Nantes Métropole préférera sans doute ne pas fêter le vingtième anniversaire du 18 juin 2004

D'où viennent les idées ?

Aujourd’hui sujet d’inquiétude pour Nantes Métropole et autres collectivités actionnaires de la SPL Le Voyage à Nantes, Les Machines de l’île sont le fruit d’une décision prise le 18 juin 2004. Vingt ans après, à l’expérience, ce 18 juin-là évoque plus Napoléon à Waterloo que le général de Gaulle à Londres.

En 1987, la fermeture des chantiers navals de l’île Sainte-Anne est pour la ville de Nantes un traumatisme financier et plus encore psychologique qui favorise l’élection à la mairie de Jean-Marc Ayrault en 1989. Pour faire du neuf et repartir de l’avant, celui-ci dispose d’un atout exceptionnel : l’emplacement même des chantiers.

À cette époque, dans maintes villes portuaires européennes, la mutation du transport maritime vers des navires géants libère de vastes espaces au bord de l’eau, en général proches du centre-ville. Un rêve d’urbaniste ! Chaque ville réagit à sa manière. Londres confie au secteur privé la construction du luxueux quartier d’affaires de Canary Wharf, qui renforce son leadership européen dans le secteur financier. Hambourg érige la Philarmonie de l’Elbe, l’une des plus prestigieuses salles de concert européennes. Glasgow aménage le Scottish Event Campus, plus grand centre de congrès du Royaume-Uni. Mais la référence explicite, pour Jean-Marc Ayrault, est Bilbao, la grande ville basque, qui réussit à attirer l’implantation européenne du musée d’art moderne Guggenheim. Celui-ci accueillera bientôt un million de visiteurs par an, faisant d’une ville excentrée et sans grand charme une destination touristique majeure.

Miser sur le tourisme n’est pas sans risque : cette activité est volatile en cas de crise économique, sécuritaire, climatique ou sanitaire, comme on l’a vu lors de l’épidémie de covid-19. Jean-Marc Ayrault ne se précipite d’ailleurs pas pour suivre l’exemple basque. Tandis que le Guggenheim ouvre ses portes en 1997, il reste pendant une douzaine d’années comme une poule qui a trouvé un couteau devant les friches de l’île Sainte-Anne. En 2002 enfin, neuf projets d’utilisation du site à des fins de tourisme culturel sont soumis à un cabinet spécialisé, Cultura. Aucun n’est jugé très bon, mais le moins bon, avec 84 points sur un total possible de 270, est… celui des Machines de l’île : la pérennité des machines n’est pas assurée, aucun élément n’est prévu pour susciter la réflexion chez le visiteur, aucune alternative n’existe en cas d’insuffisance de fréquentation, etc. C’est néanmoins ce projet que Jean-Marc Ayrault choisit de proposer au conseil de Nantes Métropole le 18 juin 2004.

Des promesses jamais tenues

Les élus d’opposition sont sceptiques. « On parle de mettre un éléphant sur un lieu qui a un rapport avec l’Atlantique, personnellement, j’aurais préféré autre chose qu’un éléphant », regrette l’un d’eux. Mais, même s’il n’offre guère de déclinaison envisageable, l’éléphant est dans l’air du temps : il sera bientôt la vedette de La Visite du sultan des Indes sur son éléphant à voyager dans le temps, peut-être le spectacle le plus réussi de Royal de Luxe. En vendant à Nantes Métropole une version mécanisée de la machine créée pour la troupe de Jean-Luc Courcoult, François Delarozière et Pierre Orefice gagneront du temps.

Finalement, par 74 voix pour, 8 contre et 20 abstentions, le conseil « approuve le projet de développement d’un équipement touristique appelé « Les Machines de l’île » ». Il repose sur « une implantation et un parcours de différentes « machines extraordinaires » : la Baleine, l’Eléphant, le Monde marin, l’Aérodrome, l’Arbre aux oiseaux, l’Arche, le Carrousel des éléphants ». Ce catalogue présenté au conseil communautaire ne sera jamais entièrement réalisé. Quand Les Machines de l’île ouvrent leurs portes, en 2007, le dossier de presse de Nantes Métropole annonce : « l’Éléphant, le Calamar à rétropropulsion, le Poisson pirate, le Luminaire des grands fonds seront les premières Machines à sortir du Grand Atelier des Nefs ». Mais les trois dernières machines, plus modestes ne sont pas destinées à parcourir l’île de Nantes : elles seront juste exposées dans la Galerie puis intégrées au Carrousel des mondes marins.

Nantes Métropole se lie les mains

Le conseil du 18 juin 2004 assortit sa décision de deux dispositions lourdes de conséquences. D’abord, il prévoit que le projet sera mis en œuvre dans le cadre d’un marché négocié « sans publicité préalable et sans mise en concurrence », comme le permet (mais ne l’impose pas) le code des marchés publics pour une œuvre mettant en jeu une propriété intellectuelle. Ensuite, il désigne comme fournisseurs exclusifs les deux transfuges de Royal de Luxe, car « le projet ne pourrait être réalisé par d’autres artistes, F.Delarozière et P.Orefice ayant déposé leurs droits sur l’oeuvre et disposant ainsi d’un droit d’exclusivité sur leur concept artistique ». Ainsi, la métropole se lie les mains doublement et délibérément, sans même exiger de droits sur une création qui, pourtant, n’a de valeur en pratique que parce qu’elle la réalise. Si Nantes Métropole tient à développer son projet, elle devra le faire aux conditions imposées par les deux créateurs. Elle se prive aussi d’issue de secours : impossible de faire appel à quelqu’un d’autre si jamais ces deux-là perdent leur motivation, leur inspiration ou leur sens des réalités (on voit le résultat avec l’Arbre aux Hérons). Impossible aussi de se tourner vers un nouveau venu plus talentueux ; avec ce genre de principe, entre mille exemples, Florence n’aurait jamais eu son Duomo, confié à Brunelleschi parce que Ghiberti ne savait pas faire.

Sur le plan financier, le procès-verbal du conseil communautaire du 18 juin 2004 en témoigne, l’optimisme règne. Les premières réalisations, Éléphant, branche prototype et galerie, coûteront 4,865 millions d’euros. Il faudra cependant porter ce montant à 6 millions (+ 23 %) un peu plus tard – mais le projet sera financé à 25 % par l’Union européenne au titre du tourisme. Surtout, une étude économique confiée à un cabinet-conseil en ingénierie touristique, Grévin Développement, « montre que l’on peut raisonnablement tabler sur un équilibre d’exploitation » avec un prix moyen du billet d’entrée de 5 euros. En réalité, cet équilibre ne sera jamais atteint, loin de là. Lors de l’ouverture des Machines, en 2007, Nantes Métropole assure encore que les Machines « tendront vers l’équilibre » en 2009. Puis elle se résoudra à acter le déficit permanent, couvert année après année par des subventions. Qu’ils profitent ou pas des Machines de l’île, tous les Métropolitains contribuent chaque année à payer les conséquences de l’erreur commise par Jean-Marc Ayrault et sa majorité métropolitaine le 18 juin 2004.

Sven Jelure

Le Breton qu’adore Johanna Rolland

Surtout , ne pas faire d'erreur.

Quand Le Point du 13 juin l’interroge sur la réouverture du musée départemental Dobrée, Johanna Rolland s’empresse de recentrer l’entretien sur son pré carré à elle : « Pour parler de la culture à Nantes, j’aime citer André Breton, qui a écrit : « Nantes peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai le sentiment que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine. » »

La maire de Nantes a sûrement relu son entretien avant publication. Et elle se plante quand même. Breton a écrit : « où j’ai l’impression » et non « où j’ai le sentiment ». Comme chacun sait, le diable est dans les détails : si l’on tient à se donner un vernis culturel, attention à ne pas laisser traîner des poils du pinceau dans la citation.

D’ailleurs, est-il si prudent de nos jours de citer André Breton ? La phrase est extraite de Nadja, paru en 1928. Quatre-vingt-seize ans plus tard, cet homophobe notoire représenté sur le mur de Royal de Luxe ne serait peut-être pas exactement raccord avec la politique municipale.

