René Martin, l’un des principaux chapeaux à plume de la culture municipale à Nantes depuis 1995, créateur de La Folle Journée avec le soutien de Jean-Marc Ayrault, passé à la trappe en moins de six semaines ! Et avec un acte final (?) en pleines vacances de la Toussaint, à un moment ou tout électeur normal a d’autres préoccupations en tête ! Allons, la page est tournée, il faut s’intéresser à autre chose…
Quoique… il y a quand même quelques étrangetés dans cette affaire qui pourrait donner matière à une étude de cas en communication de crise (une discipline à laquelle Nantes Métropole n’est pas indifférente). Car elle respecte les conseils classiques des professionnels : affirmer une volonté de transparence, ne pas nier même et surtout s’il n’y a pas grand chose à nier, afficher son empathie pour les victimes, s’excuser publiquement, prendre vite des mesures concrètes… Et puis, ce que les professionnels pratiquent sans le conseiller ouvertement, diffuser de-ci, de-là, des informations secondaires, histoire de disperser l’attention et de gagner du temps (l’opinion publique a une mémoire de poisson rouge). Enfin, quand c’est possible, charger un bouc émissaire de tous les péchés du monde, recette efficace sans doute depuis l’an I des sociétés humaines.
Souvent, la com’ de crise sert à sauver la tête du patron de l’entité en cause. Ici, bien entendu, il ne s’agissait pas de sauver René Martin. Spécialiste de la programmation musicale, il n’était manifestement pas à la manœuvre. « Éteindre l’incendie avant qu’il ne se propage et devienne hors de contrôle », observe Médiacités, qui a allumé la mèche du scandale. « Voilà ce qui semble guider les réactions officielles après nos révélations sur René Martin […] le pape de la Folle journée de Nantes. » Le vrai sujet est sans doute là davantage que dans la moralité douteuse de l’intéressé !
Fausses notes au pipeau
Le 18 septembre 2025, le média d’investigation Médiacités, suite à un travail conjoint avec La Lettre du musicien, publie une enquête de Pauline Demange-Dilasser et Thibault Dumas en deux volets – peut-être pour que l’un ne dilue pas l’autre. Le premier est intitulé « René Martin : les fausses notes financières du pape de la Folle Journée de Nantes ». Il décrit un système centralisé dont le pape en question « flèche […] des millions d’euros d’argent public et fait vivre des milliers d’artistes et techniciens ».
Au cœur du système Martin, une association : le Centre de réalisations et d’études artistiques (CREA), fondé à Nantes en 1978, qui assure la direction artistique de quatorze festivals ou saisons de concerts et de plus de quatorze cents concerts par an. La Folle Journée de Nantes est le joyau de son catalogue.
René Martin est décrit comme « un homme dur en affaires » qui cultive « une certaine fidélité artistique » – autrement dit, « il a son écurie de poulains ». Moins dur envers lui-même, il ne reculerait pas devant une « porosité entre dépenses professionnelles et dépenses personnelles » (quand il dirige le festival de La Roque d’Anthéron – quarante-cinq éditions à ce jour ‑ il ne paie de sa poche qu’un quart de ses 20 000 euros d’hébergement). Qu’en termes galants…
Si le salaire de René Martin n’a rien d’époustouflant, « la gestion financière de ses entreprises pose cependant quelques questions » note Médiacités, qui a repéré « des dizaines de dépenses surprenantes », par exemple chez un caviste, dans un bar à huîtres ou chez Leroy‐Merlin. Des montants à trois chiffres, tout de même, réglés par le CREA… Celui-ci « ne touche pas directement d’argent public, mais en gère beaucoup, après être passé le plus souvent par des marchés publics où la concurrence est rare. » Pardon, mais en fait de révélations, on a vu plus tonitruant…
Regards hypersexuels
Les choses sérieuses, par contraste, viennent avec le second volet de l’enquête de Médiacités intitulé « René Martin : un management entre aura, humiliations et hypersexualisation ». Cette fois, c’est l’ambiance de travail qui est mise en cause. « Il veut avoir la main et un regard sur tout », dénonce Clotilde (un prénom d’emprunt) qui a travaillé pendant deux ans à La Cité des congrès. « Il est très impulsif », assure une autre. « Lorsque quelque chose ne lui plaît pas, il peut vous hurler dessus. » Au-delà de ces comportements pas si rares au sommet des hiérarchies, il y a une « ambiance hypersexualisée » avec des « regards appuyés et des comportements tactiles », et la découverte que le patron consulte des sites pornos en ligne. Déjà qu’il aime à illustrer les documents de La Folle Journée par des « photos d’artistes femmes jeunes et sexy »…
Un audit réalisé dans l’urgence par un cabinet d’avocats « démontre que les principes d’exemplarité, de respect des droits des salariés et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, sont bafoués en matière managériale, de gestion de l’association et compte tenu de l’exposition des salariés à des contenus à caractère pornographique », déclare Johanna Rolland à Médiacités. « Ma ligne est extrêmement claire, simple et ferme. Quand il s’agit de sujets liés à des violences sexistes et sexuelles, il ne peut y avoir aucune tolérance. » À Nantes, la lutte contre l’insécurité est énergique quand celle-ci prend la forme d’un regard appuyé ou d’une photo sexy.
