« L’Arbre aux Hérons est-il si cher ? » demandent aujourd’hui Anne Augié et Stéphanie Lambert dans Ouest–France. Bonne question. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, choisit d’y répondre par l’absurde : « À titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros ».
Celle-là, il n’aurait pas osé la faire du temps de Jean-Marc Ayrault ! À propos du musée d’arts, voici ce que déclarait Jean-Louis Jossic, alors adjoint à la culture, au conseil municipal du 3 avril 2009 : « Sur le plan du coût des travaux nous nous en tirons bien, parce qu’en plus, les études ont été extrêmement bien conduites […]. Nous avons vu les choses au mieux, ce qui permet d’arriver à un montant total de 34,6 M € HT » Malgré ces études bien conduites et ces choses au mieux, le musée d’arts a finalement coûté 88,5 millions d’euros. Soit à peu près autant que le Guggenheim de Bilbao, 20 % plus grand et qui attire six fois plus de visiteurs.
Le coût de cette réalisation retenue comme comparaison par Fabrice Roussel a donc dérapé de 160 %. Un dérapage du même ordre conduirait le coût de l’Arbre aux Hérons au-delà de 136 millions d’euros… Au moins Jean-Louis Jossic avait-il des devis en main. Fabrice Roussel peut-il en dire autant ? En ce cas, le groupe de travail des élus sur le projet ferait bien de les éplucher. Il ferait bien aussi de réclamer des appels d’offres ouverts, sans se laisser intimider par les oukases de François Delarozière.
Opacité financière
Le coût de la construction n’est pourtant qu’une partie de l’histoire. Comment se prononcer sur un dossier où l’on n’a pas chiffré, fût-ce sur un coin de nappe en papier :
- Les gros aménagements en voies d’accès, parkings et transports en commun – destinés à rester sous-utilisés le plus clair de l’année en l’absence de touristes – indispensables pour faire venir les 500 000 visiteurs espérés.
- Le compte d’exploitation de l’Arbre aux hérons. Un parc d’attraction a vocation à couvrir ses frais, et même à gagner de l’argent (voire beaucoup d’argent dans le cas du Puy-du-Fou). Or il est déjà admis que celui-ci serait déficitaire. Fabrice Roussel envisage froidement que la collectivité supporte 15 % de son coût de fonctionnement – « mais 15 % de quelle somme ? » demande judicieusement Ouest-France. À eux seuls, 15 % des frais de personnel (65 équivalents plein temps)envisagés par Pierre Orefice représenteraient au moins 0,3 million d’euros par an.
- Le gros entretien. Nantes métropole a récemment voté un budget de 0,915 million d’euros pour la rénovation décennale du Carrousel des mondes marins (un appel d’offres est en cours), soit près de 10 % de son coût de construction. Faudrait-il remettre au pot plus de 5 millions d’euros tous les dix ans pour entretenir l’Arbre aux hérons (a priori plus vulnérable aux intempéries que le Carrousel) ?
- Les renouvellements d’attractions. Un parc d’attractions ne vit que si ses clients reviennent, mais ils ne reviennent que s’il présente des nouveautés. C’est pourquoi la Galerie des machines crée régulièrement de nouvelles attractions financées par Nantes métropole. Comme l’Arbre aux hérons devrait être déficitaire, qui paierait les nouvelles attractions ? Reviendrait-on demander aux mécènes de supporter un tiers de leur coût, comme pour la construction de l’Arbre aux Hérons ?
- Les aléas possibles. En cas de gros problème du genre pandémie, on l’a vu, un tel équipement devient un gouffre financier : qui pourrait affirmer qu’il n’y aura jamais d’autre covid-19 ? Surtout, l’Arbre aux hérons risque d’être impraticable une partie du temps pour raisons météorologiques. Pluies, vent, grosses chaleurs, grands froids, rendraient sa fréquentation inconfortable, ou même dangereuse (alors qu’ils n’interrompent pas le fonctionnement des Machines de l’île).
