Voyage à Nantes 2021 : de qui est-ce le naufrage ?

La fontaine de la place Royale est le symbole de Nantes. Quel message le Voyage à Nantes veut-il délivrer en la représentant rouillée, échouée, la-ment-table ?

« La fontaine de la place Royale, symbole de la Ville de Nantes » : c’est Johanna Rolland qui nous le dit. Plus exactement, c’est le site web du Seve, dont elle est directrice de publication. Et Nantes ne plaisante pas avec un symbole. Sur le site web de Nantes Métropole, Google trouve pas moins de 93 occurrences du mot. Alors, quel symbole voulait-on cultiver en recouvrant le monument d’un simulacre d’épave sous le titre Le Naufrage de Neptune ?

Une « immense carcasse d’acier », assure la brochure du Voyage à Nantes 2021. Immense, n’exagérons rien. Avec à peu près 17 mètres de long et 5 de large, ce Titanic du pauvre est vingt fois plus petit que le modeste Bougainville, dernier cargo construit à Nantes en 1986 (113 x 17 m). Et 250 fois plus que le nouveau Bougainville lancé par la CMA CGM fin août 2015.

« Le bateau – œuvre d’Ugo Schiavi – « naufrage de Neptune » sera à n’en pas douter une étape phare du #van ! »s’enthousiasmait un peu vite Juju La Nantaise. Très drôle, le « phare » ! Il est vrai que les naufrageurs d’autrefois allumaient souvent des feux sur le rivage, simulant un fanal pour pousser les capitaines à la faute. Reste à savoir qui joue ici le rôle du pilleur d’épaves.

Mythologie de seconde main

Du pilleur de mythes, aussi. La brochure du Voyage à Nantes voit dans la fontaine de la place Royale « une allégorie dominée par la statue d’Amphitrite, déesse de la mer ». Or cette statue n’a jamais été celle d’Amphitrite. Son histoire est bien connue : c’est une allégorie de la ville de Nantes elle-même, comme l’écrit Édouard Pied dans ses célèbres Notices (1906). Il suffit de regarder : son couvre-chef censé représenter le château des ducs de Bretagne est incompatible avec la baignade. Et elle est vêtue d’une robe qui lui tombe jusqu’aux pieds. La maîtresse des monstres marins n’était pas du genre burkini : elle est presque toujours représentée nue. La demi-douzaine de sculptures présentées au Louvre en sont témoin*.

Et puis, allez donc confondre Amphitrite, déesse subalterne éclipsée par son mari Poséidon, dieu de la mer (Neptune n’est venu que plus tard), épousée par manigance et abondamment cocufiée, avec une ville aussi fière que Nantes… L’idée même devrait horrifier Johanna Rolland (qui la répand pourtant avec le Seve).

Le nom Amphitrite lui-même n’était sûrement pas dans l’air du temps à l’époque de l’érection de la fontaine. Il eût trop tristement rappelé l’un des drames maritimes les plus épouvantables et les plus médiatisés du 19e siècle, le naufrage devant Boulogne-sur-Mer, le 31 août 1833, de l’Amphitrite, navire britannique transportant 108 femmes de mauvaise vie condamnées à la déportation en Australie, ainsi qu’une douzaine d’enfants. Seuls trois marins avaient survécu. Vingt-cinq ans plus tard, son souvenir n’était pas sûrement pas éteint à Nantes.

De rouille et d’eau

Puisqu’il ne faut rien gaspiller et que l’allégorie nous a déjà coûté bonbon, recyclons-la : l’échouage final ici représenté est celui du Voyage à Nantes. Il a lancé son cri du cygne l’an dernier avec le Rideau de Stéphane Thidet. Le VAN 2021 est la traversée de trop.

