La visite d’un descendant de Gustave Eiffel à Nantes est l’occasion de répéter une fois de plus le célèbre lieu commun : « l’Arbre aux Hérons sera à Nantes ce qu’est la Tour Eiffel à Paris ». Mais elle pourrait être l’occasion de faire un pas en avant : construire à Nantes une vraie Tour Eiffel.
Grand émoi nantais ces jours-ci : Philippe Coupérie-Eiffel (ci-dessous PCE), LE descendant de Gustave Eiffel, est venu à Nantes dire tout le bien qu’il pense des Machines de l’île et de l’Arbre aux Hérons. Comme souvent quand il s’agit des Machines, un brin d’exagération s’est glissé dans le storytelling. PCE doit la moitié de son nom à Gustave Eiffel, mais seulement un seizième de son patrimoine génétique. Eiffel n’est pas le nom de sa mère, ni même de sa grand-mère : c’est le nom de jeune fille de son arrière-grand-mère, l’une des cinq enfants de Gustave Eiffel. Et les descendants du grand Eiffel se comptent par dizaines.
Aucun ne s’appelle Eiffel de naissance : le nom s’est éteint il y a un demi-siècle faute de descendant mâle. Certaines branches ont relevé le nom, d’autres pas. PCE a lui-même obtenu ce droit par un décret de 1994, bien après de lointains cousins. Complication supplémentaire, il y a deux branches Coupérie-Eiffel : des cousines au quatrième degré, toutes deux arrière-petites filles de Gustave Eiffel ont épousé deux frères Coupérie. Pour être complet, il faut rappeler que le nom Eiffel lui-même est un nom d’emprunt : Gustave a préféré ce toponyme à son patronyme de naissance, Bonickhausen.
La famille a créé une Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE). PCE fait bande à part en créant une Association des amis de Gustave Eiffel. Il faut dire que le nom Eiffel « vaut des millions », ce qui suscite des vocations. PCE a fait interdire au groupe Eiffage d’utiliser le nom Eiffel pour l’une de ses filiales, descendante de la société Eiffel originelle, mais lui-même s’est empressé de déposer la marque Eiffel pour toutes sortes de produits (la base marques de l’INPI recense pas moins de 148 inscriptions sous ce nom). L’ADGE s’est alors insurgée et a obtenu en justice, voici trois ans, la radiation des marques du cousin Philippe ! Ambiance…
D’autres raisons de visiter Nantes
« Je pense que mon ancêtre aurait été intéressé par le parc des machines parce qu’il s’intéressait à toutes les innovations », assure PCE à Nantes. Mais il ne précise pas quelles « innovations » il y a dans les Machines. Fan’ de sciences, Gustave Eiffel avait tenu à inscrire sur un bandeau ceinturant le premier étage de sa Tour les noms de soixante-douze Français illustres. Tous des savants : aucun artiste, aucun saltimbanque. Ceux qui jurent que l’Arbre aux Hérons est une œuvre d’art sont à côté de la plaque.
PCE n’a visité Nantes qu’au nom d’Eiffel. Il pourrait pourtant alléguer un lien plus direct avec la ville : il descend aussi de Joseph Fouché, natif du Pellerin et ministre de la police de Napoléon, ainsi que de Joseph Fouché père, capitaine d’un navire négrier et propriétaire d’esclaves à Saint-Domingue. Cette évocation ne lui aurait peut-être pas valu une réception aussi enthousiaste.
On imagine que le visiteur a profité de son séjour nantais pour évoquer avec ses hôtes son nouveau et grandiose projet. Il préside une société de droit états-unien, créée en décembre dernier, Eiffel International Corporation qui vise à bâtir… dix Tour Eiffel flambant neuves dans des villes du monde entier. Ça a l’air d’un gag ? Ça n’en est pas un. Cette société au capital de 1 milliard de dollars compte s’introduire en Bourse pour lever 20 milliards de dollars (17,8 milliards d’euros) afin de construire les tours, environnées d’immeubles de luxe. Quatre projets seraient déjà signés en Amérique, en Asie et au Moyen-Orient. Le pilier de l’affaire est une vedette de la finance internationale, l’avocat suisse Marc Deschenaux.
Et Nantes se déchire pour un Arbre aux Hérons à 52,4 millions d’euros, soit même pas 0,3 % de la somme visée par Eiffel International Corporation ? On aurait aussi vite fait de lui vendre la carrière de Miséry, à charge pour elle de nous bâtir une vraie Tour Eiffel grandeur nature. Le Bas-Chantenay s’en trouverait élevé subitement.
Sven Jelure
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