La soixantaine bien avancée, Pierre Orefice étonne par l’enthousiasme juvénile qu’il affiche constamment. La retraite ? Très peu pour lui. Il y a du Donald Trump chez cet homme. Même contre toute évidence, le directeur des Machines de l’île ne s’avoue jamais vaincu. Du moins, pas avant d’avoir épuisé tous les recours et tous les artifices.
Il a bien compris que l’heure municipale n’est plus aux ferrailles mais à la verdure. Aussi sec, il a repositionné l’Arbre aux Hérons. Ce n’est plus une Machine de l’île hors de l’île mais quasiment une annexe du Jardin des plantes. « La nature est une composante majeure de cet arbre, on va en faire une arche végétale », a-t-il assuré à Ouest France. La mutation de l’arbre en arche sera réalisée grâce au service des espaces verts de Nantes, qui « y travaille ».
L’intervention des jardiniers municipaux, hélas, ne garantit rien. Avez-vous vu la Tour végétale de Nantes ? Tout le monde l’a oubliée (mais l’internet en a gardé le souvenir). Ce bâtiment de 60 mètres de haut, dégoulinant de verdure, devait être érigé par le promoteur Giboire sur l’île de Nantes, à côté du Carrousel des mondes marins. En 2010, voici dix ans seulement, c’était fait, c’était sûr, la Samoa le voulait, Jean-Marc Ayrault était d’accord. Un « protocole d’expérimentation dit de « modélisation du système de végétalisation » » avait été signé par l’architecte Édouard François et « des représentants de la Ville de Nantes : Romaric Perrocheau (Directeur du Jardin Botanique de la Ville de Nantes), Jacques Soignon (Directeur des services des Espaces Verts et de l’Environnement de la Ville), Claude Figureau ».
Et puis, patatras ! en 2011, un nouvel urbaniste raye le projet d’un trait de plume.
La même mésaventure risque-t-elle d’arriver à l’Arbre aux Hérons et à ses jardins suspendus ? On imagine mal Johanna Rolland rejeter soudain un projet qu’elle a tant soutenu. Mais l’imagine-t-on davantage le lancer dans quelques mois ? La crise économique qui s’annonce sera sur nous. Plus question d’entreprendre des réalisations somptuaires.
Six millions récoltés, c’est six millions manquants
Cependant, la maire de Nantes n’aura pas besoin de se mouiller. Il lui suffira de constater que l’argent n’est pas là. Rappelons que le coût de la construction doit être partagé en trois tiers, financés respectivement par Nantes Métropole, par d’autres financeurs publics et par le secteur privé – particuliers et entreprises mécènes. Chaque tiers vaut en principe un peu moins de 12 millions d’euros. On sait déjà que ce serait en réalité beaucoup plus, mais passons : même à 12 millions par part, les choses sont en train de mal tourner.
Un Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons a été créé par Nantes Métropole il y a trois ans pour collecter des financements privés. Travail pépère, en principe, puisque Pierre Orefice et François Delarozière l’avaient dit plus d’une fois, les mécènes étaient déjà trouvés. Il ne restait qu’à relever les compteurs. Ce qui s’avère plus difficile que prévu. « Nous avons collecté près de six millions », assurait Pierre Orefice à Ouest France la semaine dernière. Faut-il voir la valise de billets à moitié pleine ou à moitié vide ? Près de six millions, ce n’est que la moitié de la somme requise.
Quatre entreprises rayées de la liste
Les six autres millions, en temps de crise économique, il faudra aller les chercher avec les dents. Les mécènes peuvent déduire de leurs impôts 60 % des sommes données. Cent euros versés leur en coûtent 40 en réalité. Encore faut-il avoir des impôts à payer ! Pas de bénéfices, pas d’impôt : le mécénat devient ruineux pour les entreprises en difficulté. Et quel chef d’entreprise annoncerait à la fois qu’il va licencier une partie de son personnel et financer une attraction touristique ?
« Nous n’avons eu aucune défection d’entreprise mécène », indiquait Pierre Orefice à Ouest France. Une huitaine de jours plus tard, ce constat réconfortant semble bien être devenu une « vérité alternative », comme on disait chez Trump. Quatre noms ont soudain disparu de la liste des mécènes affichée par le Fonds de dotation : Vinci Airports (qui avait promis de donner au moins 200 000 euros), La Fraiseraie et idverde* (au moins 50 000 euros chacun) et O’Deck (au moins 5 000 euros). C’est comme si, d’un coup, le Fonds de dotation avait rendu leur argent à tous les donateurs de la campagne Kickstarter de 2018. Ce qu’il devra faire, à propos, si le projet est abandonné.
Sven Jelure
* Le cas d’idverde est incertain. Il n’a figuré dans la liste des mécènes que quelques jours de novembre 2020. Ce grand paysagiste européen a réalisé le Jardin extraordinaire, site théorique d’implantation de l’Arbre aux Hérons.
Ci-dessous : extraits de la liste des donateurs affichée par le site arbreauxherons.fr le 14 novembre et aujourd’hui
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