La mort d’un jeune de 15 ans, à la suite d’une fusillade aux Dervallières, a suscité une légitime émotion à Nantes. La montée de la violence et de l’insécurité en ville n’est pas nouvelle et les déclarations de bonnes intentions ne suffiront sans doute pas. Dans les années 80, Nantes était qualifiée de “belle endormie”. Ses nuits sont désormais peuplées de cauchemars.
Quand ce n’est pas dans les quartiers Nord, c’est à Malakoff ou à Bellevue. Ou encore à la Bottière ou aux Dervallières. À croire qu’en cette période de confinement, dealers et petits caïds s’offrent une tournante en toute tranquillité.
64 fusillades en 2020
Il a fallu la mort d’un jeune de 15 ans, atteint d’une balle perdue, pour que la mairie de Nantes sorte de sa torpeur. Au lendemain des faits, Johanna Rolland – qui préfère la petite musique des Présidentielles de 2022 aux contingences municipales – avait envoyé Ali Rebouh au front. À lui de répondre à “la détresse des habitants”, en exprimant son “empathie” et “le soutien de la municipalité”. Dans une déclaration convenue, l’adjoint estimait que “le temps est à l’émotion et à l’écoute”.
Après la mort d’Abdelghani Sidali, difficile pour Johanna Rolland de garder le silence. Le 13 janvier au soir, elle dénonçait donc “cet acte inqualifiable” et “la violence insupportable”. Dont acte. Reste que cette violence insupportable n’est pas nouvelle. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a eu, l’an dernier, 64 fusillades (officiellement recensées !) dans les quartiers de Nantes. Soit un peu plus de 5 par mois. Avec, à la clé, d’autres morts et des blessés. Malgré des chiffres traduisant une dégradation objective de la situation, on se souvient que les adversaires de Johanna Rolland aux municipales étaient accusés, il y a tout juste un an, “d’instrumentaliser l’insécurité à des fins électoralistes”. À l’époque, l’accord passé avec les Verts obligeait même la candidate à sa succession à mettre un bémol au développement de la vidéo-surveillance et au renforcement de la police municipale.
800 appels par semaine
En octobre dernier, Johanna Rolland reconnaissait (enfin ?), devant le conseil métropolitain, qu’au niveau de la sécurité, “ce n’est pas satisfaisant”. À l’appui de ce constat, les 800 appels par semaine reçus par la Maison de la Tranquillité. Dans ce contexte, la stratégie de la maire de Nantes a toujours été de mettre en cause “la responsabilité de l’État”, coupable à ses yeux de maintenir une situation de sous-effectifs dans les rangs de la police nationale. Conformément à cette ligne de défense, Ali Rebouh ne faisait que répéter le même argument (OF du 13 janvier) : “je ne suis pas préfet, vous le savez bien”. En d’autres termes, “ça va mal mais je n’y peux rien”
Il reste que l’Institut Montaigne avait fait une comparaison, en 2019, entre les villes de Nantes et de Lyon et que les chiffres parlaient d’eux-mêmes : il y avait, à Lyon, un policier municipal pour 1539 habitants, contre un policier pour 2626 à Nantes. Dans le même temps, la Ville de Nantes dépensait 53,10 €/habitant pour la sécurité là où Lyon en dépensait 67,40.
S’ajoutent à ce triste bilan, la montée des incivilités dont sont victimes les agents de la Tan et des services municipaux. Quant aux habitants des quartiers “chauds”, ils répètent leur fatigue devant ces règlements de compte : “Les dealers sont ici chez eux… Ils squattent les halls d’immeuble et les escaliers…”, disait cette habitante des Dervallières qui craint pour sa sécurité et celle de ses enfants. Confirmant ces déclarations, Ouest-France pouvait titrer, dans son édition du 13 janvier : “10h, lendemain de fusillade, les dealers sont déjà là.”
La faute à qui ?
Il est à craindre que cette situation ne s’améliore pas. Ce n’est pas un énième plan d’aménagement du “grand Bellevue”, une nouvelle intervention de Royal de Luxe ou la reconstruction d’un nouveau foyer à Malakoff après la destruction de l’ancien par un incendie volontaire qui sont de nature à ramener le calme dans ces quartiers. On a laissé pourrir une situation qui est aujourd’hui explosive.
Changement de préfet, arrivée d’un nouveau patron de la police pour que rien ne change ? Certes, il y a eu, ces derniers temps, quelques coups de pied dans la fourmilière du marché de la drogue dans les quartiers. Ces “coups de filet” ne sont sans doute pas étrangers à la guerre que se livrent différents réseaux : si le marché reste juteux, les places deviennent chères.
Droit sous son képi, Didier Martin, préfet de Région, donne de la voix. Sans surprise, il déclare que l’État n’abandonnera pas la population de ces quartiers et que force restera à la loi. Il enfonce aussi quelques portes ouvertes : sans consommateurs, il n’y aurait pas de vendeurs, donc pas de trafic. Sans faire injure à l’ancien préfet de Moselle, nul besoin d’avoir fait l’ENA pour considérer que sans commerce d’alcool, il y aurait sans doute moins d’alcooliques.
Au-delà des déclarations de circonstance, les Nantaises et les Nantais sont en droit d’attendre une réelle prise en compte de la situation et des décisions susceptibles de changer la donne. Faute de quoi, il est d’ores et déjà prévisible que Johanna Rolland et le préfet nous reparleront de leur “émotion” et de leur “colère”, après une énième fusillade. Et les habitants, eux, attendront de retrouver les nuits de « la belle endormie ».
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« L’alcool est trop souvent présent […] chez les victimes qui ne sont plus en mesure de se défendre »
Préfet Didier Martin, entretien 20 Minutes Nantes 15/01/31
C’est un peu du même acabit : « elle s’est fait violée, c’est de sa faute, il était tard et en plus elle portait une jupe courte » Ce triste monsieur ne se rend-il donc pas compte de l’énormité de ses propos !?
Je mettrais un bémol à ce bel élan d’indignation. Pour avoir vu de près la réalité des nuits labellisées « festives » par la mairie, il n’y a pas de quoi pavoiser. Dans l’enquête nationale publiée par l’Observatoire français des drogues et toxicomanie en 2019 il était dit « les jeunes des Pays de la Loire présentent un profil de consommation centré sur l’alcool, dont les niveaux d’usage réguliers sont les plus élevés du pays ». Cela ne change rien à la question de l’insécurité nocturne mais ce préfet a sur la question de l’alcoolisation à la nantaise parfaitement raison hélas.
@herminie44
Je ne nie absolument pas l’alcoolisation des fêtards nantais en général et celle des victimes d’agression en particulier. Je m’insurge simplement que le préfet veuille rendre en partie responsables les victimes de leur malheur… Que vous considériez que celui-ci, je vous cite, puisse avoir hélas raison, me fait bondir…
à AnneMa Bondissez si vous voulez mais reconnaître qu’une cible bien alcoolisée est plus facile à attaquer, ce n’est pas blâmer la victime de l’agression, c’est juste décrire la réalité. Là où il y a des proies, il y a des prédateurs. Et ceux ci s’attaquent toujours aux plus faibles. C’est un fait, pas un discours moral. Les nantais n’ont peut-être tout simplement pas encore compris qu’ils avaient changé d’époque et que les nuits d’alcool sans risques étaient désormais terminées.
« Quand on pense… Qu’il suffirait que les gens n’en achètent plus pour que ça ne se vende pas » Coluche