Stéphane Pajot semble arriver comme les carabiniers quand il évoque dans Presse Océan, le 1er mars, le prochain diagnostic du Grand Héron : le sujet a déjà été traité par Ouest-France le 20 février, par Le Figaro le 22 février et par Nantes Plus le 23 février. Pourtant, il apporte des éléments intéressants.
D’abord, la réaction de François Delarozière, dont il a plus d’une fois été une sorte de porte-parole. Nantes Métropole a publié un avis de marché concernant un diagnostic des réparations à effectuer sur le « Grand Héron » ; l’association La Machine va-t-elle y répondre ? Non, car elle l’a déjà fait il y a un an. François Delarozière ajoute : « À l’époque [début 2023, donc], nous avions alerté Nantes Métropole et tiré la sonnette d’alarme en disant qu’il fallait absolument faire quelque chose car les bois se dégradaient […] Les bois doivent être vernis régulièrement car le soleil qui tape les abîme. »
Les bois en question ont été posés début 2022. Au bout d’une seule année, donc, et d’une seule journée d’utilisation effective, le 22 octobre 2022, leur état justifiait déjà qu’on tire la sonnette d’alarme ! Le Grand Éléphant de Nantes, le Dragon de Calais et le Minotaure de Toulouse, tous recouverts de bois, ne sont-ils pas plus robustes ? En fait non. Ils ont droit à un entretien tous les ans et à de grandes rénovations périodiques, tous les quatre à six ans environ. Le Minotaure de Toulouse, par exemple, sort de cinq semaines de maintenance alors qu’il avait été refait en 2020.
Or ces trois machines sont à l’abri sous un toit en dehors de leurs heures de travail. Elles sont exposées aux intempéries moins de 20 % du temps. Le Héron, lui, c’est 100 % ! Il n’est pas illogique qu’il réclame cinq fois plus de rénovations – c’est-à-dire à peu près une tous les ans. On comprend pourquoi le HellFest de Clisson aimerait tant se faire offrir par les collectivités locales un abri pour sa Gardienne des ténèbres, elle aussi œuvre en bois de François Delarozière.
D’après le témoignage de son co-créateur lui-même, donc, l’entretien du Héron sera probablement très coûteux. On n’ose penser à la facture s’il avait fallu l’effectuer à 35 mètres de hauteur, selon la promesse de l’Arbre aux Hérons. D’autant plus que l’Arbre était destiné à recevoir en plus un tas d’autres machines, sans doute pas plus robustes. Nantes Métropole s’était gardée de présenter ces perspectives aux Nantais.
Les promesses n’engagent que les mécènes qui les écoutent
Le deuxième témoin convoqué par Stéphane Pajot est Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole. Aux côtés de Johanna Rolland, il avait annoncé en septembre 2021 l’abandon de l’Arbre aux Hérons. Il n’était pas question à l’époque d’en conserver un morceau. Aujourd’hui, pourtant, cette solution croupion est devenue une ardente obligation : « Ce que nous voulons et nous nous y sommes engagés par rapport aux mécènes, c’est le mettre en exploitation comme le Grand Éléphant à partir de 2025 ».
Elle est bien bonne ! Ce à quoi « nous » s’est engagé, c’est à construire l’Arbre aux Hérons ! Engagement moral, faut-il le préciser, car Nantes Métropole n’a légalement aucune obligation envers les mécènes ‑ Intermarché, Crédit Mutuel, Brémond, ETPO, Harmonie mutuelle, Bati-Nantes, Charier, Groupe DV, Idéa Industries, La Fraiseraie, Pépinières du Val d’Erdre, etc. Ceux-ci n’ont contracté qu’avec le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, destiné à « financer les actions concourant à la création d’une œuvre d’art dénommée « Arbre aux Hérons » sur le site de la carrière Chantenay à Nantes ». Ils ne peuvent que ravaler leur rancœur avec le sentiment de s’être fait avoir.
Pire : faire tenir par Nantes Métropole un engagement du Fonds, qui existe toujours, pourrait éventuellement être considéré comme une subvention déguisée alors que les collectivités locales n’ont pas le droit de financer les fonds de dotation.
On pourrait imaginer les mécènes poursuivant le Fonds et ses dirigeants au titre des promesses mensongères qu’ils leur ont faites ; il serait cocasse de voir Karine Daniel, ex déléguée du Fonds, aujourd’hui sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, sur le banc des accusés. Cependant, l’objet du Fonds a été élargi fin 2019 : il est devenu Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire. Ce jardin, du moins, il existe : les mécènes qui ont signé après cette extension n’ont plus lieu de se plaindre*.
Mais ils pourraient se montrer pointilleux. M. Roussel ne sait pas où installer le Héron. « Nous avons pensé à plusieurs endroits pour l’installer mais rien n’a encore été acté », dit-il. C’est faire bon marché de l’engagement pris lorsque l’objet a été étendu : « Cet élargissement marque le fait que le projet d’Arbre aux Hérons est aujourd’hui indissociable de son jardin. » S’il est indissociable, ne le dissociez pas ! Et puis, vous devez bien ça à Yann Trichard, président de la CCI, presque sauveur de l’Arbre aux Hérons, dont Médiacités révèle qu’il a cru au projet au point de racheter un restaurant face à la carrière de Miséry. L’établissement est en redressement judiciaire depuis quelques mois ; peut-être l’arrivée tardive du Héron pourrait-elle encore le sauver ?
Sven Jelure
* Les 5 511 donateurs de la campagne Kickstarter, eux, peuvent s’adresser au créateur du projet. « Lorsqu’un projet est financé, le créateur doit terminer le projet et tenir ses promesses », précise le règlement de Kickstarter, pour qui le créateur n’est ni François Delarozière, ni Pierre Orefice, ni Johanna Rolland, ni Karine Daniel mais Bruno Hug de Larauze, à l’époque président du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons. Comme il a quitté la présidence sans même un message pour les donateurs, il ne se montrera peut-être pas très coopératif. Il est pourtant probable que c’est lui qui court le plus de risques dans cette affaire s’il tombe sur un mauvais coucheur.
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