Le Voyage à Nantes 2023 ne baisse pas les bras

Johanna Rolland a tenu à acheter à Royal de Luxe un « nouveau » spectacle, alors qu’elle aurait pu se contenter de celui qui a été montré à Villeurbanne l’an dernier. Prix de la création : 1,27 million d’euros, quand même. Mais pourquoi, alors, se contente-t-elle pour Le Voyage à Nantes de réalisations qui ont déjà servi ?

Jean Blaise l’assure, « le Voyage à Nantes estival vient chaque année enrichir la collection permanente grâce à des installations, temporaires ou définitives, d’œuvres d’art contemporain dans l’espace public ». « La » collection ? Une collection, en tout cas. Au premier rang du permanent temporaire ou du définitif provisoire enrichissant, en cet été 2023, figurera une œuvre signée Xu Zhen® (le ® est important, on y reviendra) et intitulée European Thousand-Arms Classical Sculpture.

En fait d’art « contemporain », cette installation « transforme 19 sculptures figuratives occidentales archétypales en un bodhisattva dansant ». Un bodhisattva ? Comme souvent, Le Voyage à Nantes fait dans l’approximation hâtive. L’installation n’évoque pas n’importe quelle incarnation de Bouddha mais, vaguement, Guanyin, déesse de la Miséricorde ‑  et encore, dans sa version dite « aux mille bras ». Car les dix-neuf sculptures cumulent bien sûr trente-huit bras. C’est un peu tiré par les cheveux ? On ne vous le fait pas dire. Quant à l’adjectif « dansant » il est juste rajouté pour faire joli : comme il y a dans le lot deux Christ en croix et deux statues de la Liberté, la cabriole n’est pas vraiment le genre de la maison.

Osera-t-on dire malgré cette multitude manuelle que cette réalisation spectaculaire est « de seconde main » ? Elle date en tout cas de 2014. Le Voyage à Nantes ne le cache pas : la date est indiquée en petits caractères dans son catalogue de l’été 2023. Elle a été exposée au Long Museum de Shanghai au printemps 2015 et à la National Gallery of Australia de Canberra en 2020.

À Shanghai, elle était même visible en trois exemplaires. Car cette série de moulages en résine acrylique et pierre reconstituée peut être dupliquée à volonté. Ses dix-neuf statues de différentes époques disposées en file indienne ne sont pas sans évoquer l’installation de Stéphane Vigny place Royale en 2019. Si elles ne sont pas disponibles en jardinerie, elles ont néanmoins un caractère industriel. L’installation n’est pas due à un artiste mais à une société commerciale, MadeIn (dont le nom joue sur la mention « Made in China »), qui emploie des dizaines de collaborateurs. MadeIn vend ses productions sous le nom Xu Zhen®, qui n’est pas une signature mais une marque déposée.

Un courant artistique déjà obsolescent

Également galeriste et marchand d’art, émule de Damien Hirst et de Jeff Koons et petit-fils spirituel de Marcel Duchamp, le fondateur de l’entreprise, Xu Zhen, assume : « la plupart des choses sont du business de nos jours », dit-il. Son entreprise assemble en quantité des évocations visuelles disparates, arbitraires, tape-à-l’œil et racoleuses, propres à épater le bourgeois de Nantes ou d’ailleurs – à provoquer chez lui un « effet whaou » comme dirait Jean Blaise. Très léchées, ces fabrications ne sont pas toujours du meilleur goût. En 2015, inspiré par la photo célèbre de Kevin Carter où un charognard lorgne sur un enfant soudanais affamé, Xu Zhen a ainsi montré un petit Africain en chair et en os (en os surtout) à côté d’un vautour mécanique(enfoncé, l’Arbre aux Hérons).

Ce n’est pas la première fois que Le Voyage à Nantes expose du kitsch déjà vu. C’était le cas par exemple avec Philippe Ramette. Xu Zhen (qui lui aussi a un temps exploité le filon visuel de l’équilibre « miraculeux ») est probablement d’un autre calibre en tant que représentant d’un courant culturel contemporain significatif. Hélas, ce courant a déjà deux ou trois saisons de retard : l’intelligence artificielle excelle aujourd’hui à mélanger des œuvres au sein de « créations » improbables calculées par ordinateur. Un coup d’œil aux images générées par Midjourney, par exemple, pemet de s’en faire une idée : la créativité algorithmique de l’IA, secondée par des imprimantes 3D, supplante celle de l’humain.

Xu Zhen n’est pas tombé de la dernière pluie. En 2016, déjà, à la Fondation Vuitton, il exposait une représentation de Guanyin « sous forme de gigantesque statue pop bariolée, générée par un ordinateur ». Il sait forcément qu’avec l’arrivée sur le marché grand public de logiciels d’IA comme Midjourney ou DALL-E, ses inventions ne feront bientôt plus lever un sourcil. À défaut d’avoir été le premier, Le Voyage à Nantes pourrait être le dernier à s’en épater.

Sven Jelure

Une réponse sur “Le Voyage à Nantes 2023 ne baisse pas les bras”

  1. « Jean Blaise passe la nuit au commissariat central de Nantes » Concept artistique immersif ? Assurément ! Exit les petits fours et le champagne, la cantine de Waldeck (bières et sandwiches Simenon au menu) a ouvert ses portes hier soir.

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