Déclinantes : cette Nième déclinaison sur le nom de la ville va-t-elle s’accrocher aux basques de Johanna Rolland ? Parmi les étrennes qu’elle offre aux Nantais pour 2023, on remarque un « nouveau grand spectacle » de Royal de Luxe. Il s’agirait en fait de recycler Bull Machin, la déambulation déjà montrée dans la banlieue lyonnaise au début de l’automne. À peu près aussi enthousiasmant qu’Anne Hidalgo ou Olivier Faure, il a déçu malgré un budget considérable.
L’œil brillant et la lippe gourmande, Johanna Rolland va de cérémonie de vœux en cérémonie de vœux annoncer aux Nantais les merveilles qui les attendent en cette année 2023. Il y en a six :
- 18 oasis de biodiversité d’ici la fin de l’année,
- la mise en service progressive de 49 nouvelles rames de tram + grandes,
- + de 50 % de bio et de local dans nos cantines.
- le rapprochement de la @LaCiteCongres et d’@Exponantes et la création d’une maison de l’entrepreneuriat* durable,
- un grand débat sur la fabrique de la ville,
- un nouveau grand spectacle de Royal de Luxe.
Ça fait envie ! Les commentaires se concentrent sur Royal de Luxe, comme si les oasis, la fabrique de la ville (on y reviendra sûrement) ou des trams destinés à durer vingt ou trente ans comptaient moins que trois jours de festivités.
Et quelles festivités ! « La magie de Royal de Luxe s’emparera à nouveau de Nantes, et de Saint-Herblain, avec un nouveau grand spectacle populaire après l’été », assure Johanna Rolland. Nouveau, nouveau… pas tant que ça sans doute, note Big City Life : « Même si Johanna Rolland est restée très floue sur le spectacle, elle a quand même fait fuiter une petite info… La nouvelle création du Royal de Luxe à Nantes sera liée à ce qui a été fait à côté de Lyon et plus précisément à Villeurbanne. »Autrement dit, cette « nouvelle création » montrée à Nantes ou « plus précisément » à Saint-Herblain (ou à cheval sur les deux, à Bellevue) sera une resucée d’un spectacle déjà vendu sur la rive du Rhône en septembre dernier sous le titre Le Bull Machin de Villeurbanne.
Et en réalité, l’annonce même de Johanna Rolland est déjà du réchauffé. Hervé Fournier, conseiller municipal de Nantes, avait mangé le morceau fin septembre. « Si rien n’est acté officiellement, le Bull de Villeurbanne aurait lieu dès les beaux jours d’été prochain à Nantes », révélait-il alors à Ouest-France. Au fait, Hervé Fournier est chargé à Nantes de la commande publique. Commande publique ? Nantes va-t-elle en plus payer ce spectacle à Royal de Luxe qui dormait à fin 2021 sur plus de 900.000 euros de subventions inemployées, versées par la ville pour l’essentiel ?
Chien baveux « chargé de poésie et d’émotion »
Alors, qu’a-t-on vu à Villeurbanne ? Royal de Luxe a tiré du hangar son chien mexicain, El Xolo, né d’un gros glaçon à Nantes en 2011. En voilà du nouveau ! Il lui a adjoint un second canidé, le gros Bull Machin, aussi moche qu’El Xolo est élégant. Ces « deux chiens pas perdus pour tout le monde » (on le croit sans peine) ont été « invités par le Maire de Villeurbanne pour faire la plus grande course de chiens géants qui n’a jamais existé », écrit Jean-Luc Courcoult dans le style aléatoire qui lui est familier.
Les deux mécaniques, entourées d’opérateurs en livrée rouge pour l’une, bleue pour l’autre, ont défilé dans les rues de Villeurbanne, puis ont disputé une parodie de course sans vainqueur commentée par deux journalistes sportifs. Dans la tradition artistique de la Petite géante qui pisse et de la Grand-mère qui pète, les chiens ont abondamment bavé sur les spectateurs. Cela étalé sur trois jours.
Rien de plus qu’un maigre défilé de carnaval, donc. Cependant, promu avec diligence par la ville et la presse locale, le spectacle bénéficiait du label gouvernemental « Capitale française de la culture 2022 ». « Pour Villeurbanne, Jean-Luc Courcoult a imaginé une forme théâtrale renouvelée mettant en scène deux protagonistes géants pour un récit urbain chargé de poésie et d’émotion », assurait sans rougir le dossier de presse de l’événement !
Moitié moins de spectateurs qu’espéré pour un spectacle ni écoresponsable ni économe
Aussi installée que Coca-Cola ou McDonald’s, la marque Royal de Luxe exerce encore une attraction même si depuis des années ses produits ne sont plus à la hauteur de sa réputation. Mais vient un moment où il n’est plus possible de faire semblant. La presse n’a pas confirmé son enthousiasme anticipé. « Un spectacle perfectible, mais globalement réussi », cherchait à se convaincre France 3. Le Progrès titrait avec moins d’indulgence sur « un spectacle qui manquait finalement un peu de chien » et estimait que « la narration est restée quasi nulle pendant deux jours et demi ».
Le désenchantement s’est traduit par une relative désaffection du public. « Plusieurs centaines de milliers de personnes sont attendues pour assister à cette représentation inédite », avait annoncé imprudemment le dossier de presse de la Capitale française de la culture 2022. Villeurbanne comptait sur 300.000 spectateurs. En définitive, la troupe elle-même n’a pas osé comptabiliser plus de 150.000 spectateurs, la vérité étant probablement inférieure, pour trois jours de représentations dans une agglomération de près d’un million et demi d’habitants. « Une affluence un peu décevante, des populations moins mélangées… Ce ne fut pas la fête populaire à laquelle je m’attendais », déplore un conseiller municipal EELV cité par Médiacités, sans parler de l’approche « pas vraiment écoresponsable » de Royal de Luxe.
Pas vraiment économe non plus. Médiacités a fait le compte avec Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, et après enquête serrée : « 1,5 million d’euros de cachets artistiques, 500 000 euros pour la sécurité et 1 million d’euros pour la prise en charge du personnel technique et la location du matériel. Soit un total de 3 millions d’euros. » Ou encore, sur la base suspecte de 150.000 spectateurs, 20 euros par personne pour un spectacle « gratuit ». Et l’on chipoterait quelques malheureuses dizaines de millions à l’Arbre aux Hérons ?
Sven Jelure
* Johanna Rolland dit « entreprenariat », terme incorrect à moins que la maison ne soit destinée aux « entreprenaires ».
Partager la publication "Nantes promise au Bull Machin, le clébard moche de Royal de Luxe"