Si même les religieuses s’y mettent, la réputation de Nantes est bien malade. Toute la France le sait à présent : deux sœurs bénédictines, plutôt que de subir le martyre (ou en tout cas des injures et des crachats) en silence à Sainte-Croix, ont demandé à leur Ordre de les transférer du côté de Reims. En voilà un éloge du pas de côté ! L’affaire fait plus de bruit qu’une Nième fusillade devant le 38 rue Watteau. Consternation.
Les vieux Nantais se rappellent qu’il y a trente ans, l’espace d’une génération, leur ville était en tête de tous les classements des villes-où-il-fait-bon-vivre. Et ce n’était pas seulement le fruit d’un engouement médiatique : l’air du temps était plutôt sympa. « La seule ville où les automobilistes s’arrêtent pour laisser passer les piétons », s’émerveillait alors un jeune visiteur. « Et où les piétons leur disent merci », corroborait son copain.
Les médias attribuaient volontiers la qualité de la vie municipale à Jean-Marc Ayrault. Or il n’y était pour rien : en 1993, il n’était maire de Nantes que depuis quatre ans et n’avait pas fait grand chose. Il avait inauguré la deuxième ligne de tram, qui était dans les cartons bien avant son arrivée, mais ni Busway ni Chronobus n’étaient au programme et les aménagements cyclables étaient embryonnaires ; le Bicloo ne viendrait que quinze ans plus tard. Le château des ducs de Bretagne et le musée des Beaux-arts n’avaient pas été rénovés, les Chantiers navals et le Jardin extraordinaire étaient des friches industrielles, le Lieu unique et le Hangar à bananes des bâtiments désaffectés en attente de démolition ou de réemploi. Il n’était encore question ni du Mémorial de l’abolition de l’esclavage, ni des Machines de l’île ni même de l’Arbre aux Hérons. Alors quoi ?
Le gaspillage d’une réputation trouvée en arrivant
Jean-Marc Ayrault bénéficiait des atouts existants de la ville, que ses propres réalisations n’ont donc guère épaulés. Et il avait un dircom d’élite pour lui greffer les plumes du paon. Johanna Rolland subit-elle l’effet inverse à la tête d’une cité désormais vue comme quasiment un coupe-gorge ? En partie, sûrement, mais le meilleur dircom n’y peut rien : pour dégager sa responsabilité, il faudrait incriminer celle de son prédécesseur et parrain. Car celui-ci a activement contribué, de diverses manières, à la dégradation de la réputation nantaise. En voici deux exemples notoires.
1) Au milieu des années 2000, Jean-Marc Ayrault a mis en place un vaste dispositif d’accueil de migrants roumains par Nantes Métropole. Ce dispositif, exemplaire selon le Conseil de l’Europe, a été un succès dans la mesure où le public visé est venu nombreux : dès 2009, Nantes Métropole concentrait 10 % des Roms présents en France. Mais il a été un échec dans la mesure où de nombreux actes de délinquance ont été commis (vols, recels, occupations illégales, mendicité sur la voie publique…) – des actes souvent très visibles, donc nocifs pour l’image. Il ne s’agit de discriminer personne, il se peut que le dispositif ait été mal conçu, mal administré, incomplet, etc. Ce qui ne fait qu’accentuer le constat : une mesure prise par Jean-Marc Ayrault a accru l’insécurité ressentie à Nantes.
2) Jean-Marc Ayrault a toujours refusé d’installer un système de vidéosurveillance municipal. Il n’avait pas loin à aller, pourtant, pour trouver un modèle réputé efficace : dès 2006, son successeur à la mairie de Saint-Herblain avait installé quinze caméras. Certains contestent l’efficacité de la vidéoprotection ? Pas Jean-Marc Ayrault. À peine le Mémorial de l’abolition de l’esclavage achevé, en 2012, il y a fait installer pas moins d’une douzaine de caméras ! Étrangement, pendant qu’il faisait régner l’ordre au Mémorial, il a laissé la situation se dégrader ailleurs.
Le salut viendra-t-il de Sainte-Croix ?
Johanna Rolland n’a pu que le constater et tenter de changer de cap. Mais elle s’est bien gardée de citer le nom de Jean-Marc Ayault quand, en 2017, la vidéoprotection a fait son arrivée à Nantes. La même année, une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) a été lancée pour redimensionner le plan d’accueil des Roms. Trop tard ? Dans un cas comme dans l’autre, les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances (le rapport annuel 2021 de Nantes Métropole évoque explicitement « les insuffisances de la MOUS »).
Le problème des réputations est qu’elles font boule de neige. Et quand ça veut pas, ça veut pas. Si Johanna Rolland multipliait les caméras et les policiers municipaux, il est certain qu’elle cognerait dans le budget mais pas du tout qu’elle améliorerait l’image de la ville. Elle ne tient dans doute pas à échanger une réputation de ville insécure contre une réputation de ville fliquée. Quoi d’autre ? À part mettre un cierge à Notre-Dame du Bon-Secours, protectrice des populations en danger, dont par un heureux hasard l’église Sainte-Croix possède une effigie, on ne voit pas…
Sven Jelure
Partager la publication "Restaurer la réputation de Nantes : faut-il en appeler à Notre-Dame de Bon-Secours ?"