La Folle Journée est aujourd’hui gérée par la Cité des congrès. On pensait donc que la société du même nom avait disparu. Mais pas du tout ! Pour une raison X, elle a été maintenue en survie et continue à creuser un gros trou financier. Il revient au tribunal de commerce de l’achever. Avec peut-être des dégâts collatéraux.
La Folle Journée est en liquidation judiciaire. Le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le proclame ce 21 juillet. Ce n’est rien du tout, affirment les dirigeants de cette société d’économie mixte (SEM). « Un non-événement », assure Presse Océan, qui reprend les éléments de langage municipaux : « la décision de « saborder » la société La Folle Journée est actée depuis de longs mois, et ce de façon unanime par la majorité nantaise comme par les élus d’opposition de droite ».
C’est faux. Pour le constater, il suffit de se reporter au très officiel Rapport des administrateurs de la Ville [de Nantes] au sein des S.E.M. et S.P.L.pour 2022 publié voici quelques semaines. On y lit ceci, p. 13 :
Le Conseil d’Administration a décidé par délibération en date du 20 septembre 2021 de mettre en sommeil la SAEML LA FOLLE JOURNEE le 1er octobre 2021 pour une durée maximale de deux années ; terme à la fin duquel la structure décidera de sa reprise d’activité ou de sa dissolution
Autrement dit, la SEM perdurait. Si sabordage il y avait, il serait décidé le 30 septembre 2023. Que s’est-il passé entre le 1er octobre 2021 et aujourd’hui ? A priori rien puisque la SEM est « en sommeil » ! Pourtant, l’un de ses mandataires s’est rendu ce printemps au greffe du tribunal de commerce pour déposer le bilan. La liquidation judiciaire de la société a ensuite été prononcée le 5 juillet, la cessation des paiements étant fixée, au moins provisoirement, au 20 mai 2023.
Deux mystérieux prêts garantis par l’État
En réalité, la vraie question n’est pas : « Pourquoi ne pas avoir attendu fin septembre 2023 comme prévu (le « terme à la fin duquel ») ? » mais : « Pourquoi ne pas avoir procédé à une liquidation amiable dès 2021 » ? Le 20 septembre 2021, quand le conseil d’administration décide la mise « en sommeil », la situation semble déjà désespérée. L’édition 2021 de la Folle Journée a été désorganisée par l’épidémie de Covid-19 ‑ alors que celle de 2020 y avait échappé. De plus, les malversations de Joëlle Kerivin, directrice de la structure, ont été découvertes au cours de l’hiver. Dès cette époque, le Rapport des administrateurs de la Ville au sein des S.E.M. et S.P.L. pour 2021 (p. 24) tire le signal d’alarme :
Au 30 juin 2021, les fonds propres de la structure sont de nouveau négatifs (-398 K€). Cette situation entraîne une incertitude significative sur la capacité de la société à poursuivre son activité. En conséquence, elle pourrait ne pas être en mesure d’acquitter ses dettes et de réaliser ses actifs dans le cadre normal de son activité.
Bien entendu, le temps qui passe n’arrange pas la situation. Le Rapport des administrateurs de la Ville au sein des S.E.M. et S.P.L. pour 2022 se contente de reproduire l’avertissement de 2021. Il suffit de corriger le montant accusateur :
Au 30 juin 2022 les fonds propres de la structure sont de nouveau négatifs (- 565 K€). Cette situation entraîne une incertitude significative sur la capacité de la société à poursuivre son activité. En conséquence elle pourrait ne pas être en mesure d’acquitter ses dettes et de réaliser ses actifs dans le cadre normal de son activité.
Un peu plus loin, le rapport glisse :
La SAEML est en attente du dénouement de sa mise en sommeil, sa capacité à rembourser ses deux Prêts Garantis par l’État allant de fait impacter fortement sa capacité à perdurer juridiquement.
Là, il y a un petit mystère. La Folle Journée a bel et bien souscrit deux prêts garantis par l’État (PGE), joyaux de la politique du « quoi qu’il en coûte » en temps de Covid-19. L’un, de 400 000 euros en mai 2021, l’autre de 350 000 euros en juillet 2021. En ce 30 juin 2022, la mise en sommeil ne doit être « dénouée » que quinze mois plus tard, mais la « capacité à rembourser » est déjà nulle puisque la société n’a aucune activité. Un PGE est normalement remboursable au bout de deux ans. Le dépôt de bilan de mai dernier pourrait donc être lié à l’arrivée à échéance du prêt de mai 2021.
Ils courent, ils courent, les frais inutiles
On note l’ironie de la situation. À Joëlle Kerivin, on reproche d’avoir détourné près de 233 000 euros. Ça n’a pas aidé, bien sûr, mais ça n’est qu’une petite partie du gouffre creusé par La Folle Journée. Or ses successeurs demandent à l’État de leur « prêter » 400 000 euros, puis 350 000 euros à une époque où la SEM, déjà, « pourrait ne pas être en mesure d’acquitter ses dettes » !
La SEM était « une coquille vide », insiste Ouest-France. Une coquille vide dotée tout de même d’une nouvelle directrice générale depuis septembre 2021. En 2021/2022, ses produits d’exploitation (principalement de simples écritures comptables et quelques subventions) ne dépassent pas 55 611 euros alors que ses charges d’exploitation s’élèvent à 256 229 euros (dont 68 497 euros de salaires et charges sociales), c’est-à-dire que le trou financier se creuse à grande vitesse ! Cité par Ouest-France, Guillaume Richard, administrateur de la SEM, présente la liquidation comme « une décision purement juridique, décidée pour ne pas laisser courir de frais inutiles ». Sauf qu’il s’agit d’une décision judiciaire, prise par un juge et non par les dirigeants de la SEM, et motivée non par des frais inutiles mais par l’insolvabilité de La Folle Journée.
Guillaume Richard est élu d’opposition à Nantes. Ouest-France voit dans ses propos un signe d’unanimité municipale. Pourtant, ces « frais inutiles » pourraient devenir une peau de banane sous les pieds du communiste Aymeric Seassau, président de la SEM. Le code commerce, en son article L651-2, dispose que
Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
Est-ce une faute de gestion que de « laisser courir » des « frais inutiles » pendant plus de dix-huit mois ? Après tant de déboires récents, ce serait un nouveau suraccident pour la municipalité de Johanna Rolland.
Sven Jelure
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