Ce qui en vaut la peine

Et qu’est-ce donc que ce « quelque chose qui en vaut la peine » ? André Breton en donne un exemple dans la même phrase : « …le temps de traverser Nantes en automobile et de voir cette femme, une ouvrière, je crois, qu’accompagnait un homme, et qui a levé les yeux : j’aurais dû m’arrêter. » Un peu de gaz d’échappement, un soupçon de libido, un chouïa de morgue bourgeoise, un petit fantasme de harcèlement sexuel, et c’est à cela que Johanna Rolland aime se référer « pour parler de la culture à Nantes » ?

Pour être juste, cette adepte d’un certain surréalisme immobilier se situe dans la droite ligne de Jean-Marc Ayrault. LeProjet 2030 initié par ce dernier en 2010 citait fautivement André Breton dès sa première ligne. Il a été solennellement adopté par Nantes Métropole en 2013 du temps de Gilles Retière, et officiellement mentionné pour la dernière fois en juin 2015… Friande d’une citation presque centenaire, Johanna Rolland pourrait envisager d’exhumer ce pensum technocratique vieux seulement d’une dizaine d’années.

Sven Jelure

Un déficit qui devient chronique pour Le Voyage à Nantes

Les déficits s'accumulent, jusquà ressembler à un sabordage

Le Voyage à Nantes a bu la tasse en 2023. Mais la véritable information est que ses dirigeants, Fabrice Roussel et Jean Blaise, ont été incapables d’éviter une dégringolade annoncée. Faut-il à présent que les contribuables couvrent les conséquences de leurs carences ?

La presse nantaise l’a annoncé la semaine dernière : Le Voyage à Nantes a perdu beaucoup d’argent en 2023. En voilà une information ! Dès le 6 février 2023 (oui, 2023), un déficit annuel de 730 000 euros était prévu, après 630 000 euros en 2022. L’année s’est finalement terminée sur un déficit de 980 000 euros. Le trou prévu s’est encore creusé de 34 % en onze mois. D’où cette question : Sachant qu’ils allaient dans le mur, pourquoi Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole et président du Voyage à Nantes, et Jean Blaise, directeur général du Voyage à Nantes, ont-ils accéléré au lieu de freiner ?

Jean Blaise, pourtant familier des comptes dans le rouge, affirmait qu’il refuserait un budget non équilibré. Il a mangé son chapeau. Il soutient à présent qu’un déficit de 1 million d’euros n’est pas grand-chose par rapport aux 34 millions d’euros de budget annuel du Voyage à Nantes. Or c’est comparer des pommes et des oranges ! Les euros ne sont pas tous les mêmes pour le Voyage à Nantes, qui dépend beaucoup plus des contribuables que des visiteurs. Ses 34 millions d’euros de budget se partagent entre environ 14 millions de recettes propres et 20 millions de subventions publiques. Le million d’euros manquant est de l’argent qu’il n’a pas réussi à gagner : 1 million rapporté à 14 millions, c’est tout de suite plus significatif.

De plus, les pertes sont presque entièrement dues aux Machines de l’île. Elles avaient vocation à gagner de l’argent et appliquent des tarifs élevés. Lors de leur ouverture en 2007, Jean-Marc Ayrault comptait que leur exploitation « tendrait vers l’équilibre » à partir de 2009. En fait, depuis dix-sept ans, elles ont perdu de l’argent tous les ans et ne bouclent leur budget que grâce aux subventions de Nantes Métropole.

Ces subventions ont été fixées pour la période 2017-2025 dans une convention avec Nantes Métropole dont les prévisions sont résumées ci-dessous (sans les années 2020 et 2021, perturbées par l’épidémie de covid-19). Les subventions publiques ont été fortement augmentées en 2021 (2,510 millions d’euros compte tenu du fonds de solidarité lié à l’épidémie) mais légèrement abaissées en 2022 (1,781 million d’euros). Bien entendu, il ne s’agit là que des subventions d’exploitation ; tous les achats de machines et les grosses réparations sont aussi financés par les contribuables.

 

 

2017 2018 2019 2022 2023 2024 2025
N. d’entrées 660.000 672.931 679.627 700.117 707.083 714.119 721.724
Personnel ETP 91 92 92 94 94 95 95
Ticket moyen € 6,02 6,05 6,08 6,17 6,20 6, 23 6,27
Billetterie 3.972.827 4.071.300 4.132.370 4.321.129 4.385.946 4.451.736 4.518.512
Autres (dt bar) 2.404.870 2.446.013 2.482.703 2.596.109 2.635.050 2.674.576 2.714.695
Contribution Nantes Métro. 1.752.800 1.779.092 1.805.778 1.888.263 1.916.587 1.945.336 1.974.516
Recettes totales 8.130.497 8.296.405 8.420.851 8.805.501 8.937.584 9.071.648 9.207.722
Dépenses totales 8.130.497 8.296.405 8.420.851 8.805.501 8.937.584 9.071.648 9.207.722

 

Le nombre d’entrées aux Machines de l’île a été supérieur aux prévisions en 2019, période partout très faste pour le tourisme (738 579), et pas trop inférieur en 2022, période de reprise (681 345). Le prix des billets, lui, a fortement augmenté. Lors de l’ouverture du Carrousel des mondes marins, en 2012, il était de 7,00 euros (tarif plein) et 5,50 euros (tarif réduit). En 2017, il atteignait 8,50 et 6,90 euros en 2017. En 2023, il est passé à 9,50 euros pour le tarif plein et 7,50 euros pour le tarif réduit (9,00 et 7,10 euros pour le Carrousel, qui manque de visiteurs). Il a ainsi augmenté de près de 30 % en onze ans. Autant de visiteurs que prévu à des tarifs supérieurs : Les Machines de l’île ne devraient-elles pas rouler sur l’or ?

Hélas non, car les frais de personnel se sont envolés. Selon les prévisions du tableau ci-dessus, leur effectif devait être de 94 personnes (ETP) en 2022. Il a été en réalité de 119,95 ETP, soit 27,6 % de plus que prévu. La masse salariale a augmenté de 1,22 million d’euros par rapport à l’année précédente. À elle seule, cette somme est supérieure au déficit annuel. Les besoins en personnel avaient-ils été sous-évalués délibérément, ou bien la gestion des Machines est-elle mauvaise ? Quelle que soit la réponse, elle n’est pas flatteuse pour leurs patrons.

Café bouillu

D’après Foulques Chombart de Lauwe, le trou serait dû au Café de la Branche, « structurellement déficitaire ». Il ne l’a pas toujours été, pourtant. Dans les premières années des Machines de l’île, sa contribution était très positive. Espérant faire encore mieux, Le Voyage à Nantes a construit en 2017, moyennant 700 000 euros, un nouvel estaminet de 224 m². Passé l’épidémie de covid-19, les rapports présentés à Nantes Métropole par Le Voyage à Nantes se montrent fort optimistes :

  • Rapport pour 2021 : « Le chiffre d’affaires du Café de la Branche augmente quant à lui de 25 % en une année, notamment grâce à l’ouverture du petit snack sous les Nefs pendant les périodes de programmation culturelle. Son résultat d’exploitation a pu être amélioré grâce à une masse salariale assez stable par rapport à 2020. »
  • Rapport pour 2022 : « progression du chiffre d’affaires HT de la boutique (+380 K€ soit +37%), amélioration du chiffre d’affaires pour le café de la Branche de (+450 K€ soit +62%). »

Mais là aussi, le problème n’est pas dans la fréquentation, il est dans la gestion. Le taux de marge brute du Café de la Branche est de l’ordre de 60 %, alors que le taux normal pour les bars-restaurants se situe plutôt vers 75 %.

Une gestion franchement lacunaire

Si vraiment le mal vient du Café de la Branche, une mesure évidente s’imposait dès 2022 : fermer l’établissement. Il n’est pas du tout indispensable au fonctionnement des Machines de l’île. Une petite faim, une grande soif ? D’autres cafés et restaurants sont tout disposés à accueillir les clients dans les environs.

Une occasion toute trouvée de fermer le café sans drame se présente : la création de nouvelles lignes de tram va imposer son déplacement. Nantes Métropole a budgété 200 000 euros pour sa « déconstruction » en 2024 et 1,2 million d’euros pour sa reconstruction en 2025-2026. Économiser 1,2 million pour perdre moins d’argent serait une bonne affaire.

