Qui eût cru que la culture était à ce point une affaire d’argent ? Les préavis de décès associatifs se multiplient depuis que la région Pays de la Loire a annoncé des coupes claires dans son budget culturel en 2025. Le contribuable régional ne sait s’il doit se sentir atterré par ces futures disparitions ou fier de découvrir qu’il a fait vivre tant de monde jusqu’à présent.
« La région des Pays de la Loire [est] la seule à pratiquer ces suppressions. Il n’y en a pas une autre », a déclaré l’adjoint à la culture de Nantes (Presse Océan du 25 novembre, repris par l’élu lui-même sur Facebook). Bien entendu, c’est faux. La région Auvergne-Rhône-Alpes a soulevé le même genre de protestations pour la même raison en 2022 et 2023. L’Île-de-France (2016), la Nouvelle Aquitaine (2020), la Réunion (2020) ou… les Pays de la Loire (2018) ont déjà connu de semblables remous. Des départements et des communes, aussi, comme la Charente-Maritime ou Toulouse ces jours-ci.
La polémique a un côté boîte de Pandore. Dans un pays où le RN obtient 29,5 % des voix (législatives de 2024), l’action culturelle publique, à terme, ne pourra être la même que dans un pays où le PCF en obtenait 28,5 % (législatives de 1946). L’argent distribué par d’autres décideurs ira à d’autres bénéficiaires. Certains se sont scandalisés d’une subvention accordée par la région à Puy du Fou Films pour Vaincre ou mourir. Mais qui oserait dire que ces 200 000 euros sont moins légitimes que, par exemple, les 130.000 euros accordés à À toute allure, qui (tré)passe en ce moment sur les écrans ? Ou que les 4 millions d’euros affectés à l’Arbre aux Hérons par Laurence Garnier du temps où elle était vice-présidente de la Région, chargée de la culture ?
Pays de la Loire, anti-modèle culturel
La culture des Pays de la Loire est née sous de mauvais auspices. Ayant obtenu la création d’une région artificielle, un fief politique taillé pour lui, en juxtaposant des départements disparates formés à partir de l’Anjou, du Maine, d’un bout de Bretagne et d’un bout de Poitou, Olivier Guichard ne parvient même pas à lui trouver un nom convenable : la Loire n’arrose que deux de ses cinq départements et la confusion est vite faite avec le Val-de-Loire. Il cherche néanmoins à lui fabriquer artificiellement une identité culturelle. En particulier :
- Il fonde l’association Fontevraud Centre culturel de l’Ouest, chargée d’animer l’Abbaye de Fontevraud, réinventée en pôle culturel historique de la région bien qu’elle soit surtout associée à la dynastie anglaise des Plantagenêt. Subventionnée à hauteur de 80 % par la région, elle a fait l’objet en 2018, Jacques Auxiette aidant, d’un des rapports les plus sévères jamais publiés par la chambre régionale des comptes (1).
- Il soutient la création du Théâtre régional des Pays de la Loire, société coopérative dont le financement, quarante ans après sa création, reste assuré à 66 % par des subventions.
- Il suscite la création de l’association Trois cent trois (303) pour laquelle on n’a pas trouvé de nom moins technocratique que le total des nombres attachés aux départements de la région. Ses activités d’éditeur et annexes couvrent à peine la moitié de son budget. L’autre moitié est faite de subventions régionales, pour plus de 300 000 euros.
À propos, une association recevant plus de 153 000 euros de dons et subventions dans l’année est tenue légalement de publier ses comptes. Trois cent trois (303) ne l’ a jamais fait, et son cas n’est pas unique. Parler d’argent est au-dessous de la dignité de certains culturels (« je m’en fous complètement », disait Jean Blaise en 2012) : ils empochent en silence, quitte à pousser de hauts cris quand le flux se réduit.
Les coûts d’un saupoudrage difficile à légitimer
Même si la région des Pays de la Loire est une boussole qui indique le Sud, les organisations subventionnées sont toutes estimables. En Nantais responsable, on peut regretter qu’elle prive de son bon argent le Festival des 3 continents, le Festival du cinéma espagnol ou Le Cinématographe, par exemple. Il faut avouer qu’on est plus indifférent au sort de Croq’les mots marmot, en Mayenne, ou de Mamers en mars, dans la Sarthe. Et réciproquement. D’une manière générale, l’action culturelle est nationale ou locale, pas régionale. Même des acteurs aussi importants que Le Puy du Fou, le Hellfest ou La Folle Journée ne concernent pas la région en tant que telle.
