Épilogue des billets précédents sur la vocation touristique de Nantes (« Le Voyage à Nantes est globalement un échec », « Les Machines de l’île : le boulet du Voyage à Nantes » et « Johanna Rolland veut-elle la fin des Machines de l’île ? ») : continuer coûtera très cher, mais arrêter serait ruineux…
Quand Jean-Marc Ayrault fait voter le projet des Machines de l’île par le conseil métropolitain, le 18 juin 2004, l’objectif est de transformer Nantes en destination touristique internationale. Tout un assortiment d’attractions extraordinaires est annoncé : La Baleine, L’Éléphant, Le Monde marin, L’Aérodrome, L’Arbre aux oiseaux, L’Arche, Le Carrousel des éléphants…
Huit ans plus tard, quand Jean-Marc Ayrault devient Premier ministre, les Machines de l’île ne comprennent que la Galerie des Machines, l’Éléphant et une branche prototype de l’Arbre aux oiseaux, devenu Arbre aux Hérons. Le Carrousel des mondes marins est encore en chantier.
Quand vient Johanna Rolland, elle commence par hésiter pendant deux ans puis confirme le projet d’Arbre aux Hérons en juillet 2016 et le jette finalement à la poubelle en septembre 2022. Pendant deux mandats entiers, soit bientôt douze ans, elle aura laissé les Machines en l’état. Le grand projet d’avenir de Jean-Marc Ayrault reste en plan. Il n’a pas évolué, en pratique, depuis l’inauguration du Carrousel des mondes marins, en juillet 2012 ! Ah si, quand même, il y a eu le Café de la Branche, construit en 2017 et détruit en 2024.
La Cité des congrès impactée
C’était couru. Jean-Marc Ayrault puis Johanna Rolland ont mis et laissé les Machines, par délégation de service public (DSP), entre les mains de la SPL Le Voyage à Nantes. Le patron de celle-ci, Jean Blaise, ne voulait pas de l’Arbre aux Hérons. « J’ai toujours été contre et je n’ai d’ailleurs jamais voulu le gérer », a-t-il révélé en partant en retraite (Presse Océan, 23 décembre 2024).
Résultat de cette indolence et de ces atermoiements : la disparition des Machines de l’île n’est pas une hypothèse aberrante. Elle mettrait fin à un désastre financier récurrent.
Allons, allons, on ne va quand même pas passer par pertes et profit le Grand éléphant, vingt ans de communication et des dizaines de millions d’euros d’investissements puis de subventions d’exploitation ? Et Hélène Madec, actuelle patronne des Machines de l’île, n’a sans doute pas accepté de succéder à Pierre Orefice avec pour mission d’éteindre la lumière en sortant.
Qui plus est, on sait qu’une ville de congrès a besoin d’une attractivité touristique. Elle permet de séduire les organisateurs de congrès, qui eux-mêmes ont besoin d’arguments pour attirer des congressistes sans lesquels les hôtels ne pourraient vivre. Nantes est déjà à la traîne, loin derrière Lyon, Aix-Marseille, Nice, Bordeaux, Toulouse ou Strasbourg dans le classement international ICCA des villes de congrès. La Cité des congrès ne se porte pas bien. Elle a eu besoin de 3,3 millions d’euros de subventions l’an dernier pour équilibrer ses comptes. Enfin, presque.
La contrainte touristique
L’écosystème touristico-congressiste de Nantes n’est pas vertueux. Il a besoin de grosses subventions pour vivre, même en période faste pour le tourisme, comme actuellement. En cas de crise économique ou sanitaire – on l’a vu en 2020-2021 – il devient un gouffre. Mais son abandon serait un coup de tonnerre presque comparable à la fermeture des chantiers navals en 1987. Il va donc falloir conserver les Machines et tout le reste, quitte à y engloutir beaucoup d’argent sans perspectives d’amélioration à moyen terme.
Nantes Métropole ne voit probablement pas d’inconvénient à augmenter indéfiniment les subventions, donc les impôts : sûrement, les contribuables en sont friands ! Ainsi, début 2025, elle a augmenté sa subvention aux Machines de l’Île, quelques mois après la précédente augmentation. Pour faire bonne mesure, elle y a ajouté une « indemnité » de 359 770 euros au titre des « pertes d’exploitation totales liées aux travaux sur le boulevard Léon Bureau » en 2024. Comme on l’a vu, Le Voyage à Nantes lui-même ne signale pourtant aucune perte d’exploitation liée aux travaux mais incrimine la chaleur, les pannes, l’absence de nouveautés, etc.
Ces gracieusetés métropolitaines font l’objet d’un « avenant n°18 » au contrat de la délégation de service public (DSP) liant Le Voyage à Nantes à Nantes Métropole. Autrement dit, ce contrat signé en 2010 a dû être révisé plus d’une fois par an pour tenir la route ! Une bonne partie des avenants portent sur le montant des subventions.
Qu’en dira la chambre régionale des comptes ?
Nantes Métropole flirte là avec la légalité. Les Machines de l’île sont exploitées par la SPL Le Voyage à Nantes dans le cadre d’une délégation de service public (DSP). Le but d’une DSP est en principe de faire financer un service public par le secteur privé. Le délégant ne peut subventionner le délégataire que s’il lui impose des sujétions de service public. Nantes Métropole prend donc soin, quand elle accorde une subvention, d’affirmer rituellement qu’il s’agit de « compenser les sujétions de service public imposées au délégataire ». Mais quand elle accroît de 1 184 192 euros la subvention d’exploitation versée aux Machines de l’île pour 2024, elle ne s’abaisse pas à préciser – et pour cause ‑ en quoi ces sujétions auraient tout d’un coup augmenté de 60 % !
Vu l’état des comptes il y avait urgence. C’est peut-être aussi pour cela que le contrôle de légalité préfectoral a fermé les yeux. Mais ce bricolage peut-il fonctionner indéfiniment ? La DSP des Machines de l’île arrivait normalement à échéance en décembre 2025. À trois mois des élections municipales, son renouvellement aurait pu faire des vagues, a fortiori si l’on avait tenté d’y glisser encore plus de « compensations ». Nantes Métropole a décidé en octobre 2024 de prolonger la DSP jusqu’à fin 2026.
La Métropole a l’habitude de renouveler ses DSP sans mise en concurrence. La loi le permet, par dérogation, à condition que le délégant contrôle son délégataire aussi bien que ses propres services. Il faudra quand même un peu de toupet à Nantes Métropole pour affirmer qu’elle contrôle parfaitement la SPL Le Voyage à Nantes, qui a bien du mal à maîtriser ses comptes, qui est mise en cause dans des enquêtes judiciaires en cours et qui ne respecte pas ses engagements contractuels (en 2023, par exemple, les Machines de l’île employaient 121 salariés ETP au lieu des 94 prévus).
Le préfet pourrait se montrer moins débonnaire que par le passé. Il serait logique qu’il soumette la convention de DSP à la chambre régionale des comptes, en application de l’article L1411-18 du code général des collectivités territoriales (CGCT). La vérité des prix éclaterait alors. Voilà un dossier délicat pour le prochain président de Nantes Métropole. Et l’on espère pour lui que le choix fait par Jean-Marc Ayrault pour le nouveau CHU ne s’avérera pas aussi désastreux.
Sven Jelure
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