Les erreurs de gestion sont-elles solubles dans les subventions publiques ? En principe, non : les Machines de l’île sont exploitées par Le Voyage à Nantes, entreprise de droit privé, dans le cadre d’une délégation de service public. Le délégataire ne peut bénéficier de subventions qu’à raison des services qu’il apporte aux membres de la collectivité. Au-delà, il dépend « substantiellement » des résultats de l’exploitation du service (article L1411-1 du code général des collectivités territoriales). La jurisprudence administrative y veille. Voter une subvention pour assurer l’équilibre financier d’une entreprise mal menée serait probablement illégal. Mais Nantes Métropole peut-elle abandonner cette entreprise à son sort quand elle est présidée par l’un de ses vice-présidents ?

Sven Jelure

_______________

L’Île de Nantes, terre d’élection des fautes de frappe à plusieurs millions d’euros

Comment une si grande et belle équipe peut-elle laisser passer ce genre de chose ? Nous allons relire tout ce qui a été publié depuis un an. Histoire de voir si c'est juste le mois de mai 2024 qui porte la poisse.

Nantes Plus lit sans doute les avis officiels de la SAMOA avec plus de vigilance que sa présidente, Johanna Rolland. Nous avons signalé voici trois jours l’étrange aventure du souterrain perdu et destiné à être rebouché pour un montant officiel délirant — mais faux. Ce n’était pas tout…

Comme promis, la SAMOA a publié hier au Journal officiel de l’Union européenne un nouvel avis d’attribution de marché concernant le bouchage du souterrain du boulevard Léon-Bureau. Elle donne pour toute explication une « correction par l’acheteur ». Je ne voudrais pas me vanter, mais je prétends l’avoir un peu aidé à se corriger, l’acheteur !

Et même lui avoir donné un sérieux coup de main. Car la SAMOA venait de publier un autre avis d’attribution portant sur des « travaux de réseaux humides nécessaires au raccordement en EP, EU et AEP du futur CHU sur l’Île de Nantes. Pour un montant de 209.936.420,00 euros. Peste ! Encore 210 millions d’euros supplémentaires pour un CHU qui explose déjà ses budgets ?

On l’a deviné, une « correction par l’acheteur » s’imposait là aussi ! La facture réelle est de 2.099.364,20 euros. Ce montant aussi avait été multiplié par cent ! La SAMOA a donc publié hier non pas un avis rectificatif mais deux.

Une erreur, c’est une erreur. Deux erreurs (le montant erroné figurait deux fois sur le même avis), c’est une récidive. Deux fois deux erreurs, c’est une dérive ! Fautes de frappe plus absence de relecture-correction de documents exigés par la loi et publiés au Journal officiel de l’Union européenne, cela fait désordre. Ainsi, sur quatre publications de la SAMOA au JOUE au mois de mai, deux étaient erronées. Au mois d’avril, elle avait déjà dû corriger deux de ses six avis. La grande matai (« chef » en samoan) Johanna va devoir veiller à la bonne marche de son domaine.

Précision : En comptant les SNC et les SCI, plus d’une centaine de sociétés françaises s’appellent Samoa ou Samoa quelque chose. Elles exercent toutes sortes d’activités : débit de boisson, restauration rapide, conseil en communication, chantier naval, habillement, informatique, lunetterie, etc. Pour ne vexer personne, soulignons bien qu’il est question ici de la S.A.M.O.A., Société d’aménagement de la métropole Ouest Atlantique, présidente Johanna Rolland.

Sven Jelure

Enquête publique sur le nouveau pont Anne-de-Bretagne et associés : un dossier opaque à lire très vite

Les points délicats sont difficiles à trouver dans ce dédale digital. Encore une volonté métropolitaine. Si tu doutes, tu dégages. De toute façon, personne ne t'entendra.

Du 13 mai au 14 juin se déroule une enquête publique sur le développement de nouvelles lignes de transport et la transformation du pont Anne-de-Bretagne ‑ un projet à 340 millions d’euros (valeur 2022 !), c’est-à-dire plus de 500 euros par citoyen métropolitain, nourrissons compris. Qui dit enquête publique dit possibilité d’avis contraire ? Vous voulez rire ! Cette enquête sert à respecter une obligation légale, sûrement pas à obtenir l’avis des citoyens – et encore moins à le suivre.

L’enquête est la cinquième roue de la charrette. Les plans sont faits, les décisions sont prises, les budgets sont calculés, les travaux ont commencé, le pont Anne-de-Bretagne est coupé. Pas question de changer une ligne qui risquerait d’ébranler tout l’édifice. Imagine-t-on le président de la commission d’enquête, haut fonctionnaire à la retraite, ruer dans les brancards ? Il faudrait pour cela qu’un grand nombre de citoyens présentent des objections.

Le risque est minime. Imagine-t-on d’ailleurs un Nantais assez diligent et assez dévoué envers la chose publique pour éplucher tout le dossier d’enquête ? Nantes Métropole a composé une brouettée d’une quarantaine de documents. Voici leur titre et, à droite, leur nombre de pages.

Nom du fichier pages
DNLT_DUP – PIÈCE – PAGE DE GARDE AVIS

2023_12_05_AVIS_CDPENAF

2024_01_26_AVIS_CSRPN

2024_02_05_AVISCLE_SAGE_ESTUAIRE_DE_LA_LOIRE

2024_03_25_AVIS_MRAE_EI+EEMECLUM

2023_11_07_AVIS_DIRO

2023_12_19_AVIS DIR OUEST

DNLT_REPONSE1_DIRO_A4

DNLT_REPONSE2_DIRO_A4

DNLT_DUP – PIÈCE A1 – GUIDE DE LECTURE

DNLT_DUP – PIÈCE A2 – NOTE PRÉSENTATION NON TECHNIQUE

DNLT_DUP – PIÈCE B – INFORMATIONS JURIDIQUES ET ADMINISTRATIVES

DNLT_DUP – PIÈCE C1 – DUP

DNLT_DUP – PIÈCE C2 – DUP – PLAN DE SITUATION

DNLT_DUP – PIÈCE C3 – DUP – NOTICE EXPLICATIVE

DNLT_DUP – PIÈCE C4 – DUP – CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DES OUVRAGES LES PLUS IMPORTANTS

DNLT_DUP – PIÈCE C5 – DUP – PLAN GÉNÉRAL DES TRAVAUX

DNLT_DUP – PIÈCE C6 – DUP – APPRÉCIATION SOMMAIRE DES DÉPENSES

DNLT_DUP – PIÈCE D – ÉTUDE D’IMPACT – 1 À 7

DNLT_DUP – PIÈCE D – ÉTUDE D’IMPACT – 8 À 19

DNLT_DUP – PIÈCE E – RÉSUMÉ NON TECHNIQUE (RNT)

DNLT_DUP – PIÈCE F – BSE – ÉVALUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE

DNLT_DUP – PIÈCE G1A – NOTE DE PRÉSENTATION DU DOSSIER D’AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE

DNLT_DUP – PIÈCE G1B – NOTE DE PRÉSENTATION NON TECHNIQUE

DNLT_DUP – PIÈCE G1C – JUSTIFICATION DE MAÎTRISE FONCIÈRE

DNLT_DUP – PIÈCE G2 – PIÈCE DU VOLET LOI SUR L’EAU

DNLT_DUP – PIÈCE G3 – VOLET CNPN

DNLT_DUP – PIÈCE G4 – VOLET ALIGNEMENTS

DNLT_DUP – PIÈCE H – MECPLUM

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – NANTES ANNEXES

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – NANTES SANS ANNEXE

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – REZÉ – 1 À 4-2

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – REZÉ – 4-3 À 4-4

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – REZÉ – 5 À 7

DNLT_DUP – PIÈCE I – PERMIS D’AMÉNAGER – REZÉ – ANNEXES

DNLT_DUP – PIÈCE J – ANNEXES DES PIÈCES – P1 À P210

DNLT_DUP – PIÈCE J – ANNEXES DES PIÈCES – P210 À 300

DNLT_DUP – PIÈCE J – ANNEXES DES PIÈCES – P301 À 400

DNLT_DUP – PIÈCE J – ANNEXES DES PIÈCES – P401 À 600

DNLT_DUP – PIÈCE J – ANNEXES DES PIÈCES – P601 À 678

DNLT_DUP – PIÈCE K – AVIS MRAE ET MÉMOIRE EN RÉPONSE

DNLT_DUP – PIÈCE L – CERTIFICATS TÉLÉVERSEMENT –

DNLT_DUP – PIÈCE M – PAGE DE GARDE

2024_04_16_APOE_DNLT_PONT_ADB

AVIS ENQUÊTE

4

1

19

2

21

3

2

19

19

11

61

27

3

3

74

18

26

7

519

571

60

80

33

36

3

230

735

30

18

110

203

82

68

56

45

210

90

100

200

78

104

5

5

6

2

Tout est déposé en vrac sur la table. Parlera-t-on de transparence ? Si l’on superpose quarante couches de vitrage, on obtient de l’opacité. C’est un classique des enquêtes publiques. Les documents sont pour beaucoup abscons et redondants. Les renseignements superfétatoires y abondent. Encore heureux quand ils ne se contredisent pas ; au moins 220 arbres devraient être supprimés officiellement… mais d’autres décomptes aboutissent à 370. Nombreuses et sophistiquées, les illustrations sont souvent aussi peu compréhensibles que les textes. Confectionner ces près de quatre mille pages grand format a dû réclamer des années de travail de fonctionnaire. Pour les étudier, un mois ne serait pas de trop. Or l’enquête publique ne dure que trente-trois jours, c’est-à-dire à peine plus que le minimum légal (trente jours). Et puis, la plupart d’entre nous ont autre chose à faire.

