Spécial Halloween : la malédiction mystérieuse du musée Dobrée

« Ann Dianaf a rog ac’hanoun » (l’inconnu me dévore), dit la devise très Halloween-friendly inscrite sur le manoir Dobrée. Thomas Dobrée aurait-il, tel Toutânkhamon, jeté un sort à ceux qui manquent de respect à sa mémoire ? Il faut être juste, le département lui-même a fait de son mieux pour aller au-devant des ennuis.

On se félicitait de la réouverture du musée Dobrée ce printemps et, patatras ! moins de cinq mois plus tard, le voilà à nouveau objet de scandale. Le rapport d’observations définitives (ROD) sur le département de Loire-Atlantique publié voici quelques jours par la chambre régionale des comptes dénonce « un cumul d’anomalies sur un lot du musée Dobrée ».

Lors des travaux de rénovation du musée, ce lot, le n° 21, a fait l’objet de deux offres. L’une des deux a été rejetée comme irrégulière parce qu’elle « allait au-delà du cahier des charges », ce qui, observe la chambre, « ne correspond pas à la définition d’une offre irrégulière » fixée par le code de la commande publique (CCP). Comble d’ironie, une fois le marché attribué à un autre candidat, « le département a demandé une prestation complémentaire correspondant à une partie de la prestation non demandée ». Tu veux ou tu veux pas ? Le département a aussi passé un marché négocié malgré plusieurs lettres de la préfecture contestant la légalité de cette procédure.

L’examen de la Chambre ne porte sue sur les exercices 2018 et suivants. Elle ne peut cependant ignorer totalement ce qui s’est passé avant. « L’opération de rénovation du musée Dobrée a fait l’objet de glissements importants », écrit-elle. D’abord « en termes de planning : le musée, fermé depuis janvier 2011 n’a réouvert complètement et de manière pérenne qu’en mai 2024, soit treize ans plus tard ». Et aussi « du point de vue financier : l’enveloppe initiale a doublé (25 M€ en 2016, réévaluée à 50 M€en octobre 2023) ».

Des problèmes créés par la main de l’homme

Mais elle ne dit rien des nombreuses tribulations du projet Dobrée depuis quarante ans. Elles ne sont pas à la gloire de son propriétaire, le département de Loire-Atlantique. Le Musée lui-même se garde d’en dire trop dans le dossier de presse préparé pour sa réouverture.

Le Musée Dobrée doit son existence à Thomas Dobrée. À la fin du XIXe siècle, celui-ci lègue au département de Loire-Inférieure son manoir et ses vastes collections. Son testament contient quelques conditions très raisonnables. Le département les accepte en acceptant le legs. Or, aujourd’hui, il ne les respecte pas. De là à penser que le fantôme de Dobrée se venge…

Voici un bref rappel des principales péripéties.

L’empilement des projets. Après un premier projet abandonné dans les années 1990, un projet de rénovation du musée est mis au point en 2004. La même année, l’élection départementale fait passer la Loire-Atlantique à gauche ; le nouveau pouvoir rejette le projet « de droite ». En 2010, il passe commande à un architecte à la mode, Dominique Perrault. Celui-ci a préparé le terrain : commissaire du pavillon français à la Biennale d’architecture de Venise en 2010, il y a complimenté la ville de Nantes. Il est « parti à la recherche des grands chantiers emblématiques et exemplaires des métropoles françaises », s’est enthousiasmé Jean-Marc Ayrault. Le projet Perrault séduit les édiles grâce à une extension souterraine éclairée par une immense verrière. Une fois le projet attribué, la verrière se transforme en dalle de béton ! Malgré ce reniement, le département maintient son intention. Il ferme le musée le 2 janvier 2011 et ne le rouvre pas quand le permis de construire, fautif à plus d’un titre, est annulé en 2012. Puis il fait appel à un nouvel architecte pour un nouveau projet en 2017. Il faudra encore huit ans pour en venir à bout.

Le bâtiment Voltaire. Dans le projet de rénovation de 2011, ce bâtiment présenté aujourd’hui comme « caractéristique de l’architecture brutaliste des années 1970 » doit être détruit. Victime d’infiltrations, il est irréparable. Le département (de droite), qui l’a construit en 1974, soit trente-six ans plus tôt, aurait donc bâclé le travail ? Pas tant que ça, finalement, puisque quatorze années supplémentaires ont passé et que le bâtiment est toujours là. L’erreur de diagnostic (supposons la bonne foi) du projet Perrault a failli coûter des millions d’euros.

La valse des conservateurs. En 2010, le département limoge Jacques Santrot, historien respecté, auteur de nombreux travaux historiques et conservateur du musée Dobrée depuis 1985 (le dossier de presse du musée rénové ne le mentionne même pas). Il lui faut plusieurs mois de recherche pour trouver un remplaçant, Louis Mézin, directeur des musées de Nice et ex-directeur du musée de la Compagnie des Indes à Lorient. Au jour prévu, Louis Mézin n’est pas là : en désaccord avec Perrault, paraît-il, il renonce au poste. Les candidats ne se bousculent pas. Il faut plus d’un an pour désigner un nouveau conservateur, Patrick Porte, qui vient alors de subir un revers professionnel à la direction du Musée national du Sport. Arrivé le 15 mars 2012, il s’en va moins de sept mois plus tard. Une directrice par intérim, Laure Barthet lui succède en novembre 2012. Au printemps 2016, elle vogue vers d’autres eaux. Le poste échoit alors à Julie Pellegrin, actuelle directrice.

Le reliquaire d’Anne de Bretagne. A-t-on besoin d’un conservateur et d’un effectif complet pour un musée fermé depuis des années et dont la réouverture n’est pas pour demain ? Le musée retrouve un peu de légitimité en ouvrant un petit espace d’exposition en 2015. Il y montre en particulier son trésor le plus précieux : le reliquaire en or qui a contenu le cœur d’Anne de Bretagne. Cette mission-croupion est-elle au-dessus de ses forces ? Dans la nuit du 18 avril 2018, le reliquaire est volé. L’alarme sonne mais le veilleur de nuit ne voit rien ! Heureusement, la police retrouve le trésor au terme d’une enquête express. Et le musée se referme.

Sven Jelure

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