« L’Arbre aux hérons et son financement dévoilés le 9 juillet », titrait Ouest-France à l’issue du conseil de Nantes Métropole, mardi dernier. C’est sans doute un peu optimiste. Johanna Rolland a seulement annoncé qu’elle proposerait le 9 juillet la création d’un « groupe de travail transpartisan » pour débattre du sujet.
Johanna Rolland est à bonne école. Clemenceau disait : « Si vous voulez enterrer un problème, créez une commission ». Le « groupe de travail transpartisan »suffira-t-il à enterrer ce problème censé planer à 40 mètres d’altitude ? Pas sûr, mais il peut repousser une fois de plus les échéances. C’est reparti pour un tour de héron virtuel.
Un de plus ! « En multipliant les délibérations qui évoquent le sujet sans jamais l’aborder totalement, sans débat transparent, on pourrait croire que ce projet est fait, là, ça y est, déjà, sans concertation, sans visibilité financière, sans études techniques, sans échanges politiques », venait de gronder l’écolo Mahel Coppey en séance du Conseil. En vérité, de petits bouts du projet sont déjà faits, « là, ça y est », toujours censés « valider sa faisabilité » mais sans valider grand chose. Tout en dépensant beaucoup. Dès leur ouverture voici tout juste quatorze ans, les Nefs de l’île de Nantes étaient flanquées d’une « branche prototype ». Elle est toujours là. Elle devait servir à « valider » la possibilité d’y fixer des plantes en pot. Yes we can! (So what?)
Les comptes poussifs du Fonds de dotation
Des questions gênantes devraient être posées le 9 juillet – si les maires de la Métropole montrent un peu de liberté d’esprit. Le 29 juin en effet, le Fonds de dotation Arbre aux hérons et jardin extraordinaire a publié ses comptes 2020 au Journal officiel.
Conformément à la loi ? Pas tout à fait : celle-ci exige des comptes certifiés par un commissaire aux comptes. Le Fonds s’est contenté d’une présentation établie par son expert-comptable. La nuance est importante. On se souvient que l’affaire de détournements qui secoue La Folle Journée a été découverte quand un commissaire aux comptes a refusé de certifier les comptes de l’association para-municipale Espace Simone de Beauvoir. Le rapport du commissaire aux comptes doit donner des précision sur l’activité du Fonds. La présentations de l’expert-comptable est plus sommaire. Mais, entre les lignes, elle raconte déjà des choses désagréables.
À la création du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, Johanna Rolland déclarait, le 8 février 2017, que l’Arbre ouvrirait ses branches au public « au début du prochain mandat, en 2021-2022 ». Au 31 décembre 2020, le chantier aurait donc dû être bien avancé. Et le Fonds aurait dû avoir accompli l’essentiel de sa mission : récolter auprès de donateurs privés un tiers du coût de la construction, alors évalué à 35 millions d’euros*. Où en est-il ? Ses comptes 2019, on s’en souvient, étaient alarmants. Karine Daniel, directrice du Fonds et ancienne députée socialiste, a-t-elle réussi à redresser la situation en 2020 ? Non.
Très loin du compte
C’en est même étonnant. Au cours de l’année 2020, le Fonds a annoncé sur son site web avoir convaincu une vingtaine de nouveaux mécènes. Intermarché aurait signé dans la catégorie « Héron impérial », qui suppose un ticket d’entrée minimum de 500.000 euros. Bati-Nantes, Charier, Idea et Cetih, en catégorie « Héron Goliath », se seraient engagés pour un minimum de 200.000 euros chacun. Si l’on ajoute à cela neuf « Grands hérons » à 50.000 euros minimum et cinq « Hérons cendrés » à 5.000 euros, Le Fonds aurait ainsi dû palper au moins 1.775.000 euros dans l’année.
Or il n’a officiellement enregistré en 2020 que 726.000 euros de mécénats. Il est probable qu’une partie des mécènes ont été inscrits au tableau de chasse moyennant de simples promesses verbales. Des chefs d’entreprise sérieux ne financent pas chat en poche !
Entre sa création et la fin 2020, près de quatre ans donc, le Fonds a encaissé au total moins de 2,5 millions d’euros, soit environ 20 % de son objectif seulement. Il en a reversé 1,2 million d’euros à Nantes Métropole À fin 2020, il lui restait en caisse 0,8 million d’euros. La différence représentait a priori ses frais de fonctionnement. Dans ses comptes figuraient aussi moins de 1,8 million d’euros d’« autres créances » qui doivent représenter des promesses de mécènes.