Si elle avait voulu dissuader les citoyens de participer sérieusement à l’enquête publique, Nantes Métropole ne s’y serait pas pris autrement. On espère même que tel était son objectif, car si elle prétendait avoir recherché la transparence, hélas, elle aurait tristement démontré le manque de professionnalisme de sa direction de la communication, incapable d’établir un dossier accessible aux citoyens.

De l’art d’embellir les informations gênantes

Johanna Rolland proteste régulièrement de ses bonnes intentions écologiques. Là, ça se présente mal. La mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) dénonce l’opacité du dossier : « pour plusieurs domaines, l’évaluation des incidences est abordée de façon très générale dans l’étude d’impact. Il est alors difficile de percevoir précisément, à la seule lecture du chapitre en cours, la réalité des incidences présentées. Pour avoir une vision claire des incidences du projet, le lecteur est contraint de croiser  de multiples informations positionnées dans diverses pièces du dossier. De ce fait, le dossier ne permet pas de  disposer d’une vision globale des incidences dans le domaine concerné. » Je sais ce qui va arriver ‑ ou pas ‑ à la pipistrelle de Kuhl ou au crapaud calamite, j’ai plus de mal à comprendre quel sera mon sort à moi.

Se pourrait-il que cette opacité serve à dissimuler des défauts du projet ? Quelle que soit la confiance qu’on voue aux édiles communautaires, on se doute que tout n’est pas blanc-bleu. Certains fonctionnaires ne le cachent pas. Nantes Métropole assure « que l’augmentation de la demande de trafic sur le pont de Cheviré sera faible, étant inférieure à 2 % sur l’heure de pointe du matin ». Voyons, 2 % ça n’est rien. Sauf que, écrit la direction interdépartementale des routes ouest (DIRO), « ce tronçon du périphérique connaît déjà une demande de trafic supérieure à sa capacité » ! Si l’on ajoute 2 % à déjà trop, ça devient franchement trop. La DIRO invite donc Nantes Métropole à proposer une nouvelle rédaction « laissant moins supposer l’absence d’impact du projet en termes de reports de trafic sur le périphérique ».

Les points mal éclaircis qu’on aperçoit de-ci, de-là, sont autant de raisons de s’inquiéter. Surtout quand on « découvre » un souterrain oublié qui aurait dû figurer dans le champ de l’enquête et qui n’y est pas (…on a refilé le bébé à la Samoa). Mais faut-il passer des heures à les étudier avec la certitude que ce serait faire pipistrelle dans un violon ? Bon courage à ceux qui essaieront – avant le 14 juin, on le rappelle.

Sven Jelure

Suite de l’aventure incroyable du souterrain perdu du boulevard Léon-Bureau

Mise à jour au 29 mai 2024

Suite à notre billet, les journalistes Jean-Philippe Defawe et Antony Torzec ont interrogé la Samoa : non, la destruction du passage souterrain ne coûtera pas 35.591.700 euros mais 355.917 euros. Certes, le montant indiqué dans l’avis d’attribution publié au Journal officiel de l’Union européenne est bien de 35.591.700 euros mais il s’agit d’une bête erreur de frappe ! Ce montant figure même deux fois dans l’avis, dont une dans la synthèse placée en tête. La faute de frappe, pas encore corrigée à cette heure, cinq jours après parution  de l’avis, se double donc d’une absence de relecture d’un document à valeur légale !

Deux anciens cadres de la Samoa sont actuellement mis en examen aux côtés de Jean Blaise dans l’affaire du Carrousel des mondes marins. Tout s’expliquera peut-être par une simple erreur de saisie…

Divisé par cent, le coût des travaux à effectuer sous le boulevard Léon-Bureau a davantage figure humaine. Il paraît quand même plutôt élevé pour boucher un souterrain d’une vingtaine de mètres sans complications géologiques particulières. Et bien entendu, la faute de frappe invoquée par la Samoa ne répond pas aux autres bizarreries pointées dans notre billet.

La présence du passage souterrain a été « mise en évidence » dans le cadre du projet de nouvelles lignes de tram, écrit la Samoa. Elle explique que le tunnel n’apparaissait pas dans le « patrimoine du service Ouvrage d’Art de la Métropole ». Autrement dit, Nantes Métropole avait bel et bien égaré le tunnel mis hors service voici une quinzaine d’années. Ce n’est évidemment pas très rassurant : y a-t-il beaucoup d’oublis du même genre ?

À cause de cette lacune découverte sur le tard, la Samoa aurait dû procéder dans l’urgence puisque les travaux devaient impérativement être effectués cet été. Le délai de l’appel d’offres a été raccourci, ce que la loi permet en cas d’urgence « dûment justifié par le pouvoir adjudicateur » (directive 2024/24/UE). Mais la lacune du service Ouvrages d’art est elle une due justification ? Difficile à soutenir. Dès le 16 novembre 2023, un participant à l’excellent forum architectural PSS publiait un extrait du phasage des travaux de l’île de Nantes prévu par la Samoa en précisant que « la démolition du tunnel souterrain au droit de Stereolux ne se fera pas avant l’été 2024 ». Il n’y a eu urgence que parce que la Samoa n’a publié son avis de marché que quatre mois plus tard !

Ce caractère d’urgence pourrait contribuer à expliquer que les travaux coûtent cher. La Samoa a d’ailleurs omis d’indiquer dans son avis d’attribution si d’autres offres lui avaient été soumises par des entreprises.

Enfin, on peut se demander pourquoi c’est la Samoa qui s’y colle. Le souterrain, dit-elle, « n’est pas compatible avec l’arrivée d’une infrastructure tramway ». Il aurait alors semblé plus logique de refiler le bébé à l’entité responsable de cette « infrastructure tramway », autrement dit la Semitan. Cela aurait sans doute permis au moins une meilleure coordination des travaux.

Le souterrain perdu du boulevard Léon-Bureau, retrouvé et bientôt démoli à grands frais

Plus de 35 millions d'euros plus boucher un souterrain de 20 mètres de long. Un travail effectué à la petite cuillère ?

Peut-on égarer un souterrain ? Nantes Métropole l’a fait ! Mais sa redécouverte tardive va coûter une fortune aux contribuables métropolitains.

Pour la transformation du pont Anne-de-Bretagne, Nantes Métropole a passé des marchés publics obligeant les constructeurs à maintenir la circulation automobile pendant la durée du chantier. Puis elle les a dégagés de cette obligation en découvrant, bien tardivement, qu’il faudrait couper la circulation boulevard Léon-Bureau en raison de « la nécessité de réhabilitation préalable des réseaux d’eau ».

Il était déjà assez extraordinaire de découvrir en novembre 2023, après des années d’études préalables à la construction du CHU et de nouvelles lignes de tram, qu’il y avait des tuyaux sous le boulevard Léon-Bureau. Mais en réalité, on n’avait pas encore tout découvert…

Fin mars, la SAMOA, société d’économie mixte de Nantes Métropole publiait un avis de marché expliquant : « dans le cadre du projet des nouvelles lignes de transport sur l’agglomération nantaise, un ancien passage souterrain piéton passant sous le boulevard Léon Bureau, dans le prolongement de la rue de la Tour d’Auvergne, a été mis en évidence [c’est moi qui souligne]. Cet ouvrage n’est pas compatible avec l’infrastructure tramway, la SAMOA doit engager la démolition et déconstruction de ce passage. »

Ainsi, Nantes Métropole avait égaré un souterrain ! En fait, il avait été condamné voici une quinzaine d’années, tout en restant accessible pour maintenance. (On s’interroge évidemment sur la « maintenance » d’un tunnel condamné.)

Cette redécouverte au tout dernier moment, quelques jours avant le début des travaux du pont Anne-de-Bretagne a suscité quelque émotion. Voire quelque affolement. Pour ne pas perturber le chantier des nouvelles lignes de tram, il fallait confier dare-dare la destruction du petit tunnel à une entreprise de travaux publics. En matière de marchés publics, le délai minimal entre envoi de l’avis de marché et réception des candidatures et des offres est de trente-cinq jours (article R2161-2 du code de la commande publique). Il peut être réduit à quinze jours « lorsqu’une situation d’urgence, dûment justifiée, rend le délai minimal impossible à respecter » (article R2161-3).

Comment ne pas nuire à Stéréolux

Ni le site TED-Europa ni la Centrale des marchés ne semblent avoir gardé trace de l’avis de marché de la SAMOA. On ignore donc comment la situation d’urgence a été « dûment justifiée » (sinon par l’impéritie des services métropolitains). Toujours est-il que, selon l’avis d’attribution, cet avis aurait été envoyé le 25 mars, pour un dépôt des offres avant le 15 avril à midi ! Soit vingt et un jours au lieu de trente-cinq.

Boucher un souterrain sur une vingtaine de mètres, largeur du boulevard Léon-Bureau, ne devrait pas être trop compliqué, n’est-ce pas ? L’entreprise chargée du travail devra d’ailleurs le réaliser en cinq semaines maximum, entre le 1er juillet et le 31 août, «  compte tenu des contraintes inhérentes au site et plus particulièrement de l’impact sur l’exploitation de la salle de spectacles STEREOLUX ».

Mais le contribuable métropolitain n’est pas au bout de ses surprises dans cette affaire : le contrat a été attribué à une entreprise de TP de la région moyennant 35 591 700,00 euros. On a bien lu : plus de trente-cinq millions d’euros ! Soit quelque chose comme 1,8 million d’euros le mètre linéaire… Le coût annoncé du doublement et du réaménagement du pont Anne-de-Bretagne est de 50 millions d’euros. Et boucher un tunnel en coûterait 35 ? Après tout, quand on a sérieusement envisagé un Arbre aux Hérons à 52 millions, l’échelle des prix nantais n’a plus rien qui puisse surprendre.

Sven Jelure

Présidé par Johanna Rolland, l’Institut d’études avancées (IEA) peine à retrouver le droit chemin

Encore un fonds dont on ne connait ni le fond, ni le sens. Or, difficile de savoir où est le fond quand on sait pas dans quel sens nager. Les plus expérimentés savent toutefois qu'il est préférable de suivre les bulles. Et la différence entre une bulle et un zéro n'est pas énorme.

Quoique publiée au Journal officiel, la manipulation est discrète. Le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, créé par l’IEA de Nantes (présidente : Johanna Rolland) avec de l’argent provenant de subventions publiques, n’a obtenu que des résultats minimes, s’est soustrait pendant deux ans à la dissolution promise et s’est réinventé in fine en organisme de défense des immigrés.

Nantes n’a pas de veine avec ses fonds de dotation (ou réciproquement) créés pour recueillir des fonds auprès de généreux mécènes. On a relaté ici les péripéties tragi-comiques du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, toujours à la recherche de 18 sous pour faire un franc, ou du Fonds de dotation pour le développement culturel, victime collatérale des malversations à l’encontre de la Folle Journée.

Plus discret dans la débine est le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, dernier avatar de la plus intello des fausses bonnes idées héritées de Jean-Marc Ayrault. En 1995, celui-ci s’entiche de sciences humaines ; il crée la Maison des sciences de l’Homme Ange Guépin, vouée à étudier le syndicalisme et les conflits sociaux. En 2003, il installe un « conseil scientifique » chargé d’éclairer les choix de la Communauté urbaine de Nantes mais dont le destin semble avoir été très bref. En 2005, c’est un programme d’accueil de savants étrangers, qui mène en 2009 à une fondation reconnue d’utilité publique, l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes, hébergeant des savants étrangers en résidence. À l’origine de ces quatre initiatives, un même guide spirituel : le juriste Alain Supiot, ex-vedette de la gauche post-soixante-huitarde à la faculté de droit de Nantes. Il est nommé patron de l’IEA.

Pour l’IEA, on ne lésine pas : Nantes bâtit 6.000 m² de bureaux prestigieux entre canal Saint-Félix et pelouse de Marcel-Saupin. « En se dotant de locaux dédiés à la recherche en sciences humaines et sociales, la ville souhaite être repérée comme ville pionnière de la recherche nationale », explique l’IEA. Le bâtiment héberge aussi la Maison des sciences de l’Homme Ange Guépin. L’IEA dispose en outre d’une vingtaine d’appartements de fonction au sommet de la tour voisine, qui domine le confluent de la Loire et de l’Erdre. 

Un gros appétit

La collectivité assure à l’Institut d’études avancées de gros moyens financiers (de l’ordre de 28 millions d’euros en subventions et mises à disposition entre 2008 et 2020). Mais il en voudrait plus  : en 2014, il créé donc le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, dont l’objet est le suivant : 

« participer à la mission reconnue d’utilité publique de l’IEA de Nantes en recevant et en gérant des fonds privés de façon à constituer des chaires de recherche mises en œuvre au sein de l’IEA de Nantes ; intervenir dans le domaine de la recherche scientifique et principalement s’intéresser à l’ouverture de la connaissance de l’homme et de la société à d’autres points de vue que celui de l’Occident. »

À la date de sa création, Alain Supiot a déjà pris la tangente. L’IEA lui a servi de marchepied pour engager vers la cinquantaine une carrière universitaire brillante comme professeur au Collège de France. Un titre prestigieux qui lui permet à l’occasion de proférer des absurdités sans être repris. Il est douteux en revanche que l’IAE apporte grand-chose à Nantes. Jamais il n’acquiert le prestige intellectuel espéré. Les chercheurs étrangers qui y séjournent deviennent rarement de grandes sommités. L’un des plus connus est Massimo Amato, professeur d’histoire économique italien qui a convaincu Jean-Marc Ayrault et Pascal Bolo de s’embarquer dans le projet de monnaie locale SoNantes, avec le résultat qu’on sait…

Après le départ de son fondateur, l’IEA sombre dans les querelles internes et acquiert une réputation de pétaudière, au point que la  chambre régionale des comptes s’en alarme, bien qu’il n’entre pas dans le champ habituel de ses compétences. En décembre 2021, elle établit un rapport gratiné. L’Institut multiplie les anomalies : absence d’évaluation par le ministère de la Recherche, comptabilité « perfectible », non-séparation des tâches financières, nombre de cartes bancaires injustifié, imputations comptables excessives au compte « fournisseur divers », non-application de règles de la commande publique, système d’information « éparpillé », absence de contrôle interne formalisé, subvention de Nantes Métropole votée irrégulièrement en présence de la présidente de la fondation (c’est-à-dire de Johanna Rolland), comptabilité analytique à compléter, achat d’appartement « sur des fonds fléchés qui s’éloigne de l’objectif initial », non remboursement des agents publics mis à disposition, etc. 

Plus de deux ans pour une dissolution

Au passage, la chambre épingle le Fonds de dotation Promouvoir l’accueil de savants étrangers, « dont on perçoit difficilement l’utilité » : d’une efficacité presque nulle, il « présente une activité insignifiante et vient en concurrence avec le financement sur fonds privés de la fondation ». La Chambre demande donc sa dissolution. Disciplinée, Johanna Rolland, présidente du conseil d’administration de l’IEA répond le 16 décembre 2021 qu’elle y veillera « dans les plus brefs délais. » Le 27 janvier 2022, le conseil d’administration de l’IEA, décide de dissoudre le fonds de dotation. La décision est aussitôt annoncée par un communiqué de presse.

Fin de cet épisode peu glorieux ? Pas tout à fait. Le Fonds publie le 1er avril 2022 ses comptes 2020/2021, clos au 31 juillet 2021. Ils sont certifiés par un commissaire aux comptes dont le rapport comporte, c’est la loi, une rubrique sur les « Événements significatifs postérieurs à compter de la clôture », c’est-à-dire entre le 31 juillet 2021, date d’arrêté des comptes et le 1er avril 2022, date de leur publication. On imaginerait donc y trouver mention  des critiques de la chambre régionale des comptes, de la promesse de Johanna Rolland et surtout de la dissolution du fonds ! Que pourrait-on imaginer de plus « significatif » ? Or il n’en est rien dit…

Ce n’est pas une simple étourderie. Malgré la promesse faite par Johanna Rolland à la chambre régionale des comptes et la décision proclamée par le conseil d’administration, le fonds Promouvoir l’accueil de savants étrangers n’est pas dissous en 2022 ! Ni en 2023. Sa dissolution n’intervient finalement que le 25 avril 2024 et n’est publiée au Journal officiel que le 21 mai 2024, c’est-à-dire la semaine dernière.

Changement de vocation clandestin

Cette première extravagance se double d’une seconde. L’objet du fonds déclaré lors de sa création a été indiqué ci-dessus. Mais à la date de la dissolution, son domaine d’activité est mystérieusement devenu celui-ci : 

« défense de droits fondamentaux, activités civiques / défense des droits des personnes étrangères ou immigrées, de personnes réfugiées. »

Cette vocation politique n’a évidemment rien à voir avec la recherche scientifique. Une main anonyme a modifié subrepticement et illégalement l’objet du fonds. Cherchait-elle à orienter la dévolution de l’actif résiduel vers une cause militante ? Cet actif s’élève à 7.160 euros : pas le hold-up du siècle. Il n’empêche, c’est contraire à la loi. Le préfet de Loire-Atlantique, chargé du contrôle des fonds de dotation, se serait-il laissé prendre à ce coup de bonneteau ?

Il va avoir une occasion de se rattraper. Alors qu’il existait toujours au moins en droit, le fonds de dotation a « oublié » de publier au Journal officiel ses comptes des années 2021/2022 et 2022/2023. L’abstention de ses dirigeants est punissable d’une amende de 9.000 euros. Le préfet, qui avait sévi (quoique à mauvais escient) à l’égard du fonds Corsair de l’hôpital privé Confluent, tiendra certainement à montrer sa diligence.

Comme il le fera évidement envers le Fonds de dotation pour le développement culturel, qui n’a pas publié ses comptes depuis ceux de 2019/2020, et pour le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire, qui n’a pas publié ses comptes pour 2023.

Sven Jelure

Intelligence artificielle : tout savoir sur la flèche de la cathédrale de Nantes

La faute initiale incombe au sevice com de la ville de Nantes

Nantes Métropole s’est dotée d’une « doctrine » en matière d’intelligence artificielle. Elle s’inquiète néanmoins de « la multiplication potentielle de fausses informations » (sans trop spoiler ce qui va suivre, disons qu’il y a de quoi). Un Nième « grand débat » devrait être consacré au sujet (« Nantes Débat de l’IA »), et mener d’ici fin 2024, au terme d’un épisode de réunionnite aiguë, à la rédaction d’une « boussole », puis d’une « charte métropolitaine de la donnée et de l’IA ». Nantes Plus entend apporter ci-dessous sa contribution au débat.

Voici une douzaine d’années, du temps de Jean-Marc Ayrault, le site web de la mairie de Nantes proposait aux visiteurs une présentation de la ville où l’on pouvait lire ceci :

Nantes, une ville de patrimoine
Le patrimoine, comme trace visible dans le paysage, représente souvent ce point d’ancrage de la mémoire qui fonde l’identité d’une ville. La flèche de la cathédrale témoin des temps anciens, la grue de chantier dressée sur le bord du fleuve, l’architecture audacieuse du nouveau palais de justice , autant d’édifices qui, dans leur diversité, fondent l’identité et « la Forme d’une ville » (Julien Gracq).

Passons sur la « grue de chantier »,l’architecture « audacieuse » et l’invocation abusive de Gracq qui, s’il a parlé de la cathédrale, n’a rien dit de la grue ni du palais de justice, de quinze ans postérieur à La Forme d’une ville. Le chef d’œuvre municipal, ici, était bien sûr « la flèche de la cathédrale témoin des temps anciens ».Puisqu’elle témoignait des temps anciens, c’était donc qu’elle n’avait pas été détruite par l’incendie du 28 janvier 1972 qui a dévasté toute la toiture ? Eh non, et pour cause : la cathédrale de Nantes n’a jamais eu de flèche !Pourtant, la dircom de Nantes, à 200 m de là, lui en voyait une !

Historiquement et architecturalement grotesque, son affirmation était néanmoins technologiquement en avance. Nous avons interrogé trois des principaux systèmes d’intelligence artificielle générative aujourd’hui disponibles, en posant à chacun la même question :

Pourquoi la flèche de la cathédrale de Nantes est-elle
un sujet important ?

Tous trois s’appuient sur des masses énormes de connaissances disponibles. S’agissant d’un sujet aussi public que la cathédrale de Nantes, on pouvait espérer une savante étude architecturale exposant en quoi l’absence de flèche distingue ou non Saint-Pierre-et-Saint-Paul d’autres édifices gothiques. Si c’était trop demander, on ne pouvait exclure bien sûr une triple réponse dédaigneuse du genre : « le sujet est sans importance puisque la cathédrale de Nantes n’a pas de flèche ». Or nos trois AI se sont mises en quatre pour apporter des réponses intelligentes à une question idiote ! Et qui plus est, des réponses très différentes les unes des autres. Les voici :

ChatGPT

La flèche de la cathédrale de Nantes est un sujet important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est un élément emblématique de la cathédrale, contribuant à sa silhouette reconnaissable et à son architecture remarquable. En tant que symbole architectural et culturel, sa présence ou son absence peut avoir un impact significatif sur l’identité visuelle de la ville de Nantes et sur son patrimoine historique.

De plus, la flèche de la cathédrale de Nantes a connu plusieurs événements marquants au fil des siècles, notamment des incendies et des rénovations. Son histoire mouvementée en fait un élément précieux de la mémoire collective locale et un symbole de résilience face aux défis historiques.

Enfin, toute altération ou restauration de la flèche de la cathédrale peut susciter un grand intérêt tant au niveau local que national, notamment en raison de l’importance de la préservation du patrimoine architectural et historique. Ainsi, les discussions et les décisions concernant la flèche de la cathédrale de Nantes sont souvent suivies de près par les habitants de la région, les historiens de l’art, les architectes et les autorités patrimoniales.

Le texte généré est agréablement littéraire, grâce à un vocabulaire recherché (emblématique, mouvementée, précieux, résilience…). Il n’envisage une « absence » de flèche qu’à titre rhétorique. Bien qu’il décrive la flèche comme un sujet d’intérêt majeur pour les habitants et les autres, il reste prudemment dans le flou. Comme Nantes Plus l’avait déjà montré à propos de la monnaie locale SoNantes, cette IA célèbre semble moins soucieuse de vérité que d’amabilité envers la municipalité nantaise !

Gemini (anciennement Bard), par Google

La flèche de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes, détruite dans l’incendie du 21 janvier 2019, était un élément important du paysage urbain et de l’identité nantaise pour plusieurs raisons :

Symbole religieux et historique

  • Repère architectural : Culminant à 326 mètres, la flèche était l’édifice le plus haut de Nantes et un point de repère visible de loin. Elle constituait un élément central de la ville et était souvent utilisée comme référence pour se repérer.
  • Symbole religieux : Construite au XVe siècle, la cathédrale était un lieu de culte important pour les catholiques de Nantes. La flèche représentait la foi et la spiritualité de la ville.
  • Patrimoine historique : La flèche faisait partie d’un ensemble architectural gothique remarquable, qui comprenait également la cathédrale et le château des ducs de Bretagne. Elle représentait un riche héritage historique et culturel pour la ville.

Identité de la ville

  • Fierté locale : La flèche était une source de fierté pour les Nantais, qui la considéraient comme un symbole de leur ville. Elle était souvent utilisée comme image représentative de Nantes dans les médias et les documents touristiques.
  • Attraction touristique : La flèche était une attraction touristique populaire, attirant des visiteurs du monde entier. Elle offrait une vue panoramique sur la ville et était un lieu de prédilection pour les photographes.
  • Sentiment d’appartenance : La flèche était un élément important de l’identité collective des Nantais. Elle contribuait à créer un sentiment d’appartenance et de communauté dans la ville.

