Le musée d’arts de Nantes entre Charlot et Ratatouille

Le musée d’arts de Nantes, peut-être las des artistes confidentiels, prépare pour la fin 2019 une exposition intitulée « Charlie Chaplin et les avant-gardes ». Cette fois, il est à peu près sûr de faire du chiffre en mêlant extraits de films, peinture, photographie, etc.

Pour cette exposition, il cherche à recruter une assistante. Mais au lieu d’une offre d’emploi pour un CDD classique, la direction de la culture de Nantes Métropole a préféré publier un avis de marché portant sur une « Mission d’assistance au commissaire de l’exposition internationale ». Ce qui, après tout, va de pair avec le mélange des genres revendiqué par l’exposition elle-même.

Mélange qui ne se bornera probablement pas à la juxtaposition d’œuvres de différentes natures. La déclaration d’intention du musée peut susciter quelques alarmes :

« De la découverte de Charlot par Léger en 1916, au numéro spécial Disque vert de 1924 consacré à Chaplin, en passant par l’invention du concept de 7e art par Canudo en 1919, qui identifie immédiatement Chaplin comme le premier artiste du médium, l’intérêt des avant-gardes pour ce nouveau moyen d’expression et particulièrement pour Chaplin permet de souligner de nombreuses porosités. »

Cette phrase de soixante mots compose à elle seule un étrange gloubi-boulga. En 1916, Charlot était un personnage déjà très connu dans le monde entier. Il n’avait pas besoin d’être « découvert » par qui que ce soit. 1916 est seulement la date à laquelle Fernand Léger aurait vu pour la première fois un film de Charlot au cinéma ; elle est peut-être importante pour Léger, pas pour Chaplin.

Pourquoi, alors, fixer 1916 comme point de départ de la période couverte par l’exposition ? Pourrait-on dire que le passage de Fernand Léger dans une salle obscure a été le premier signe d’intérêt d’une avant-garde franco-française pour Charlot ? Même pas : Léger avait notoirement été entraîné au cinéma par Guillaume Apollinaire. Ce dernier serait-il moins avant-gardiste ?

Quant à l’expression « 7e art », elle date peut-être de 1919, mais le concept était antérieur : Ricciotto Canudo avait publié en 1911 La Naissance d’un sixième art – Essai sur le cinématographe. Le chantre de « l’impérialisme artistique français » n’était évidemment pas le premier à considérer le cinéma comme un art, et le droit anglo-saxon s’était déjà soucié de protéger les œuvres cinématographiques au titre du droit d’auteur. Et en 1919, bien entendu, considérer Charlie Chaplin comme le « premier artiste du médium » aurait été d’une grande naïveté. C’est d’ailleurs l’année où l’intéressé a cofondé la société United Artists (Les Artistes associés en VF), dont le nom pluriel n’avait pas été choisi par hasard.

Et comme décidément la direction de la culture semble s’acharner à avoir tout faux, le numéro spécial du Disque vert en 1924 n’était pas « consacré à Chaplin » mais à… Charlot.

Toujours plus à côté de la plaque.

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Sven Jelure

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