On se rappelle le lamento répété de Jean-Marc Ayrault à propos de la Navale. « Lorsque je suis arrivé à la mairie de Nantes, les chantiers navals venaient de fermer, la ville se sentait sur le déclin, les Nantais ne se voyaient pas d’avenir », racontait-il une Nième fois il y a quatre ans dans un entretien avec Pierre-Marie Hériaud (Presse Océan, 18 mai 2017). « Avec Jean Blaise on les a surpris avec les Allumées et les Nantais se sont surpris : ce festival a déclenché la fierté, l’audace et la créativité qui étaient enfouies. » Aujourd’hui, non seulement les chantiers ont fermé, mais les navires ont coulé (le Bougainville a été désarmé voici une dizaine d’années déjà), les Allumées sont éteintes depuis longtemps et Jean Blaise lui-même paraît rouillé.

Le Voyage à Nantes a été créé en janvier 2011. Dix ans déjà… Voilà pourtant un anniversaire qu’on s’est gardé de célébrer. On voit bien pourquoi. Malgré les rodomontades de son patron et les dizaines de millions d’euros dépensés, la société publique locale n’a pas tenu sa promesse, qui était de faire entrer Nantes « dans le top 5 des destinations françaises ». En fait, Nantes reste sans doute aux alentours du dixième rang… comme il y a dix ans.

Faut-il incriminer l’âge du capitaine ? En réalité, malgré quelques réussites ponctuelles, la formule du Voyage à Nantes n’a jamais décollé. Des touristes sont venus – mais il en est venu aussi à peu près partout ailleurs. Et alors que beaucoup de régions touristiques françaises ont peu ou prou comblé le trou d’air du coronavirus, le tourisme à Nantes est loin d’avoir récupéré. On le constate à vue d’œil dans les rues du centre-ville. On soupçonne que le vrai moteur du tourisme à Nantes n’était pas le Voyage à Nantes mais le transport aérien low-cost – Volotea, Ryanair, Transavia et les autres… Ce n’est pas un naufrage, c’est une catastrophe aérienne qu’il aurait fallu montrer place Royale en guise d’ultime représentation.

Sven Jelure

* Pour être juste, la robe est ici due à l’insistance de l’évêque de Nantes. Le sculpteur Ducommun de Locle avait initialement prévu une Nantes à l’état de nature.

3 réponses sur “Voyage à Nantes 2021 : de qui est-ce le naufrage ?”

  1. Billet plein de mépris. Cette œuvre (et ce n’est pas toujours le cas pour le « VAN ») est loin d’être ridicule, et la finition est réussie.
    « On le constate à vue d’œil dans les rues du centre-ville. » : ben, vous devez pas beaucoup sortir de chez vous !
    La légende des naufrageurs est bidon : n’importe quel capitaine de bateau, quand il voit un feu sait que c’est la terre et s’éloigne de la côte.
    Enfin votre allusion puante au burkini montre bien quel genre de marin vous êtes.

    1. Plein de mépris ? N’exagérons rien, un peu seulement : économe de mon mépris, je le réserve à des cas qui en valent la peine.
      Par ailleurs, je n’ai pas dit que la finition du « Naufrage de Neptune » n’était pas réussie. Il n’y manque pas un grain de rouille. Tout le monde n’est pas capable d’en faire autant.
      La « vue d’oeil » ne vous suffit pas pour constater le peu de succès touristique du VAN 2021 ? Louable souci de précision. Interrogez des hôteliers sur leur taux de remplissage, les chiffres vous en diront tout autant.
      Grands dieux, je me serais laissé berner par la légende des naufrageurs (il est vrai que je ne suis pas n’importe quel capitaine) ? Merci de m’ôter mes illusions. Désillusion pour désillusion, permettez-moi de vous apprendre en retour que le « Naufrage de Neptune » N’EST PAS un vrai naufrage. En revanche, l’existence d’Amphitrite est certaine.
      Enfin, je ne sais que penser de votre référence au burkini, costume de bain couvrant l’ensemble du corps. Vous trouvez que ce vêtement pue ?

  2. Billet très juste, encore une fois.

    Et j’en profite pour rappeler une réflexion que j’ai déjà partagé sur ces pages: Machines et Arbre aux hérons mécaniques sont un terrible « symbole » au temps de la disparition de la biodiversité animale et végétale.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *