Depuis le début de l’année, Johanna Rolland a adopté, plutôt discrètement ma foi, un nouveau slogan : « Demain n’attend pas, à Nantes inventons un autre futur ». Il ponctue par exemple les panneaux annonçant le futur pont Anne-de-Bretagne (« Ici, l’aspiration collective à un pont de toutes les transitions » ‑ non ce n’est pas une blague, vous pouvez vérifier).
On a bien lu : « un autre futur », pas « un autre avenir ». À première vue, cela paraît idiot. L’Académie française a pris soin de le préciser : « Avenir désigne une époque que connaîtront ceux qui vivent aujourd’hui, alors que futur renvoie à un temps plus lointain, qui appartiendra aux générations qui nous suivront ». Demain n’attend pas, mais le futur, c’est bien plus tard !
Nantes Métropole dispose d’un service de com’ pléthorique. Les propos de la maire de Nantes ont sûrement été choisis et soupesés avec soin. On ne peut imaginer qu’elle ait par simple étourderie utilisé un mot pour un autre. Si elle vise délibérément le futur et non l’avenir, c’est sans doute qu’elle ne croit plus trop au sien. À chaque jour suffit sa peine : se soucier de demain évite de penser aux emmerdements d’après-demain.
On ne peut pas non plus imaginer que la maire de Nantes ait parodié les films de James Bond par manque de culture cinématographique. « Demain n’attend pas » cousine clairement avec la série Demain ne meurt jamais, Meurs un autre jour, Mourir peut attendre. Là aussi, c’est sûrement délibéré. Et assez audacieux étant donné la connotation plutôt macabre de ces titres.
Cependant, le vrai problème du nouveau slogan n’est ni l’avenir ni le futur, ni même demain : c’est le passé. Maire depuis neuf ans, Johanna Rolland est l’héritière d’un régime ayraultolitain instauré en 1989 – trente-quatre ans déjà. Et demain ne serait pas la suite des quelque 12 500 jours qui l’ont précédé ? Mais qu’ont-ils donc fait pendant tout ce temps-là, s’ils n’ont pas préparé jour après jour ce que Nantes allait devenir ?
La Fondation Jean Jaurès, conservatoire de la pensée socialiste, a rangé Jean-Marc Ayrault parmi ses « Héritiers de l’avenir ». L’oxymore se voulait glorieux. Mais il s’est mué vicieusement en une sorte d’antiphrase. L’héritage a été dilapidé, nous voici condamnés à inventer autre chose. On croirait entendre Pierre Dac : « Monsieur a son avenir devant lui et il l’aura dans le dos chaque fois qu’il se retournera ». Ainsi avons-nous vécu une longue suite de lendemains qui déchantent…
Soyons juste : Johanna Rolland n’a pas attendu hier pour inventer demain. Interrogée par Le Point voici deux ans, elle disait avoir « rejoint la dynamique plateforme Idées en commun d’Anne Hidalgo à travers l’équipe de France des maires pour réfléchir à des enjeux de fond ». Elle a même fait mieux depuis lors : elle a dirigé la campagne de la candidate socialiste à l’élection présidentielle, et obtenu 1,7 % des suffrages. Ce qui laisse de la marge pour un futur radieux.
Sven Jelure
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