Pourquoi les maires de Nantes ignorent-ils Paul Ladmirault au 21e siècle ?

Des œuvres de Paul Ladmirault seront jouées à Nantes les 17 novembre et 24 novembre à l’occasion du 80eanniversaire de sa mort. Il s’agit d’une initiative privée, et même familiale ! Tout autant que Jean-Marc Ayrault, Johanna Rolland semble ignorer le compositeur nantais. Y aurait-il davantage que de l’inculture dans cette attitude ?

Les Nantais qui avaient connu Paul Ladmirault disaient qu’il était peu loquace. Ce n’est pas une raison pour que Nantes en parle si peu aujourd’hui. Le compositeur Paul Emile Joseph Marie Ladmirault est né à Nantes le 8 décembre 1877 et mort à Kerbili, en Camoël, ancienne paroisse du Comté nantais rattachée au Morbihan par la Révolution, le 30 octobre 1944. Musicien brillant et précoce, ce Mozart nantais a 16 ans quand son premier opéra, Gilles de Rais, est représenté à Nantes. Admis au Conservatoire de Paris, il est l’un des élèves favoris de Gabriel Fauré, tout prêt à pousser sa carrière (« je penserais d’abord à vous » lui écrit le Maître, dans le cas où on lui demanderait de désigner un professeur).

Cependant, il choisit par conviction de revenir en Bretagne et devient professeur au conservatoire de Nantes. À défaut de briller à Paris, il est reconnu comme un pilier de la vie artistique nantaise.

Bien entendu, quand Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes, il honore comme il se doit le grand compositeur n’est-ce pas ? Ayrault, Ladmirault, la rime est propice… Eh ! bien non ! Alors que le conseil municipal de 1950 a donné son nom à une place du centre de Nantes, alors que Ladmirault est aujourd’hui bien connu en particulier dans le monde anglo-saxon pour ses œuvres évoquant l’univers arthurien, une municipalité qui s’autoproclame amie de la culture ignore à peu près le compositeur !

Des voies quasi anonymes

Et cette ignorance perdure jusqu’à nos jours. Le site web métropolitain metropole.nantes.fr mentionne la place Paul-Émile Ladmirault comme « site patrimonial remarquable » à cause de son architecture, et recense les Amis de Paul Ladmirault parmi les associations actives à Nantes – c’est la moindre des choses ; du compositeur lui-même, il ne dit rien.

Pour être juste, le site Nantes Patrimonia n’ignore pas totalement Paul Ladmirault (il s’agit d’un site collaboratif alimenté par des contributeurs, la Ville de Nantes n’intervenant que comme « modérateur »). Au milieu d’un article « Musique »fourre-tout emprunté au Dictionnaire de Nantes, on lit ceci : « L’entre-deux-guerres est une période fertile pour l’essor des cafés-concerts dédiés au jazz et de la musique de chambre, qu’illustrent deux grandes figures, les compositeurs Claude Guillon-Verne et Paul Ladmirault. » C’est mieux que ‑ mais pas beaucoup plus que – rien.

Claude Guillon-Verne (1879-1956) est traité avec plus d’égards que Paul Ladmirault : Patrimonia lui consacre un article spécifique. Apparemment motivé par sa parenté plus que par ses œuvres puisqu’il commence ainsi : « Le neveu de Jules Verne, Claude Guillon, est un compositeur nantais oublié. » L’ombre tutélaire de l’écrivain plane aussi sur Aristide Hignard (1822-1898), cité par le même article « Musique » comme « grand ami de Jules Verne ». Pour en savoir plus au sujet de ce musicien, d’ailleurs, on consultera le Bulletin de la société Jules Verne n° 205, novembre 2022.

Si mince soit ce privilège, d’autres compositeurs n’y ont pas droit. Sur les sites municipaux, Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910) est le nom d’une avenue (stationnement payant, jours de collecte Tri’sac…) ; quant aux raisons de cet honneur, rien, mais on peut s’en faire une idée grâce à l’affiche du 11e grand concert symphonique de 1902 reproduite sur le site des archives municipales numérisées. Le nom de Gaston Serpette (1846-1904), n’apparaît qu’à travers celui collège du même nom ; là encore, le site des archives de Nantes met le lecteur sur sa piste dans un article consacré à son père Henri, gros fabricant de savon du côté de la place Catinat. Louis Vuillemin (1879-1929) n’est connu que par l’avenue qui lui est dédiée, sans autre précision. Paul Martineau (1890-1915) n’a pas vécu assez vieux pour avoir une rue à son nom.

