Johanna, Julie et l’Arbre aux Hérons : mordacité* dans le ciel

Embrassons-nous, Folleville ! Follemétropole, même : Johanna Rolland et Julie Laernoes font liste commune pour le deuxième tour de l’élection municipale. D’aucuns s’imaginaient que la seconde allait réclamer à la première le ferraillage de l’Arbre aux Hérons en gage d’alliance éternelle. Le risque n’était pas grand. L’édifice n’est qu’un détail et la pragmatique Julie sait qu’il vaut mieux laisser Johanna Rolland faire le sale boulot.

Il faudra bien y venir un jour. Il y a quinze ans que le projet est dans l’air, presque trois ans et demi que Nantes Métropole Aménagement a été chargé de « finaliser la conception de l’Arbre aux Hérons », huit mois qu’un rab’ de 2,6 millions d’euros a été accordé à un groupement Delarozière-Orefice-La Machine pour achever les études. On ne pourra pas indéfiniment jouer les arrêts de jeu.

Le projet est mal parti. L’Arbre d’aujourd’hui ne ressemble plus à rien. Surtout pas à un arbre. Ce n’est plus du tout l’élégante Cité dans le ciel vendue à Nantes Métropole et aux souscripteurs de Kickstarter sur la foi d’une belle illustration de Stéphane Muntaner. C’est devenu une grosse patatoïde germée, cerclée de dizaines d’étais métalliques sans lesquels l’ensemble ne tiendrait pas debout. N’est pas Gustave Eiffel qui veut.

Les financements ne se présentent pas mieux. Johanna Rolland l’a tant dit et redit qu’elle ne peut guère s’en dédire : un tiers du financement doit être fourni par Nantes Métropole, un tiers par des partenaires publics et un tiers par le secteur privé. Une petite douzaine de millions par tiers pour un projet à 35 millions d’euros – car tel est le montant annoncé par le site officiel de Nantes Métropole. Côté partenaires publics, après des années de sollicitations, seule la région des Pays de la Loire a pris un engagement ferme pour 4 millions d’euros. Le département de Loire-Atlantique, a promis 6 millions d’euros. Mais il s’agit à ce jour d’une promesse verbale, peut-être délicate à voter pour de bon dans le monde post-covid-19.

Le trou se creuse plus vite que l’Arbre ne pousse

Quant au troisième tiers, les promoteurs de l’attraction métallique ont assuré pendant des années qu’au moins quarante entreprises s’étaient engagées à le financer. Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une trentaine ! Globalement, le total des dons se situe quelque part entre 3,4 et 7 millions d’euros. On le connaîtra plus précisément dans quelques jours car la loi oblige le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons à publier ses comptes certifiés avant la fin du mois de juin. À moins qu’il ne choisisse l’illégalité, signe que la situation est encore pire…

Les 35 millions sont donc loin. Loin dans l’avenir, mais peut-être aussi loin dans le passé. Déjà, on en a sorti subrepticement de gros investissements accordés aux Machines de l’île pour des engins in fine destinés à l’Arbre, et aussi plusieurs millions de frais d’études qui, en toute logique financière, auraient dû être inclus dans l’enveloppe globale. Pour la suite, de lourdes allusions et de petites indiscrétions évoquent un dérapage massif. D’après La Lettre à Lulu, le budget final doublerait quasiment, à 69,9 millions d’euros au lieu de 35. Soit 23,3 millions par tiers. Nantes Métropole peut s’en accommoder : le contribuable nantais a les poches profondes. Mais imaginer que le département et la région doubleraient leur écot relève de la politique-fiction. Il resterait donc 13 millions à trouver auprès d’autres partenaires publics. Dans la situation actuelle, inutile de trop compter sur l’État…

Inutile aussi de trop compter sur les entreprises pour le troisième tiers du financement : pendant au moins deux ou trois ans de crise économique, elles vont resserrer les cordons de la bourse. Même chez les bien-portantes, laquelle annoncerait aujourd’hui à son comité social et économique qu’elle va donner des millions à une attraction touristique ?

Encore un instant, monsieur le bûcheron

Les signaux négatifs s’accumulent. Pas un seul nouveau mécène n’a été affiché depuis trois mois. Les donateurs Kickstarter devaient recevoir une lettre semestrielle sur l’avancement du projet ; en deux ans, ils n’en ont reçu qu’une. Le compte Facebook de l’Arbre aux Hérons parle de temps en temps des Machines de l’île (fermées) ou du Jardin extraordinaire (fermé) mais pas du projet. « Combien reste-t-il à financer ? » lui a demandé un aficionado début mars ; à question idiote, pas de réponse, comme disait ma grand-mère. L’Arbre commence à sentir le sapin.

Johanna Rolland sait tout cela. Mais abandonner l’Arbre aux Hérons déclencherait une telle cascade de problèmes qu’elle préfère sans doute ne pas trop y penser. Entre l’ex députée Karine Daniel qui perdrait son emploi au Fonds de dotation, le président Bruno Hug de Larauze qui selon les règles de Kickstarter aurait à assurer le remboursement des souscripteurs, La Machine qui devrait trouver ailleurs de quoi verser ses salaires, les mécènes qui seraient privés de retour sur investissement et les Nantais qui demanderaient des comptes, beaucoup d’intérêts sont en jeu. Qu’il se fasse ou non, on parlera encore de l’Arbre aux Hérons pendant un bout de temps.

* « Qualité corrosive, par laquelle un corps agit sur un autre et le dissout en tout ou en partie. »

Sven Jelure

Une réponse sur “Johanna, Julie et l’Arbre aux Hérons : mordacité* dans le ciel”

  1. Vous croyez vraiment que ces dames vont encore parler longtemps de l’Arbre aux Hérons ? Elles s’accorderont plutôt pour glisser la question sous le tapis et l’y laisser……..

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