Bien plus décalé : à défaut d’un pas en avant, Nantes fait un pas [artistique] de côté

Nantes a décidé de « pérenniser » deux des statues de Philippe Ramette exposées pour Le Voyage à Nantes 2018. Au nom du « décalage », assure la Ville. Il y a du décalage dans l’air, en effet, mais pas exactement celui qu’allèguent Johanna Rolland et Jean Blaise !

Chacun connaît ces mendiants qui s’installent parfois en ville dans une attitude « impossible », en lévitation à 20 cm du sol avec pour seul appui une canne, ou bien l’un soutenu par l’autre apparemment à la seule force d’un bras. « Ooooh, costaud, le mec ! », apprécie le bon peuple crédule. « Y a un truc ! », rétorquent les esprits forts. Sa journée de travail achevée, le mec costaud retire discrètement les tubes métalliques passés dans sa manche.

De ce truc de bateleur (lui-même parle de « prothèses à attitudes »), exploité aussi dans ses photos, Philippe Ramette a fait une sculpture, l’Éloge du pas de côté installé place du Bouffay pour Le Voyage à Nantes. Mieux : il a réussi à convaincre Johanna Rolland que cette sculpture « parle de Nantes, de cette capacité de la ville à être un peu décalée, tout en restant fermement sur ses jambes ». Ooooh, costaud, le mec ! (Ou crédule, la maire ?)

Trois mois après la fin du Voyage à Nantes, voilà l’Éloge du pas de côté « pérennisé » en catimini, de même que l’Éloge de la transgression installé cours Cambronne. La ville de Nantes l’a annoncé dans un texte de 300 mots où « décalé » figure quatre fois. Ça décale à plein tubes ! Elle ajoute quand même que « les modalités d’installation pérenne de ces deux sculptures en bronze sont en cours de discussion avec la DRAC et l’architecte des Bâtiments de France ». Les statues décalées seront-elles recalées ? Si ça se trouve, leur « pérennisation » aura lieu dans les réserves du musée d’arts. La seule conséquence pratique de la pérennité à ce jour, semble-t-il, est que Nantes a acheté les statues.

Au prix de l’occasion, on l’espère, puisque l’Éloge de la transgression, réalisé paraît-il par des artisans indiens, a déjà été exposé au Centre Pompidou en 2011 ; on l’a vu aussi à Cagnes-sur-mer en 2017. Quant à l’Éloge du pas de côté, il a été exposé par une galerie parisienne en 2016, dans un format réduit mais déjà sous ce titre. Rien à voir avec Nantes, arrivée en retard. C’est sans doute pourquoi Johanna Rolland la dit « un peu décalée »

Un peu décalé aussi David Martineau, adjoint à la culture, qui à propos des statues affirme que « Philippe Ramette les a pensées sur les deux sites » (Presse Océan, 10 octobre 2018). Pas de chance : Ramette a lui même raconté autrefois comment l’Éloge de la transgression lui a été inspiré par un voyage en Inde et une carte postale ancienne. Mme Rolland, M. Martineau, il va falloir décaler plus fort pour être crédibles.

Sven Jelure

Quelques « Éloges » précédemment exposés par Philippe Ramette

Éloge du déplacement, tramway de Nice, 2018

Éloge de la déambulation, centre commercial Polygone Riviera, Cagnes-sur-mer, 2017

Éloge du pas de côté, galerie Xippas, Paris, 2016

Éloge de la discrétion, galerie Xippas, Genève, 2015

Éloge de la contemplation, hall des Galeries Lafayette de Paris, 2014

Éloge de la discrétion, espace Portique, Le Havre, 2012

Éloge de la clandestinité, Centre d’art contemporain de Sète, 2011

Éloge de la paresse, galerie Xippas, Paris, 2001

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