Et puis, il faut bien évoquer le manque de fiabilité des réalisations de La Machine. Le Grand éléphant a connu plusieurs pannes cet été. Le Dragon de Calais aussi, à tel point que la ville ne veut plus commander les autres autres animaux mécaniques qui devaient l’accompagner. L’entretien des treize animaux de la place Napoléon à La Roche-sur-Yon occupe trois personnes à plein temps. Le cheval-dragon Long-Ma acheté par les Chinois a dû revenir à l’atelier l’an dernier pour un traitement anti-parasites. À Nantes même, la Métropole avait passé contrat avec La Machine pour la réalisation d’un prototype de héron afin de réaliser des essais en public pendant tout l’été 2021. Le héron a bien été installé sur l’esplanade des Riveurs le temps de tourner un documentaire, puis il est revenu à l’état de squelette et ne bouge plus depuis des semaines. Interrogée, une charmante hôtesse des Machines de l’île explique qu’on lui a ôté ses plumes pour éviter les intempéries ! Fragile, la bête. La Machine n’a pas rempli sa part du contrat.
Retombées surévaluées
« L’Arbre aux hérons, c’est notre tour Eiffel ! » va répétant Yann Trichard, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nantes Saint-Nazaire. La Tour Eiffel a été imaginée en 1884. Elle a fait l’objet d’une convention entre Eiffel et l’État en juin 1887. Elle a été inaugurée en mars 1889 : cinq ans entre l’idée et la réalisation. L’Arbre aux hérons, voici dix-sept ans qu’il en est question ! Accessoirement, le coût de la Tour Eiffel (doublé par rapport à son premier chiffrage) a été couvert pour l’essentiel par des capitaux privés. La Tour, exploitée par une entreprise privée, est finalement très rentable. Si l’Arbre aux Hérons doit être notre Tour Eiffel, pourquoi Fabrice Roussel prévoit-il 15 % de déficit d’exploitation ? Et qu’attend Yann Trichard pour fonder la Société de l’Arbre aux hérons en y mettant son propre argent ?
« On vise plus d’un million de visiteurs par an sur l’ensemble des sites des Machines », assure François Delarozière. « Chacun dépensera en moyenne 35 € à Nantes lors de sa visite, ça rapporte ! » D’où sort cette estimation de 35 € ? Mystère. La moitié des visiteurs des Machines viennent des environs et n’ont pas besoin de dépenser un sou de plus. Une bonne partie des visiteurs sont des enfants : vont-ils claquer 35 € d’argent de poche à cette occasion ? Mieux encore : quand François Delarozière parle de « visiteurs », il faut comprendre « billets vendus », c’est-à-dire que le nombre réel de visiteurs serait bien inférieur au million. Et les retombées pour Nantes bien inférieures au montant espéré.
Le dossier de l’Arbre aux hérons reste donc bâclé, lesté d’obscurités et d’approximations, voire d’allégations bidon. Certes, l’argent n’est peut-être qu’une question secondaire. L’important est de se demander s’il est bon pour Nantes de jouer une partie de son image sur une attraction de fête foraine. Mais même sur le plan financier, cette affaire se présente sous les plus mauvais auspices. « L’Arbre aux hérons est-il si cher ? » Oh ! bien plus encore !
Sven Jelure
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Le problème de la chaleur risque d’être rédhibitoire. Le toboggan du château était fermé à partir d’une certaine température du métal (41°, je crois), ce qui n’était pas rare. Pourtant, il était orienté nord-ouest et l’échauffement n’intervenait qu’en fin de journée. L’Arbre aux Hérons, totalement dégagé au sud et à l’ouest, atteindrait vite cette température les jours de beau temps. D’ailleurs, on peut facilement s’en rendre compte sur l’escalier construit au fond de la carrière : quand il fait très chaud, c’est intenable. Le banc métallique installé sur l’un des paliers devient une véritable « plancha », personne ne peut y rester assis. L’escalier, on y passe 5 minutes maxi. Mais on n’achètera pas un billet à 8,50 euros pour passer 5 minutes dans l’Arbre !
Cela dit, à Nantes, pour le moment, les canicules sont moins à craindre que les intempéries. Vous avez vraiment envie, vous, de vous promener sur des passerelles métalliques sous les rafales et les giboulées ?