Impact de l’incendie

  • Perte d’un symbole : L’incendie de la flèche a été une grande perte pour la ville de Nantes. Il a privé les Nantais d’un symbole important de leur histoire, de leur culture et de leur identité.
  • Impact économique : L’incendie a également eu un impact économique négatif sur la ville. La flèche était une attraction touristique importante, et sa destruction a entraîné une perte de revenus pour les entreprises locales.
  • Défi de la reconstruction : La reconstruction de la flèche est un projet complexe et coûteux. Il est important de trouver un équilibre entre la préservation de l’héritage historique de la cathédrale et la création d’une nouvelle flèche qui reflète l’identité moderne de Nantes.

L’avenir de la flèche

  • Projet de reconstruction : Un projet de reconstruction de la flèche est en cours. Le projet prévoit de construire une nouvelle flèche en bois et en pierre, inspirée de la flèche d’origine, mais avec une intégration de technologies modernes.
  • Débat public : La reconstruction de la flèche est un sujet de débat public à Nantes. Il y a des gens qui souhaitent une reconstruction fidèle à l’original, tandis que d’autres souhaitent une approche plus moderne.
  • Symbole de résilience : La reconstruction de la flèche sera un symbole de la résilience de Nantes. Elle montrera que la ville est capable de surmonter les épreuves et de préserver son patrimoine pour les générations futures.

L’incendie de la flèche de la cathédrale de Nantes a été un événement tragique pour la ville. Cependant, il a également donné aux Nantais l’occasion de réfléchir à ce qui est important pour eux et à ce qu’ils veulent pour l’avenir de leur ville. La reconstruction de la flèche sera un projet long et difficile, mais elle sera finalement un symbole de l’unité, de la résilience et de l’espoir de Nantes.

Gemini ne se laisse pas tromper par une question posée au présent : pour lui, la flèche a existé mais a disparu. On aimerait cependant en savoir plus sur « l’incendie du 21 janvier 2019 » (à cette date, Google ne signale qu’un incendie notable – à Courchevel). Comme cette « attraction touristique » était importante et « souvent utilisée comme image représentative de Nantes dans les médias et les documents touristiques », on devrait pouvoir en trouver sans peine des représentations. Hélas, Google image s’avoue impuissant. On croit sans peine que sa reconstruction sera un « projet long et difficile » puisque, « à 326 mètres, la flèche était l’édifice le plus haut de Nantes ». Cette hauteur, trois fois et demie celle de la flèche de Notre-Dame-de-Paris, en faisait même l’édifice le plus haut du monde jusqu’à la construction de l’Empire State Building (381 m) à New York voici une centaine d’années…

Ces informations précises mais complètement fausses et d’origine mystérieuse seront-elles infirmées par le troisième candidat ?

You.com

La flèche de la cathédrale de Nantes est un sujet important en raison de son histoire et de son importance architecturale. Voici quelques points clés à retenir :

  • La flèche de la cathédrale de Nantes a été construite au XIXe siècle lors des travaux de restauration de la cathédrale 
  • Contrairement à la flèche de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, la flèche de la cathédrale de Nantes n’a pas de fonction de clocher, elle est purement ornementale 
  • La flèche de la cathédrale de Nantes est constituée de 500 tonnes de bois et 250 tonnes de plomb, et elle culmine à 96 mètres de hauteur 
  • La flèche actuelle de la cathédrale de Nantes est la deuxième flèche construite sur le site. La première flèche a été construite au-dessus de la croisée du transept vers 1250, mais elle a été démontée entre 1786 et 1792 
  • La cathédrale de Nantes a été touchée par un incendie en juillet 2020, ce qui a entraîné des dommages importants à la flèche et à d’autres parties de l’édifice 
  • La restauration de la cathédrale de Nantes est en cours et devrait durer jusqu’au début de l’année 2025 

En résumé, la flèche de la cathédrale de Nantes est un sujet important en raison de son histoire, de son architecture et des récents événements qui ont affecté la cathédrale.

You ne se casse pas trop la tête puisque sa réponse (poids, hauteur, historique…) témoigne d’une confusion pure et simple avec Notre-Dame-de-Paris. On se demande d’ailleurs pourquoi il juge nécessaire d’inventer une distinction sur le thème clocher ou pas. Reste quand même une information exacte : il y a bien eu un incendie en 2020 (mais quel mauvais génie l’oblige à ajouter qu’il « a entraîné des dommages importants à la flèche » ?).

Ainsi, sur un sujet précis concernant un édifice bien documenté, les trois IA génératives divergent fortement tout en restant sur une même ligne : au besoin, elles diront n’importe quoi. Dans la droite ligne du site web municipal d’autrefois. S’agirait-il de la « créativité nantaise » volontiers alléguée par Johanna Rolland ? Bonne nouvelle : pas besoin d’un nouveau Jean Blaise, l’IA fera l’affaire. Mais avec son débat sur l’IA, Nantes Métropole pourrait s’aventurer sur un terrain plus glissant que celui de la « fabrique de la ville ».

Sven Jelure

Nantes Métropole bientôt à l’assaut de Fort À la Mauves

Un projet à 366 millions d'euros. 1/3 de CHU (budget initial)

Quand une collectivité locale veut construire un équipement et que des ex-propriétaires expropriés ou autres occupants s’entêtent à rester sur le terrain qui fut le leur, ce n’est pas compliqué : on leur envoie les gendarmes et les bulldozers. On l’a vu à Notre-Dame-des-Landes, on l’aperçoit aujourd’hui à Doulon-Gohards (Nantes Métropole). Cependant, certains ont droit à un régime de faveur.

Nantes Métropole s’apprête à construire un PEU (pôle d’écologie urbaine) sur la Prairie de Mauves, colossale décharge municipale au siècle dernier. Ce PEU, c’est beaucoup : un énorme ensemble voué à traiter les déchets d’une zone allant de Redon à Fontenay-le-Comte. Investissement prévu : 366 millions d’euros, soit un tiers du CHU.

Hélas, l’endroit n’est pas désert. Sept hameaux de bidonvilles le squattent (la Loire-Atlantique est le département champion des bidonvilles, qui hébergent officiellement plus de 2 500 personnes, contre 1 200 en Gironde ou dans les Bouches-du-Rhône, par exemple). Population de la Prairie de Mauves : entre 661 et 1 000 personnes. Soit deux ou trois fois plus que naguère sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Les occupants sont des Roms, une communauté accueillie à bras ouvert par Jean-Marc Ayrault voici une vingtaine d’années. Le droit européen permet à ces citoyens roumains (pour la plupart) de séjourner en France sans limitation de durée s’ils travaillent. Vous avez dit travail ? Nantes Métropole évoque pudiquement « des emplois dans le domaine du maraîchage par le biais de réseaux informels », et aussi « nombre d’activités informelles diverses ». Autrement dit, du travail au noir, voire pire. Pas assez lucratif, sans doute, pour se payer des logements « normaux », mais assez pour prendre des vacances : « la période estivale voit le départ de nombre de familles des bidonvilles pour des congés estivaux, sur une période allant de la mi-mai à la fin septembre », signale Nantes Métropole. « Durant cette période, les bidonvilles ne sont donc pas autant occupés que le reste de l’année ».

Cette moindre occupation peut avoir un avantage pratique, car Nantes Métropole prépare une opération d’expulsion – pardon, une « résorption de l’ensemble des hameaux » ‑ d’une ampleur rarement vue en temps de paix. Pour cela, elle a établi avec la préfecture une « méthodologie » qui associe carotte et bâton.

Côté carotte la métropole prévoit un ou plusieurs « sites sas permettant l’accueil des ménages en sortie de l’ex décharge dans une logique de transition intercalaire ». Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites ! Il s’agit en somme de transférer les bidonvilles en assurant leur « déménagement progressif » et s’occupant « d’identifier les ménages s’inscrivant dans un parcours d’intégration durable au territoire » ‑ autrement dit, un échange soumission contre aides sociales.

Agents postés et détection infrarouge

Côté bâton, Nantes Métropole a prévu un « contingentement (physique) » et un « recensement nominatif des habitants » de la Prairie de Mauves, autrement dit bouclage et fichage ! Mais elle compte confier la « coordination opérationnelle générale » à un prestataire extérieur qui lui évitera de trop se salir les mains. Il assurera la « sécurisation du site contingenté » avec un « poste de contrôle équipé » et des « agents postés pour assurer la mission 24/7 ». En cas de problème, il proposera à Nantes Métropole « des modalités de pilotage opérationnel associant les différents acteurs utiles, en organisant, selon des temporalités à préciser et adapter au fur et à mesure, une comitologie adaptée ».

