L’interpellation citoyenne à la nantaise reste sans voix

Il y a un sujet, au moins, qui n’alourdira pas le conseil municipal du 28 mars 2025. Les « interpellations » adressées à la mairie de Nantes au titre du « dialogue citoyen » devaient être présentées au cours de cette séance. Aucune d’elles n’a surmonté les obstacles dressés sur leur chemin.

Joyau supposé de la démocratie participative, le « droit d’interpellation citoyenne » instauré à Nantes l’an dernier permet à tout résident âgé d’au moins 16 ans d’« interpeller » le conseil municipal sur un sujet d’intérêt général en lien avec les affaires communales.

Le principe paraît simple. La procédure l’est moins :

  • Pendant un délai d’un mois, à partir d’une date d’ouverture publiée sur le site metropolenantes.fr, dépôt des interpellations via une plateforme du dialogue citoyen ou sur formulaire déposé en mairie, avec remise d’un accusé de réception.
  • Analyse de recevabilité des interpellations par les services de la mairie.
  • Publication des interpellations recevables sur la plateforme du dialogue citoyen.
  • Pendant deux mois, possibilité pour les Nantais d’apporter leur soutien aux interpellations affichées.
  • Analyse par une commission ad hoc du conseil municipal des interpellations ayant obtenu au moins 300 soutiens provenant de résidents d’au moins trois quartiers nantais différents.
  • Remise de l’avis de la commission à la Maire, qui choisit d’inscrire ou pas les interpellations à une séance du conseil municipal.
  • Présentation en séance par leur auteur, en 5 minutes maximum, des interpellations retenues par la Maire. Ni débat ni vote, mais une réponse est donnée par la Maire ou un élu désigné par elle.

Au vu de ce parcours bureaucratique, on s’interroge : qu’est-ce donc qu’une « interpellation » ? « Interpeller », selon le Dictionnaire de l’Académie française, signifie « adresser la parole à quelqu’un, d’une façon plus ou moins brusque, pour attirer son attention, lui demander quelque chose ou le prendre à partie ».

Plutôt pas brusque du tout, le premier cycle d’interpellation, se déroule l’an dernier entre le dépôt des interpellations en février et le conseil municipal du 21 juin 2024.

Sur les 24 interpellations déposées en février 2024, déjà, 5 sont considérées comme irrecevables soit parce que le sujet a été traité précédemment, soit parce le déposant a omis de prouver qu’il réside à Nantes. Sur la plateforme du dialogue citoyen, les 19 interpellations restantes reçoivent 1 634 soutiens, provenant de 963 Nantais – soit environ 0,37 % des quelque 260 000 résidents de plus de 15 ans.

Et là, catastrophe : aucune des interpellations ne passe la barre impérieuse des 300 soutiens ! Comme le rapporte la mairie, « la question ayant reçu le plus de soutiens s’intitule « pourquoi les chiens de plus de 6 kg ne sont pas autorisés à accéder aux transports en commun ? ». Elle bénéficie de 366 soutiens, dont 295 de personnes résidentes à Nantes. » Il s’en faut de 5 soutiens !

Dans sa grande bienveillance, la commission ad hoc du conseil municipal, qui sans cela se serait réunie pour rien, préconise de déroger au règlement t afin de présenter tout de même cette unique interpellation au conseil municipal. Non moins bienveillante, la Maire accède à cette demande. Et, après avoir donné la parole à M. Dimitri Marquois, auteur de l’interpellation, et à une dizaine de conseillers municipaux, dans le respect de la procédure, elle répond… en noyant le poisson, bien sûr. Elle renvoie M. Marquois et ses chiens à une « charte de l’animal en ville pour 2025 ». Ceux qui croiraient que j’exagère liront ci-dessous un extrait de la réponse de Johanna Rolland, selon le P.V. du conseil municipal(1).

De charte de l’animal, il n’a plus été question à ce jour, et la « charte métropolitaine des arbres » adoptée en avril 2024 ne prévoit rien pour les chiens appelés à lever la patte dessus. Quant au « règlement voyageur » de Naolib, à date, il oblige toujours les chiens à voyager dans un panier tenu sur les genoux, sauf pour les chiens d’aveugle et les chiens professionnels. Un coup d’épée dans l’eau, donc. « Si les chiens sont interdits je vais venir avec un éléphant, on les aime a Nantes… », commente un humoriste sur la plateforme du dialogue citoyen.

