Le programme officiel du Voyage à Nantes, tout juste dévoilé, comporte un rideau d’eau qui tombera de la corniche du théâtre Graslin et arrosera ses marches, comme jadis les chasses d’eau sur l’ardoise des pissotières. Conçue par Stéphane Thidet, qui en 2009 avait installé des loups dans les douves du château, l’œuvre est intitulée Rideau, en subtil hommage au théâtre. Dans « pataugeoire » il y a « art »…
Comme souvent les textes du Voyage à Nantes, la présentation de Rideau fait dans le maniéré cucul-la-praline. Elle associe de façon presque aléatoire des termes mal maîtrisés. Quelque part entre l’Oulipo et le Gorafi :
Ce gigantesque rideau d’eau, métaphore de l’accessoire théâtral qui masque l’artefact et dévoile le spectacle, renvoie autant à l’activité créatrice à l’intérieur du théâtre qu’au plan d’ensemble de la place, dessiné à l’époque par l’architecte Mathurin Crucy.
Passons sur l’emploi impropre du mot « artéfact » (qui s’écrit en français avec un accent) et sur l’image loufoque du rideau qui « renvoie » de part et d’autre pour sauter directement au plan de la place « dessiné à l’époque [sic] par l’architecte Mathurin Crucy ». Gilles Bienvenu, Alain Delaval et Philippe Le Pichon ont raconté en détail l’histoire compliquée de la place Graslin*. Crucy voulait une place rectangulaire. Le plan finalement adopté a été dessiné par l’architecte Robert Seheult fils. Un détail ? Sans doute, mais si le Voyage à Nantes tenait à le préciser, autant qu’il soit exact.
Hommage à Jules Verne et Barbara
Quant à l’inspiration de Stéphane Thidet, on s’étonne que le Voyage à Nantes n’ait pas voulu la rattacher rituellement à notre inépuisable écrivain nantais. Les chutes d’eau, cascades et autres cataractes se comptent littéralement par dizaines chez Jules Verne**. Celle du théâtre était évidemment prophétisée dans Une ville flottante : « La cataracte tombait devant nous comme le rideau d’un théâtre devant les acteurs ».
Hélas, Jules Verne poursuivait :
Mais quel théâtre, et comme les couches d’air violemment déplacées s’y projetaient en courants impétueux ! Trempés, aveuglés, assourdis, nous ne pouvions ni nous voir ni nous entendre dans cette caverne aussi hermétiquement close par les nappes liquides de la cataracte que si la nature l’eût fermée d’un mur de granit !
…de quoi faire fuir les touristes au lieu de les attirer. Il est vrai que Jules Verne évoquait là les chutes du Niagara, qui « consomment » en une journée plus d’eau que l’agglomération nantaise en un trimestre. L’installation du Voyage à Nantes sera sûrement plus modeste. Mais peut-être pas au point de laisser au sec la terrasse du Molière ou celle de Maria, selon le vent qui souffle. Quant au grondement de l’eau chutant sur le granit, sans doute, l’une et l’autre en bénéficieront – sauf à réduire le rideau à un simple filet, façon jardinière qui déborde. Il n’y a pas de raison que la terrasse de La Cigale soit seule à se plaindre du vacarme de la fontaine…
Le Voyage à Nantes sera inauguré le 8 août. Le 8 août, l’an dernier, il a plu. Un peu. Beaucoup plus le 9, avec des rafales de Sud-ouest à 76 km/h. Si la météo daigne s’en mêler, le Rideau deviendra un rideau de pluie. « Il pleut sur Nantes… », chantonnera-t-on gaiement.
Nantes loin en aval
Les rideaux, murs et cloisons d’eau sont à la mode. Un coup d’œil aux pages jaunes de l’annuaire révèle beaucoup de fabricants et d’installateurs. Chacun peut avoir rideau d’eau chez soi. Rideau est donc dans l’air du temps. Ou peut-être quand même un peu en retard sur l’événement ?
Aix-en-Provence a inauguré en 2014 un mur d’eau de 36 m de long sur 17 de haut réputé être le plus grand d’Europe. Le « rideau d’eau » nantais, soit environ 20 m x 12 m, risque de faire un peu riquiqui. Peut-on compter que les touristes qui ne sont pas allés à Aix voir le mur d’eau viendront à Nantes voir le Rideau ? Croisons les doigts.
L’art est universel. Il faut voir plus loin qu’Aix. Sur l’une des parois d’un gratte-ciel de Guiyang, en Chine, s’écoule une chute d’eau de… 108 mètres de hauteur ! L’eau, assure son promoteur, est de l’eau de pluie récupérée. Mais la pomper en altitude revient quand même à 100 euros de l’heure. Espérons que le Voyage à Nantes affichera un coût de fonctionnement plus modeste, sans pour autant réduire la cataracte à un goutte-à-goutte. Un coût non supérieur à celui de la cascade du Jardin extraordinaire, tiens. Lequel coût, à propos, n’a toujours pas été rendu public.
Sven Jelure
* Dans ORAIN, Arnaud (dir.) ; LE PICHON, Philippe (dir.). Graslin : Le temps des Lumières à Nantes. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008. Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/5509>. ISBN : 9782753531321. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5509. Chapitres « Le quartier Graslin et ses acteurs », « J.-J.-L. Graslin et la place du théâtre dans la modernisation de la ville » et « Graslin et la genèse de l’urbanisme moderne à Nantes ».
** Pour être juste, Jules Verne n’aimait probablement pas les cascades artificielles. Dans tout son œuvre, il n’en décrit qu’une « assez servilement copiée sur celle du bois de Boulogne ». MM. Thidet et Blaise veilleront sans doute à éviter toute ressemblance.
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France Bleu évoque ce matin « l’œuvre impressionnante de Stéphane Ridet, dont certains parlent déja, cette immense cascade, une espèce de chute du Niagara sur la façade de l’opéra de Nantes ».
Ne seriez-vous pas ces « certains » ??? L’allusion aux chutes du Niagara et la faute sur le nom de l’artiste (Ridet/Ridendo ?) pourraient le faire penser. La référence au Niagara a de quoi inquiéter les commerçants de la place Graslin. Le bruit des chutes s’élève à au moins 90 décibels, seuil de danger pour le tympan.