La culture est pourtant une « compétence partagée » des collectivités locales de tous niveaux. Chacune d’elles a donc du mal à dire non aux copains ou aux copains des copains et elles sont devenues subrepticement des distributeurs de subventions. Chaque opérateur culturel fait donc le tour de N subventionneurs éventuels et établit N dossiers de demande. En aval, c’est bien pire : chaque demande sera épluchée par N fonctionnaires (réception du dossier, vérification des pièces jointes, vote du budget, rédaction d’un PV, rédaction d’une convention, contrôle de légalité, etc.). En fin de compte, l’opérateur récoltera N petites sommes, avec l’obligation contractuelle de remercier N contributeurs dans sa communication. Toutes aboutiront à une seule caisse… alors que toutes sont sorties d’une seule poche, celle du contribuable.
Voici l’exemple de « Rencontres du cinéma espagnol » en 2024
– Subvention Ville de Nantes 72 000 €
– Subvention Région Pays de la Loire 45 000 €
– Subvention Département Loire-Atlantique 50 000 €
– Subvention Nantes Université : 20 000 €
– Subvention de la FLCE (Nantes Université) : 1 500 €
– Subvention Département Études hispaniques (Nantes Université) : 2 000 €
– Subvention DRAC (Ministère de la Culture) : 10 000 €
– Centre Culturel Franco-Espagnol : 2 000 €
– Subvention Ambassade d’Espagne : 15 000 €
– Subvention Instituto Cervantes Paris : 9 000 €
– Subvention Colegio de Espana : 7 000 €
– Subvention Pays Basque espagnol (Institut Etxepare) : 10 000 €
– Accion cultural española (ACE) : 12 000 €
On imagine les coûts cachés de toutes les démarches ! Les acteurs culturels tiennent-ils vraiment à les pérenniser ?
Schumpeter avec nous !
Bien entendu, il y a urgence, et leurs inquiétudes immédiates sont légitimes : c’est leur gagne-pain qui est en jeu. Leur sort n’est pas moins préoccupant que celui des salariés de Camaïeu, Habitat, Tatabotanica et autres nombreux commerces qui ont jeté le gant ces derniers mois. Nantes va devoir décaler la réalisation de son « diagnostic théâtre », commenté ici : à quoi bon décrire un paysage qui sera ravagé demain ?
Y a-t-il même un lendemain ? Bien sûr ! La culture commence par des idées, du travail, du talent, de la passion et de l’empathie. L’argent vient après. Les créateurs de toute sorte ne manquent pas à Nantes. Il suffit, en ces temps de Noël, de visiter l’Autre marché des Écossolies, ou, toute l’année, des boutiques comme Créateurs Nantes à Cœur, à l’angle de la rue du général Leclerc et de la rue Saint-Vincent. Il n’y a pas de raison de penser que les créateurs culturels ont moins d’idées et de courage. Cependant, on aimerait qu’ils exercent aussi leur imagination sur les moyens de réduire la gabegie procédurale.
Et puis, qui oserait dire que des subventions ad vitam æternamgarantissent une culture de qualité ? Ce serait faire beaucoup de confiance aux élus qui les distribuent ! Il suffit de constater la décrépitude de Royal de Luxe, bourré de talent quand il tirait le diable par la queue, de moins en moins créatif une fois confortablement installé à Nantes, et qui néanmoins reste couvert d’argent public année après année ? Secouer le cocotier de temps en temps ne fait pas de mal.
Sven Jelure
(1) La Chambre « constate des dysfonctionnements majeurs dans cette association sur les plans financier et administratif. Sa gouvernance n’est pas régulière. L’information administrative et financière fournie au conseil d’administration est déficiente, elle ne permet pas à celui-ci d’administrer effectivement la structure, ni de contrôler de manière resserrée l’usage des fonds qui lui sont versés ». Il est vrai que les comptes de la région elle-même, du temps de Jacques Auxiette, ne valaient pas mieux.
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Supprimons cette « région » qui n’a pas de légitimité, qui n’a fait que dilapider. Que ces 5 départements rejoignent leur région d’origine et légitime.
Économies d’échelle et cohérence historique, économique et culturelle.
C’est si simple…