Dis-moi, miroir magique, quelle est la plus belle femme de ce royaume ?

« Pour sa première année d’expérimentation, la démarche a ainsi rencontré un certain succès en termes d’interactions sur la plateforme de dialogue », s’est félicité sans rire le service de presse de la mairie. En 2025, on allait voir ce qu’on allait voir !

On a vu : la seconde bordée d’interpellations a commencé en octobre 2024, puis « les services de la ville ont instruit les 544 soutiens apportés aux 19 interpellations pendant la phase de votation, afin de s’assurer qu’ils respectent le réglement du droit d’interpellation ». Au programme, des questions sur les îlots de fraîcheur, la sécurité des voies piétonnières, la qualité du pain dans la restauration collective, le sort des Roms de la prairie de Mauves, la vidéosurveillance et l’IA, etc. Résultat des courses : « Aucune interpellation sur les 19 proposées n’a recueilli le soutien de 300 citoyens et ne sera donc inscrite à l’ordre du jour du Conseil municipal du 28 mars 2025 ». En fait, aucune interpellation n’a atteint ne serait-ce que 80 soutiens.

Voilà la question radicalement simplifiée. On est passé du « certain succès » à l’échec certain. Avec 544 soutiens en 2025 au lieu de 1 634 en 2024, la participation a chuté des deux tiers d’une année sur l’autre. Quel gâchis.

Depuis la loi municipale de 1884, les conseillers municipaux représentent les citoyens de leur commune et en reçoivent des suggestions. Avec 69 élus, les Nantais ne manquent pas d’interlocuteurs possibles. C’était sans doute trop simple, trop naturel, pas assez administré : le « dialogue citoyen » selon Johanna Rolland exige une étiquette, une appellation contrôlée, une procédure bureaucratique – qui a réclamé quatre ans entre son annonce en 2020, au début du second mandat, et sa mise en place.

Mais le vrai problème n’est pas dans la procédure : il est dans l’authenticité du « dialogue ». S’il s’agit de propagande sous un autre nom, les citoyens finissent par s’en apercevoir. C’est pourquoi les échecs de Johanna Rolland en la matière ont tendance à s’aggraver d’année en année : on l’a vu en 2023 à propos du débat sur le pôle d’écologie urbaine, un sujet majeur pourtant, mais une « concertation assez peu attrayante » a grondé la Commission nationale du débat public parce que le projet, en réalité, était déjà « bouclé ». À quoi bon perdre son temps à donner un avis voué à la poubelle (et par lequel, éventuellement, on s’autodéclare opposant politique en cas de fichage partisan) ?

L’ancien communicant en chef de Jean-Marc Ayrault avait pourtant publié dès 2019 une mise en garde contre l’idéologie de la démocratie participative(2). Les citoyens distinguent bien la tentative de manipulation et le refus de toute remise en question, ils font la gueule et ce droit d’interpellation baillonné d’avance n’a rien fait pour réduire le scepticisme, au contraire. Mais ne baissons pas les bras : mon interpellation, en 2026, portera sur le coût du « dialogue citoyen » sous forme du temps qu’y dépensent en pure perte des fonctionnaires municipaux.

Sven Jelure

(1)     Extrait du procès-verbal du conseil municipal du 21 juin 2024 : « Ensuite, sur le fond, simplement redire que nous sommes en effet engagés dans une réflexion plus globale sur la place de l’animal en ville, avec l’objectif d’une charte pour 2025 – je remercie Séverine Figuls de sa mobilisation sur ces sujets. Cela renvoie en réalité à des choses de nature assez diverse ; je cite quelques thématiques que nous pourrons explorer demain : la question des clauses de bienêtre animal dans les appels d’offres pour la restauration collective et la question du plan d’action pour l’animal domestique dans la ville, en lien avec les associations puisque l’on a de acteurs qui sont assez mobilisés sur ces sujets. On sait qu’il y a des questions difficiles qui se posent sur ces questions, sur les places d’hébergement d’urgence ou même sur les EHPAD. Voilà, pour illustrer concrètement ce dont on parle quand on évoque ce projet, qui est le nôtre, d’une charte de l’animal en ville pour 2025. »

(2)     Guy Lorant, Les Ambiguïtés de la démocratie participative, L’Harmattan, 2019.

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