La perquisition à la mairie de Saint-Sébastien-sur-Loire, en septembre dernier, n’était peut-être qu’une mise en bouche. Le rapport sur La Chapelle-sur-Erdre publié mardi par la chambre régionale des comptes est un grand pas supplémentaire vers de sérieux ennuis probables, en lien avec Le Voyage à Nantes.
L’affaire de Saint-Seb’ porte sur l’aménagement de la Station Nuage, sur l’île Forget. En étudiant les comptes de la commune pour les années 2016 et suivantes, la chambre régionale des comptes découvre qu’un contrat portant sur l’aménagement de cette guinguette toute bleue a été passé le 7 juillet 2020 avec la SPL Le Voyage à Nantes dans des conditions contestables. Pour la Chambre, l’affaire est limpide : « le contrat passé sans négociation par la commune pour la conception et la réalisation de la Station Nuage en collaboration avec le Voyage à Nantes, pour un montant prévisionnel de 167 000 € HT, contrevient au principe de la liberté d’accès à la commande publique, car ce contrat portant sur la réalisation d’un équipement a été conclu sans mise en concurrence. »
La commune invoque l’article R2122-3 du code de la commande publique (CCP), comme le Voyage à Nantes l’a souvent fait. Il autorise les donneurs d’ordres publics à passer des marchés sans appel à la concurrence quand une propriété intellectuelle est en jeu. Bien entendu, la Chambre « ne conteste nullement la qualité d’œuvre de l’esprit qui s’attache à l’esquisse et à la conception de la Station ». Mais, selon elle, il n’y a d’œuvres d’art que réalisées par leurs auteurs. Mobiliers, parasols, filet, etc., auraient dû faire l’objet d’une publicité et d’une mise en concurrence. Elle est donc formelle : « La procédure suivie était irrégulière ».
De simples abris en bois
La suite est inéluctable. La justice est informée, la machine est en route, elle suit son bonhomme de chemin. Le résultat des courses n’est pas encore tombé à Saint-Sébastien qu’une autre piste, quasiment identique vient de s’ouvrir. Elle concerne les aménagements effectués en 2021 au bord de l’Erdre, à La Gandonnière en La Chapelle-sur-Erdre, par le Collectif Fichtre – un fournisseur récurrent du Voyage à Nantes.
Là encore, la Chambre se montre indulgente envers La Chapelle-sur-Erdre : « la nature d’œuvre d’art de la conception n’est pas contestée », écrit-elle, à propos d’une œuvre qu’elle décrit ainsi : « Hormis le barbecue, facturé 10 000 € HT, l’installation consiste en une construction de simples abris en bois et d’une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite. » Mais pour la réalisation – les planches, les clous et les marteaux – c’est autre chose, ça n’est pas une « œuvre de l’esprit » au sens du code la propriété intellectuelle ni une « œuvre d’art » au sens du code général des impôts. Pour l’article R2122-3 du CCP, vous repasserez. Justement, le tribunal administratif de Nice vient d’annuler un contrat assez comparable, qui concernait pourtant une statue.
Même sur l’opportunité de la réalisation, à vrai dire, la Chambre a un peu de peine à retenir ses critiques : « Cette « œuvre », d’un coût contractuel après avenant de 205 603 € HT (246 724 € TTC) n’aura finalement été installée à la Gandonnière qu’un été, compte tenu des restrictions d’installation sur ce site naturel, des coûts de désinstallation–réinstallation, de l’absence d’utilisation par le public et de la polémique engendrée. » Car les voisins n’avaient pas du tout apprécié l’effervescence suscitée par la présence du barbecue géant.
Dérouler la pelote
Par coïncidence, les maires signataires des deux contrats avec le Voyage à Nantes ont tous deux quitté leurs fonctions depuis lors, élus l’un sénateur, l’autre député de Loire-Atlantique. Joël Guerriau, ancien maire de Saint-Sébastien-sur-Loire, est en proie, comme on le sait, à d’autres difficultés. Pour Fabrice Roussel, ancien maire de La Chapelle-sur-Erdre, l’irrégularité de la procédure d’achat pourrait se doubler d’un conflit d’intérêt car, observe la Chambre, à l’époque où il a signé ce contrat « source d’irrégularités et de dérives budgétaires », il était aussi… président du Voyage à Nantes !
« Un gros nuage sur Le Voyage à Nantes et sur un député de Loire-Atlantique », titrait Nantes Plus le 16 septembre 2024. Inutile de s’embêter à en trouver un autre vraiment différent cette fois-ci. Et il pourrait bien servir à nouveau dans l’avenir, il suffira d’incrémenter, car des contrats signés dans des conditions comparables par le Voyage à Nantes, il doit y en avoir plusieurs, des dizaines peut-être. Et il doit y en avoir aussi à Nantes Métropole autour de l’Arbre aux Hérons, signés probablement par le vice-président chargé du tourisme et des équipements culturels de l’époque. Autrement dit Fabrice Roussel.
Jean Blaise, ancien directeur général du Voyage à Nantes aujourd’hui retraité, doit se sentir loin de tout ça. Interrogé par Anne Bertrand, de France Bleu, le 19 septembre 2024, à propos de la Station Nuage, il évoquait une simple « anomalie ». « Franchement, je ne suis pas inquiet. J’en ai vu d’autres », assurait-il. Et ce n’est probablement pas fini.
Sven Jelure
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