?
Ce n’est pas faire injure à Hélène Madec, nouvelle patronne des Machines de l’île, que de dire que son parcours professionnel ne l’a pas préparée à diriger une telle structure. Certes, familière des remontées mécaniques de Megève, elle devrait améliorer la gestion des files d’attente. Quant à créer de nouvelles attractions innovantes pour un parc en panne d’imagination, c’est un métier pour spécialiste de haut vol. On voit mal, d’ailleurs, la nouvelle venue aller réclamer quelques millions d’euros supplémentaires à Nantes Métropole pour panser la blessure de l’Arbre aux Hérons, alors que le futur musée Jules Verne va déjà réclamer beaucoup d’argent. À moins d’appeler le secteur privé à la rescousse, comme Yann Trichard, patron de la CCI, l’avait envisagé pour l’Arbre, mais ce serait mettre un point final quasi catastrophique à l’ambition de Jean-Marc Ayrault.
Sven Jelure
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