La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Nantes-Saint-Nazaire « a décidé, à l’unanimité, d’investiguer la possibilité et les conditions d’une réalisation [du projet d’Arbre aux Hérons] par des financements privés ». En quatre ou cinq ans, le secteur privé a été incapable de financer plus de 7,5 % du projet (6 millions d’euros sur 80 millions) comme l’y invitait Johanna Rolland ? Eh ! bien, on va lui demander d’en financer 100 % ! Telle est l’idée audacieuse du président de la CCI.
Yann Trichard, dont l’entreprise ne figure pas parmi les soixante mécènes actuels de l’Arbre, est l’auteur de la formule fameuse : « L’Arbre aux hérons sera à Nantes ce que la Tour Eiffel est à Paris ». Un cliché absolu, utilisé à tort et à travers dans le monde entier. J’en ai donné jadis quelques exemples étonnants (« La Tour Eiffel est à tout le monde »). Une recherche Google sur « ce que la Tour Eiffel est à Paris » (avec les guillemets) retourne aujourd’hui 22.000 résultats, plus 5.670 pour « ce qu’est la Tour Eiffel à Paris et même 18.200 pour « What the Eiffel Tower is to Paris » !
L’Arbre aux Hérons n’est pas mal placé dans la liste actuelle des comparaisons. Il vient même en troisième place, après « l’Atomium est à Bruxelles ce que la Tour Eiffel est à Paris » et « le Merlion est à Singapour ce que la Tour Eiffel est à Paris », précédant la Tour Hassan/Rabat et La Banque/Sancerre.
Sur le plan métaphorique, c’est tentant. Sur le plan économique, un peu moins. À l’échelle des agglomérations, cela voudrait dire environ 440.000 visiteurs par an (pas loin de 7 millions pour la Tour Eiffel), soit nettement moins que les 500.000 annoncés par MM. Orefice et Delarozière, et qui pourtant devaient laisser 15 % de déficit d’exploitation.
En réalité, la comparaison est difficile à soutenir. La Tour Eiffel, qui a longtemps été la plus haute construction du monde, offre une vue panoramique sur l’une des plus grandes capitales du monde. À 35 mètres de hauteur, contre 57 pour le premier étage de la Tour Eiffel, la plate-forme supérieure de l’Arbre aux Hérons ne permettrait pas de voir au-delà de la butte Sainte-Anne, 38 mètres. Resterait une belle vue sur la Loire, Trentemoult et le Bas-Chantenay : est-ce assez pour attirer des visiteurs du monde entier ?
Héroïques héronautes
On se représente difficilement les conditions d’exploitation de l’édifice. L’ascenseur pour le sommet a disparu du projet présenté l’an dernier : les amateurs de vol à dos de héron devront d’abord affronter un escalier métallique de 173 marches, soit la hauteur d’une dizaine d’étages. L’escalier construit par François Delarozière dans le Jardin extraordinaire en compte 177. Mais on peut y accéder directement par en haut… Idem pour les 54 marches du passage Pommeraye.
Le projet a été réduit à un seul héron volant, au lieu des deux prévus à l’origine. Il est censé transporter dix-huit personnes : douze dans des nacelles sous ses ailes et six sur son dos. Deux niveaux d’accès, donc, qui imposeront la présence permanente de deux surveillants chargés de vérifier le bon accrochage des ceintures de sécurité. Compte tenu du temps nécessaire pour les embarquements/débarquements, il n’y aura pas plus de cinq à six vols par heure, admettait Pierre Orefice, et cela paraît déjà optimiste. Le Héron baladerait donc au grand maximum 108 personnes par heure, contre 150 pour le Grand éléphant des Machines de l’île.
Le Grand éléphant assure à ses passagers une protection élémentaire contre les intempéries. Pas l’Arbre aux Hérons. Subir des giboulées dans ses nacelles d’osier sera sûrement une expérience intéressante. Tout comme la balade sur des planches mouillées entre des rameaux dégoulinants secoués par les rafales. Fatalement, les interruptions de service pour cause de pluie ou de vent seront nombreuses. Quant aux canicules, elles imposeront probablement la fermeture de l’Arbre. Le toboggan du Voyage à Nantes a souvent été fermé pour cause d’échauffement du métal, alors qu’il était accroché à la façade nord du château et non exposé en plein soleil toute la journée dans une carrière où la température est réputée supérieure de 2 à 4 degrés à celle des environs. Et, pour le visiteur, il ne s’agirait pas de glisser en bas d’un toboggan mais de gravir 173 marches ! De quoi risquer le coup de chaleur. Pour parer aux risques juridiques, l’exploitant de l’Arbre ferait bien de réclamer un certificat médical aux hardis héronautes.
Les conditions seront rudes aussi pour les machines exposées sur l’Arbre. Quelle sera l’espérance de vie de ces mécaniques délicates une fois sorties de la Galerie des machines ? L’exemple de celles de La Roche-sur-Yon, pourtant conçues pour être amphibies, n’incite pas à l’optimisme. Les frais d’entretien pourraient monter vite.
Quant au « financement privé », il n’aurait a priori aucune raison de bénéficier du statut du mécénat, qui permet aux entreprises de ne supporter que 40 % du coût de leurs dons. La douloureuse montera sensiblement. Mais après tout, la Chambre de commerce et d’industrie rassemble des gestionnaires qui savent ce que signifient compte d’exploitation, fiche de salaire et police d’assurance. Confiance, donc.
Sven Jelure
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