Choses tout à fait répréhensibles, bien entendu, ne vous méprenez pas, cher lecteur, sur le sens de cette remarque. Il ne s’agit pas de minimiser les forfaits du présumé innocent René Martin mais seulement d’aborder un aspect pratique. On sait depuis depuis longtemps, depuis des siècles en fait, que la musique n’adoucit pas les mœurs sexuelles. Ces dernières années, nombre de chefs d’orchestre de formations diverses, du Metropolitan Opera de New York au bagad d’Auray, ont été accusés de viols et d’attentats à la pudeur. Une commission d’enquête parlementaire relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité a révélé voici quelques mois une grande fréquence des violences et abus sexuels dans les milieux culturels, y compris ceux de la musique classique. Si tous leurs auteurs étaient limogés, selon la jurisprudence Johanna, l’effet sur la culture serait probablement plus radical que celui des coupes budgétaires de Mme Morançais.
Le temps n’érode pas les sentiments, au contraire
Corrélativement, puisque ces dérives des milieux culturels sont connues de longue date, on se demande pourquoi il a fallu une enquête de Médiacités en 2025 pour les découvrir à Nantes. « On savait que ça sortirait un jour », soupire pourtant un acteur culturel à l’oreille de Médiacités. . La moitié de l’effectif du CREA est là depuis dix à douze ans et n’avait rien signalé. Le comportement de René Martin se serait il aggravé avec l’âge (il a fêté ses 75 ans) ? Non : « ceux qui ont travaillé avec lui ont souvent besoin d’en parler des années après tant les conditions de travail sont difficiles », assure une ex-salariée de la Cité des congrès. Autrement dit, ça ne date pas d’hier. Mais il se peut que les salariées de 2025 soient plus pudiques que celles de la génération de mai 68 et que le regard appuyé qui paraissait simplement importun hier soit intolérable aujourd’hui : les normes sociales évoluent, faudrait pas vieillir…
Plus encore, on s’interroge sur l’aveuglement des responsables municipaux, et en premier lieu de Johanna Rolland. Puisqu’elle exclut toute tolérance en matière sexuelle, il aurait été indiqué de surveiller le terrain à risque qu’était une organisation culturelle. Et pas n’importe laquelle. « Le CREA est un acteur essentiel dans la mise en œuvre de la Folle Jounée », relevait la chambre régionale des comptes. « Son directeur en est le concepteur et parfois l’image même de l’évènement. Son importance est telle que la pérennité de la manifestation est perçue comme liée à la poursuite de ce lien. » C’était en 2013. Vu l’importance du personnage pour une ville qui se voulait culturelle, Nantes Métropole aurait dû veiller à son comportement et à ses achats chez Leroy-Merlin comme à un lait sur le feu.
« Les révélations de Mediacités et de La Lettre du musicien sur la gestion financière et le management du directeur artistique de la Folle journée mettent les collectivités comme les festivals dans l’embarras, particulièrement du côté de la Ville de Nantes », écrit Médiacités. Oui, bien sûr, il aurait fallu y penser plus tôt. Johanna Rolland avait pourtant une informatrice privilégiée dans la place, Joëlle Kerivin, ancienne de la mairie de Nantes nommée à la tête de la SEM La Folle Journée, donc en contact fréquent avec René Martin. Également patronne de l’Espace Simone de Beauvoir, elle était forcément attentive à la cause féminine (mais peut-être pas autant aux « dépenses surprenantes » puisqu’elle a elle-même été condamnée en 2023 pour avoir détourné 615 000 euros des comptes de la SEM).
À présent, chacun s’empresse de montrer sa diligence. L’adjoint à la culture de la Ville de Nantes, assure avoir demandé l’audit qui vient d’être mené auprès du personnel du CREA, ce que Médiacités dément clairement. Le CREA a été mis en demeure de virer son fondateur, qui a démissionné. Après avoir montré si ostensiblement sa fermeté envers un amateur de sites porno, Johanna Rolland va devoir éplucher de près le comportement de son entourage actuel et futur (on pense à ses colistiers aux municipales). Une main sur une épaule, un clic sur Pornhub… : un geste déplacé est si vite arrivé ! Il serait dommage que sa vertu lui revienne en boomerang.
Sven Jelure
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