Si 2020 a été moins bonne que 2019, 2021 s’annonce encore pire, avec un seul nouveau « Héron Goliath », deux ou trois « Grands Hérons » et quatre ou cinq « Hérons cendrés » inscrits officiellement au premier semestre. À ce rythme, il faudrait de nombreuses années pour réunir le financement. Le 9 juillet, Johanna Rolland devrait reconnaître l’échec du projet : la condition du tiers privé fixée par elle-même n’est pas satisfaite.
Les mécènes eux-mêmes commencent à devenir méfiants. Certains d’entre eux réclament de parrainer spécifiquement des éléments existants de la Galerie des Machines et non un ensemble flou Arbre aux Hérons + Jardin extraordinaire. Ce qui suppose au passage un montage juridique un peu tordu puisque les statuts du Fonds lui imposent en principe de reverser tout son argent à Nantes Métropole. Le nouveau Caméléon est ainsi parrainé par Cameleon Group, un leader du marketing point de vente dont le siège se trouve à Saint-Herblain. Vinci, Idea et Cetih ont fait de même avec d’autres machines. Un signe de défiance qui devrait inquiéter le président du Fonds de dotation Arbre aux Hérons et Jardin extraordinaire, lequel se trouve être aussi… le patron d’Idea.
Un prototype qui suscite le doute
Mais se pourrait-il que Johanna Rolland se dédise et décide : « on continue, les contribuables paieront » ? C’est ce qu’assurait Pierre Orefice, l’un des co-pères du projet, au mois de mars. Selon lui, Johanna Rolland allait « très bientôt » officialiser le projet. Et il ajoutait : « les études sont terminées », ces fameuses études destinées à valider le projet.
Mais que voit-on depuis quelques jours à côté des locaux de La Machine et des Machines de l’île ? Un prototype de héron mécanique, avec une affiche qui explique ceci : « il est apparu au cours des études qu’il était impossible de valider les calculs de structure de l’Arbre aux Hérons sans connaître en amont les réactions de cette machine ainsi que de son bras et de son contrepoids. Il a donc été nécessaire de construire ce Héron puis de lui faire effectuer un vol circulaire au niveau du sol. » Le comportement de la machine sera scruté tout au long de l’été 2021.
Alors, terminées ou pas, les études ? Le prototype était-il indispensable (auquel cas Pierre Orefice raconte des carabistouilles) ou pas (auquel cas l’affiche posée par ses concepteurs raconte des carabistouilles) ? Ces approximations ne sont pas rassurantes quand l’enjeu est d’envoyer des passagers, par lots de dix-huit à la fois, tournoyer à plus de 40 m de haut sur un engin de 35 tonnes en charge, le poids d’un gros autobus ! Vaudrait mieux pas se louper…
« L’ensemble doit pouvoir subir des vents allant jusqu’a 95km/h », ajoute l’affiche. Rien que dans les dix dernières années, des rafales à plus de 100 km/h ont été enregistrées à Nantes Atlantique en 2011, 2014, 2017 (trois journées) et 2019 (deux journées), avec un maximum de 112,3 km/h. La tempête du 26 décembre 1999 a soufflé à 126 km/h. Il devient quoi, le héron, dans ces cas-là ?
Quand le « groupe de travail transpartisan » aura obtenu des réponses à ces questions, il pourra enfin se pencher sur la question totalement négligée du coût d’exploitation d’un Arbre aux Hérons. Avec un tout nouvel élément de comparaison versé au dossier par le conseil métropolitain du 29 juin : neuf ans après sa mise en service, le Carrousel des mondes marins, qui a coûté 10 millions d’euros H.T., nécessite 915.000 euros de frais d’entretien décennal…
Sven Jelure
* Un autre tiers devait être financé par le secteur public hors Nantes Métropole. La région (merci la droite) a été la première à mettre au pot pour 4 millions d’euros. Le département de Loire-Atlantique s’est inscrit pour 6 millions d’euros et l’État (merci l’en-même temps), par la bouche du Premier ministre, a promis 1,7 million d’euros il y a quelques semaines. Le compte y est, mais ric-rac. Or tout le monde dit aujourd’hui que les 35 millions d’euros prévus ne suffiront pas. Il va donc rester un trou à combler.
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Vous citez judicieusement ce que Johanna Rolland disait le 8 février 2017. Vous auriez pu observer que cette déclaration a été pudiquement virée du site web de Nantes Métropole ! Heureusement que Wayback Machine est là pour en garder trace…
Dans cette déclaration de 2017, on lisait également ceci : « Le Crédit Mutuel, partenaire historique des Machines, mettra 1,5 millions d’euros au pot commun. 20 entreprises ont déjà retourné leur lettre d’engagement pour parrainer une des 22 branches, à hauteur de 50 000 euros chacune. » Ce qui fait un total de 2,5 millions d’euros. Exactement le total des sommes reçues à fin 2020 ! Pendant près de quatre ans, le Fonds de dotation et Mme Daniel ont fait du sur-place.