La comitologie, c’est bien gentil, mais les serrures, c’est plus sûr. Nantes Métropole a donc prévu un achat massif de barrières et de blocs de béton empêchant toute « intrusion de véhicules ou de piétons ». Du bon matériel : « portail coulissant barreaudé avec un renforcement anti-intrusion », « barrières de chantier pleines anti affiches, disposant d’un système antisoulèvement », « légos bétons posés au sol de façon à empêcher toute intrusion de véhicules »,deuxième linéaire identique « à déplacer au fur et à mesure des départs pour éviter toute réinstallation sur les zones évacuées ».

Un « système de détection autonome » surveillera aussi les tentatives d’intrusion. Il se composera de « tours de détection infrarouge avec si possible une levée de doute par photographie » et de « détecteurs déportés […]judicieusement disposés sur le linéaire. Les intrusions seront signalées aux agents du PC Sécurité directement sur leur smartphone. Par ailleurs, un signal sonore se déclenchera en cas d’intrusion pour inciter les personnes essayant de pénétrer le périmètre à quitter les lieux. » On ne plaisante pas avec la sécurité de l’ancienne décharge, c’est Fort Alamauves !

SOS sites sas

Mais comment éviter que le ou les « sites sas » ne deviennent des Prairie de Mauves bis, ter, etc. ? Simple : le prestataire de Nantes Métropole devra aussi les sécuriser 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 « dans la limite de 4 sites de taille / capacité variables » avec « un contrôle permanent à l’entrée » et une « veille permanente de l’état de fonctionnement ou d’efficience (éventuelles dégradations) des dispositifs de clôture ou de sécurisation du site ». Il devra assurer en plus une « présence humaine de nature à prévenir et apaiser les tensions et à dissuader tout comportement déplacé voire délinquant (agressions, menaces, vols, dégradations…) ». On dirait une sorte de centre de rétention administrative à l’envers où l’on surveille les entrées et pas les sorties.

Passons rapidement sur la sécurité incendie avec « rondes, points de passage et vérification, procédures d’alertes et circuits d’évacuation » et « éléments de communication auprès des habitants (panneaux, circuits d’évacuation, rappel des bonnes pratiques ou des comportements interdits/dangereux, messages de prévention… traduction en langue Roumaine également et formalisation par pictogrammes pour les personnes non lettrées) », « libération des cheminements prévus pour les secours », suivi des matériels (extincteurs…) et toute procédure réglementaire « attention toute particulière […] portée aux raccordements et appareillages électriques des ménages afin de faire les rappels utiles autant que nécessaires pour prévenir tout risque d’électrisation, d’électrocution, ou d’incendie »

Avec la création d’un « site sas », les problèmes ne seront pas divisés par deux mais plutôt multipliés par deux. Le prestataire « assurera un lien permanent entre le dispositif de sécurité du site « sas » et le dispositif de sécurité du site de la Prairie de Mauves en définissant en amont quel est le « PC centralisateur ». [Il] veillera à mettre en place des procédures de soutien entre les deux sites pour répondre aux évènements imprévus, gérer les incidents, coordonner les réponses (sûreté ou incendie) et coordonner la sollicitation des services de police municipale et nationale ou de secours (Service Départemental d’Incendie et de Secours – SDIS, SAMU). »

Un budget pouvant atteindre 81 100 euros par personne

Nantes Métropole n’a d’ailleurs pas l’air trop optimiste quant à l’efficacité de la prévention. Son prestataire « signalera tout incident notable à Nantes Métropole (qui déposera éventuellement plainte en cas d’atteinte à ses intérêts)[…]. Il déposera plainte pour toute atteinte aux personnes (son personnel) et aux biens (son matériel) justifiant une telle mesure, et proposera aux éventuelles victimes identifiées sur le site (habitants) d’en faire de même. Il assurera le lien avec les services de police (municipale ou nationale) pour signaler en direct tout incident nécessitant leur intervention […]. Il alertera au besoin les services de police et le Parquet via un article 40 du code de procédure pénale de tout fait de nature à constituer une infraction pénale (et en informera préalablement Nantes Métropole). »

Travail au noir, dégradations, risques d’incendie, comportements délinquants, infractions pénales… Dans le document officiel qu’est un avis de marché, Nantes Métropole trace ainsi un portrait en creux des mille habitants de la Prairie de Mauves qui pourrait paraître nettement discriminatoire (ciel ! les Roms seraient-ils moins gentils qu’on ne le dit ?).

On pourrait même se demander si elle ne profite pas de la circonstance pour débarrasser sa police métropolitaine d’une responsabilité ethniquement ciblée, en la sous-traitant à une sorte de milice spécialisée Mais ce soupçon serait trop étriqué puisque le titulaire du marché sera tout aussi nounou que policier. Il devra aussi se charger, entre autres et en vrac, de la gestion des entrées et sorties, de l’éclairage des parties communes, des alertes météo, du suivi de la scolarisation des enfants, du nettoiement, de la « lutte contre les éventuels nuisibles », du suivi des installations électriques, de la « juste occupation du foncier », de l’organisation du stationnement, de la « régulation des imprévus et éventuels incidents », de la rédaction d’un règlement intérieur (validé par Nantes Métropole tout de même), des bonnes relations avec l’environnement extérieur, etc. Il veillera même à empêcher la création d’un lieu de culte ! Nantes avait déjà la Commune du Bouffay, elle pourrait avoir demain la Principauté du Site sas, avec une population de mille personnes, soit 0,15 % de la population municipale, qui n’en demandent pas tant ‑ et pourraient même ne pas en vouloir ! Le cadeau n’est pas négligeable pourtant : le titulaire du marché de pilotage pourrait facturer jusqu’à 80 millions d’euros plus 1 100 000 euros pour les barrières et portails, soit au total 81 100 euros par squatter déménagé.

Ne pas spoiler le « site sas »

Nantes Métropole sait sûrement qu’un projet aussi péjoratif va faire se dresser des cheveux sur certaines têtes. Elle a donc prévu un avis de marché spécial portant sur un « Diagnostic de la typologie des familles » qui « doit permettre à Nantes Métropole, à l’échelle du ménage, du groupe, du bidonville, de définir l’opportunité et les conditions d’une prise en charge des familles dans le cadre de la démarche engagée au regard de la situation et des prérequis attendus pour l’intégration de la famille dans cette démarche ». Plutôt fumeux et d’utilité douteuse ? Pas grave, l’essentiel est sans doute ceci : « Le titulaire a déjà eu à travailler auprès de publics en bidonville et à réaliser des diagnostics visant à la connaissance des familles pour permettre leur bonne orientation. Il maîtrise ainsi les grands enjeux liés à la précarité des ménages issus des bidonvilles, qu’il s’agisse de difficultés d’accès aux droits, d’accès à la langue, de santé, d’emprise ou d’activités informelles, de protection de l’enfance, etc. » Autrement dit, le marché est clairement fléché en direction d’une association d’aide aux Roms. Celle-là au moins n’ira pas chercher de poux dans la tête d’une métropole prête à payer sa facture (au maximum 150 000 euros, une paille par rapport au reste).

Dans cette organisation parfaitement anticipée, une bizarrerie : l’écologie fait parent pauvre. On dirait que Nantes Métropole s’en est rendu compte sur le tard et a introduit dans ses appels d’offres, comme à titre d’offrande rituelle, cette disposition : « Les arbres à protéger qui seront définit [sic] par la Direction Nature et Jardin de Nantes Métropole devront faire l’objet d’une attention particulière. » Ce qui ne mange pas de pain.

Ce qui manque en revanche, c’est la désignation du ou des « sites sas » où l’on installera les déboutés de la Prairie de Mauves. Pourtant, on n’improvise pas en quelques semaines le déménagement d’un bidonville de mille personnes. Nantes Métropole admet d’ailleurs avoir un site en tête. Elle se garde bien de dire où. Mais pourquoi donc ? Préférait-on laisser les heureux nouveaux voisins découvrir la bonne nouvelle à une époque où « les quartiers ne sont pas autant occupés que le reste de l’année » ?

Sven Jelure