Le Voyage à Nantes tient-il enfin un concept solide ? Après avoir dispersé ses budgets aux quatre vents, il a davantage concentré celui de 2023 sur les statues. Et même sur les statues rigolotes. Hélas, ce créneau est déjà fortement occupé par plusieurs villes d’Europe.
« Une fois n’est pas coutume, le Voyage à Nantes, parcours d’art contemporain dans la ville, se dote d’une thématique consacrée à la statuaire » : Le Nouvel Obs est si content de sa formule qu’il l’a ressortie pas moins de trois fois, en juillet (à propos du Voyage à Nantes et de Johanna Rolland) et en août. C’est vrai, le pot-pourri du Voyage à Nantes est, en 2023, davantage concentré autour des statues.
Jean Blaise a expliqué dans le livret de l’événement pourquoi il lui a fallu tant de temps pour accoucher de cette idée : « Chaque année, lors des séances de repérage […] notre équipe, les yeux au ciel, accroche le regard des statues qui habitent la ville, que nous ne voyons plus et qui pourtant la représentent un peu. » Étrange hommage au manque de clairvoyance de l’équipe qu’il s’apprête à quitter…
« Cambronne, colossal, est bien parti pour partir… mais il est immobile, là, dans le cours du même nom depuis 175 ans », ajoute l’encore patron du Voyage à Nantes. Que le cours ne soit « du même nom » que depuis 1936 importe peu. Plus étonnante est l’idée du général « bien parti pour partir » puisque sa statue le représente au 18 juin 1815, donc en fait bien parti pour y rester : la Garde meurt mais ne se rend pas.
Statues nantaises sans piédestal
Mais qu’importent les commentaires approximatifs, l’idée des statues nantaises descendues de leur piédestal est excellente. Un peu hermétique pour les visiteurs extérieurs sans doute, mais ce n’est pas très grave puisque le Voyage à Nantes, quelles qu’aient pu être ses ambitions, est largement nanto-nantais. Si la déclinaison laborieuse de Philippe Ramette (après l’Éloge du pas de côté, un Éloge du déplacement qui ne va pas bien loin) plombe un peu l’affaire, les pastiches en goguette d’Olivier Texier sont un quadruple clin d’œil sympathique.
La plupart des Nantais auront vu (ou alors, faites vite : Le Voyage à Nantes s’achève le 3 septembre) celle du général Cambronne attablé à la terrasse de La Cigale, place Graslin. Plus discrètes sont l’allégorie de la ville de Nantes, issue de la fontaine de la place Royale, installée à l’ombre devant le château, et la statue du général Mellinet, assis-debout sur un garde-corps de la rue des Deux-ponts. Quant à l’allégorie de la Loire, il faut vraiment la chercher pour la trouver puisqu’elle occupe la plage arrière d’un navibus.
À cet aimable quarteron, on ajoutera les masques de la collection Peignon, autre régional de l’étape, à la Maison de l’Immaculée, et La Mouche morte de Johan Creten, au Jardin des plantes : deux curiosités humoristiques magnifiées par leur lieu d’exposition. Et aussi, en ratissant large, European Thousand-Arms Classical Sculpture de MadeIn Company, qui recueille pas mal de commentaires rigolards rue d’Orléans, et les grotesques Humans d’Olaf Breuning, place du Commerce.
Comment sortir du lot
Le Voyage à Nantes, voué au tourisme, aurait-il trouvé la bonne martingale pour attirer les vacanciers en rupture de plage et de camping ? Cet étalage d’œuvres qui ne se prennent pas trop au sérieux et ne donnent pas mal à la tête peut amuser tous les publics. Cependant, son catalogue comprend aussi maintes œuvres plus ésotériques (Commedia, de Maen Florin, à l’hôtel de Briord…), solennelles (Je serais douce, de Sanam Khatibi, à la Psallette…) et/ou élitistes (Pistillus, de Marion Verboom, à Sainte-Croix…) qui polluent le concept.
Et surtout, le marché touristique européen est déjà bien occupé. Barcelone, Bratislava, Bruxelles, Dublin ou Tbilissi, par exemple, regorgent de statues amusantes ‑ et pérennes, elles. Nantes devra ramer longtemps pour les égaler.
À moins de trouver un concept nouveau ‑ un océan bleu comme on dit en marketing. Nantes Métropole tient à présenter le futur pont Anne-de-Bretagne comme un pont-belvédère, un pont-promenade, un pont-jardin,etc. Pourquoi pas aussi un pont-galerie d’art ? Hélas, la place est déjà prise par Prague avec le pont Charles et ses trente statues…
Sven Jelure
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