Les municipalités précédentes honoraient les grands musiciens nantais en donnant leur nom à des rues. Celle d’aujourd’hui trouve à peine moyen de les mentionner en passant sur des sites web.

Le dédain de la ville de Nantes envers Paul Ladmirault atteint un sommet au Conservatoire de Nantes, établissement municipal fondé en 1846 où le compositeur a enseigné. Sur son site web, si l’on recherche le nom « Ladmirault », on obtient pour réponse : « Désolé, mais rien ne correspond à vos termes de recherche. Réessayez avec d’autres mots-clés. » Nul n’est prophète en son pays, sans doute. Paul Ladmirault est bien plus présent, par exemple, sur le site de la Library of Congress américaine !

Pourquoi Ladmirault dérange

Tout n’est pas perdu : Paul Ladmirault est représenté sur le Mur de Royal de Luxe. La classe ! Plus sérieusement, quelques-unes de ses œuvres ont été jouées à l’occasion de la Folle Journée, notamment en février 2024, et bon nombre d’articles, CD et partitions sont disponibles dans les bibliothèques municipales. Il arrive aussi qu’il apparaisse sur Facebook. Mais on se pose quand même des questions. Voilà un compositeur majeur, né à Nantes et revenu vivre et créer à Nantes alors que le succès lui tendait les bras à Paris, et pourtant Jean-Marc Ayrault et ses successeurs semblent l’ignorer alors qu’ils multiplient les génuflexions devant un écrivain majeur, né à Nantes et parti vivre et créer à Amiens…

Y aurait-il un loup ? Ça se pourrait bien. Comme le signale Amélie Decaux sur Nantes Patrimonia au détour d’un article « Place Paul-Émile Ladmirault », « ce militant indépendantiste breton, né à Nantes a composé une œuvre musicale empreinte de son attachement à la terre et à la culture bretonne. Il est l’un des premiers compositeurs membres du groupe artistique Seizh Breur. » Alors là, c’est grave !

Johanna Rolland n’a pas célébré le 30 octobre dernier le 80e anniversaire de la mort de Paul Ladmirault. Mais elle pourra se rattraper aux branches en assistant aux deux concerts consacrés à des œuvres du compositeur qui auront lieu à Nantes, le 17 novembre à 16h00 à Sainte-Croix, le 24 novembre à 16h00 à Notre-Dame-de-Bon-Port, grâce à des descendants du compositeur, en particulier son arrière-petite-fille Florence Ladmirault.

Sven Jelure

Une réponse sur “Pourquoi les maires de Nantes ignorent-ils Paul Ladmirault au 21e siècle ?”

  1. En plus de la bretonnité politique revendiquée de Ladmirault, il y a sans doute le fait qu’il représente une culture qui ne colle pas avec celle d’Ayrault. C’est-à-dire mercantile / cosmopolite (comprenez parisienne).
    Toujours un effarement à entendre les « acteurs de la vie culturelle » pourfendre l’économie de marché tout en soutenant la « Culture » (alors que c’est du culturel, comme l’admet plus honnêtement les centres Leclerc) comme fer de lance de l’attractivité. Notamment touristique. Les mêmes se déclarant bien souvent écolos et ayant beaucoup de mal à admettre le rôle de l’avion low-cost dans leur microcosme économique.

    Si Verne était un fervent républicain, il n’hésitait cependant pas à rappeler qu’il était breton. Plus que nantais peut-être.

    Plus le temps passe, et plus je me confronte aux visions des Néo-Nantais ou de la génération de notre maire (la mienne), classe moyenne (catégorie petite bourgeoise), plus je suis convaincu qu’Ayrault a été placé par le PS à la tête de Nantes (peut-être même sans qu’il en ait conscience ?) pour accompagner l’effacement du passé de la ville, notamment sa dimension ouvrière, malgré quelques concessions obligées, d’autant plus pour un « socialiste ». Avec pour fer de lance son obsession pour la traite négrière dont l’excès de rappel, en comparaison du reste de l’Histoire, s’est opportunément telescopé avec la fin de l’activité ouvrière.
    Cet épisode est vraiment devenu la définition de Nantes, en parallèle de sa nouvelle image de ville bobo (petite bourgeoise donc).
    Et quelque part résume symboliquement sans doute le plus parfaitement, en France en tout cas, ce glissement de la gauche prolétarienne à celle Terra Nova.
    Bon, entre-temps, l’image de Nantes est devenue celle d’une Bogota-bis.

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