Nantes Métropole invente la « stabilisation transitoire » pour les ménages déménagés des bidonvilles

Nantes veut évacuer le bidonville de la prairie de Mauves. Elle a choisi un prestataire pour déloger les occupants ; elle en cherche un autre pour les reloger ailleurs. Le montant total de cette double manœuvre pourrait approcher 100 millions d’euros, hors construction du moindre logement. Et ce n’est pas fini.

Nantes Plus a été le premier à attirer l’attention des Nantais d’une part sur l’échec ébouriffant de la « concertation préalable » autour du projet de Pôle d’écologie urbaine (PEU) de la prairie de Mauves, d’autre part sur les dépenses abracadabrantesques envisagées pour en déloger les occupants des bidonvilles qui s’y trouvent.

Depuis la fin janvier, Johanna Rolland avait entre les mains un rapport cinglant de la Commission nationale du débat public. Elle a attendu la fin juin pour revenir sur le sujet devant le conseil métropolitain. Non sans dorer la pilule aux élus. « Dans l’ensemble, les participants à la concertation ont considéré que le pôle d’écologie urbaine apportait une réponse conforme aux évolutions des modes de vie et des transitions, en adaptant les équipements métropolitains aux exigences du contexte et favorisant les synergies transversales », leur a-t-on assuré. Où a-t-on trouvé ça ? La Commission avait surtout indiqué : « Plus concrètement, la concertation a mis en exergue les interrogations et inquiétudes des riverains du projet ou des habitants proches du projet qui redoutent une aggravation des nuisances et pollutions ».

Malgré sa maigre efficience dans la concertation, Nantes Métropole a proposé de prendre en charge « toute opération de résorption de bidonville située sur un terrain concerné par un projet métropolitain ». En l’occurrence, la prairie de Mauves, occupée par « près de 700 personnes migrantes de l’Est européen » ‑ plus précisément, des Roms principalement originaires de la région de Drobeta-Turnu Severin, sur la rive gauche du Danube. La métropole s’est ainsi placée dans une seringue infernale.

Un rêve de squatteur : 48 mois de tranquillité garantis

La métropole propose de prendre en charge la « résorption » mais refile prudemment ladite charge à un prestataire. Coût prévu, sur une période de quatre ans : « un montant de base de 12 694 729 € HT/an et dans la limite d’un plafond maximum sur les 4 années de 80 M€ HT ». Le marché a été attribué à Coallia, grosse association fondée en 1962 par Stéphane Hessel dans le but de « faciliter le retour au pays des travailleurs migrants africains et malgaches », qui aujourd’hui se consacre surtout à l’hébergement social pour le compte et aux frais des pouvoirs publics.

Il s’agit de décider 700 personnes à quitter un bidonville ; le prix de revient de cette bienveillance se situe donc entre 72.541 (montant de base) et 114.000 euros (plafond maximum) par personne. À ce prix-là, les résultats ne sont même pas garantis. « Au terme de la démarche, évacuation définitive du site en cas de maintien d’occupants », prévoit Nantes Métropole. Autrement dit, s’il reste des occupants au bout de quatre ans de cajoleries, « dans le cadre de la stratégie métropolitaine de résorption des bidonvilles qui prend appui sur des volets d’action alliant humanité et fermeté », on leur enverra les CRS. Dame, il faudra bien que le PEU se fasse.

Puisque l’« évacuation définitive » interviendra « au terme de la démarche », le volet « humanité » à 80 millions d’euros garantit aux réfractaires quarante-huit mois de tranquillité Et comme toute sortie du bidonville est définitive, ils prendront sûrement le temps de la réflexion avant de bouger. Encore heureux s’ils ne sont pas rejoints par des occupants d’autres campements sauvages habitués à être expulsés tous les six mois, aspirant eux aussi à profiter de l’aubaine.

Et les logements ? Ça va venir…

Ceux que Coallia aura convaincus de quitter la prairie de Mauves ne seront pas réduits à l’errance ou au retour à Drobeta-Turnu Severin : il leur sera proposé de s’installer provisoirement sur des terrains gérés par les communes ou par Nantes Métropole. Cette dernière a donc publié un nouvel appel d’offres. Il porte sur la « gestion locative de terrains d’insertion et gestion d’occupation de terrains de stabilisation (et autres formes d’habitat ou d’hébergement adaptés aux publics issus des bidonvilles) sur le territoire de Nantes Métropole ». Il comprend six lots, trois « terrains d’insertion » et trois « terrains de stabilisation » répartis sur le territoire métropolitain (Sud Ouest, Nantes et Nord Est), à partir du 1er février 2025. Budget supplémentaire total pour les six terrains : jusqu’à 14.999.999 euros sur quatre ans.

Selon le ministère du Logement, la gestion d’un logement social coûte en moyenne 1.170 euros par an (montant 2022). La somme envisagée par Nantes Métropole équivaudrait donc à la gestion de… 3 205 logements. Elle ne porte que sur la gestion, l’entretien et la petite maintenance. Un peu plus qu’un travail de syndic d’immeuble classique quand même, d’abord parce qu’il est bilingue (« la quittance doit être traduite en français et en roumain ») et surtout parce qu’une révolution culturelle sera réclamée aux bénéficiaires (« veiller à ce que les occupants ne déposent pas de déchets, de véhicules épaves, de carcasses automobiles, de carcasses deux-roues, ou tout encombrant (pièces mécaniques, électroménager, cartons, matériaux, etc.) sur les terrains », etc.). Quant aux frais de création et d’aménagement des terrains, c’est encore un autre budget, pas encore déterminé. Idem pour la construction de mobil homes « et autre forme d’habitat adapté aux publics issus des bidonvilles ».

Et après ? Dans un précédent appel d’offres, Nantes Métropole présentait l’opération comme une « stabilisation transitoire » ! L’oxymore est créatif mais la métropole ne pourra pas indéfiniment se payer de mots. Dans son nouvel appel d’offres, elle affirme que les ménages installés sur les « terrains d’accueil transitoires » bénéficieront d’un « suivi adapté pour accéder ensuite à un logement social ». Dans une agglomération déjà pleine comme un œuf, il faudra encore le construire, ce logement. Encore un budget à prévoir, sans parler de l’élaboration des éléments de langage justifiant son attribution réservée à un certain public. La « stabilisation transitoire » pourrait durer.

Sven Jelure

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