« Le projet d’Arbre aux Hérons est sur le point d’être abandonné », annonce Presse Océan ce matin. Johanna Rolland s’inquiéterait de son coût et des réticences du préfet. En réalité, la décision n’a que trop tardé et semble déjà prise implicitement depuis un bout de temps.
Johanna Rolland avait posé le principe : pour que l’Arbre aux Hérons se fasse, un tiers de son coût devait être couvert par le secteur privé. Ce coût était évalué 52,4 millions d’euros à la mi-2021. Le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, chargé de la collecte auprès des mécènes et donateurs particuliers, doit donc trouver près de 17,5 millions d’euros. Une somme pas si énorme finalement puisque compensée à 60 % par des baisses d’impôt. Mais les mécènes ne se sont pas précipités pour soutenir un projet boiteux.
À fin 2021, nous l’avons dit, la situation financière du Fonds paraissait franchement mauvaise. Voici le niveau des fonds collectés depuis l’origine :
2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | Total | |
Collecte | 45 000 | 809 708 | 2 603 470 | 751 868 | 771 371 | 4 981 417 |
Les cinq millions collectés paraissaient déjà assez décevants. Ils représentaient à peine 30 % de la somme à fournir. Et ce n’était que sur le papier, car la réalité est pire. À fin 2021, après plus de quatre ans d’existence, le Fonds n’avait fourni à Nantes Métropole que 2,8 millions d’euros, soit moins d’un sixième de la somme attendue. Il disposait aussi de 0,9 million d’euros de trésorerie en attente de transfert. Mais presque 30 % de sa collecte (1,4 million d’euros) n’était faite que de créances : les mécènes avaient promis de donner mais n’avaient pas encore versé l’argent. Peut-être voulaient-ils voir du concret avant de payer !
Or du concret, à présent, il y en a : depuis la mi-2021, l’Arbre aux Hérons a un début de réalité. Un prototype de héron mécanique est visible à côté des Machines de l’île. Pourtant, les dons n’ont pas augmenté, au contraire. En 2022, à ce jour, le Fonds de dotation n’a déniché que huit nouveaux mécènes – un par mois donc : GSF Propreté & services, Goubault imprimeur, Zen Organisation, 2A Organisation, Urbanne Magazine, ACM Ingénierie, Groupe Lambert et GSS Global Software Services. Encore l’un d’eux, Groupe Lambert, remplace-t-il en fait un mécène déjà présent antérieurement, Lambert Manufil (dont la PDG est aussi présidente du Fonds). Il semble par ailleurs que des mécènes aient retiré leur soutien. Le 22 novembre 2021, et à nouveau le 4 janvier 2022, sur sa page Facebook, le Fonds remerciait les « 58 entreprises (…) qui accompagnent ce projet ». Il devrait donc en être aujourd’hui à 65. Or il n’en affiche que 60.
Le Fonds de dotation en manque de fonds
Les mécènes ne sont pas tous égaux. Ils sont répartis en quatre catégories selon le montant de leur engagement :
Don minimum | Nombre de mécènes | |
Héron impérial | 500 000 | 2 |
Héron Goliath | 200 000 | 6 |
Grand héron : | 50 000 | 28 |
Héron cendré | 5 000 | 24 |
Parmi les mécènes inscrits depuis le début 2022, en huit mois et demi donc, ne figurent que trois Grands hérons et cinq Hérons cendrés. Leur engagement collectif minimum s’élève ainsi à 175 000 euros – voire 125 000 euros si l’on exclut Lambert Manufil. Au rythme des années précédentes, on aurait dû plutôt se situer autour de 500 000 euros. À ce rythme, les 17,5 millions d’euros demanderaient des dizaines d’années.
Les recettes du Fonds baissent mais rien n’indique que ses dépenses de fonctionnement en font autant. Elles sont de l’ordre de 300 000 euros par an. En 2020 et 2021, environ 40 % des sommes allouées par les mécènes ont servi en réalité à faire fonctionner la structure dirigée par l’ancienne députée socialiste Karine Daniel. Si le Fonds n’a pas réduit drastiquement ses besoins, il est probable qu’il consomme maintenant à lui seul tout l’argent que les mécènes croient donner à l’Arbre.
Karine Daniel baisse les bras
Ce qui soulève un problème juridique. Les statuts du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire imposent à son conseil d’administration de déterminer « le taux de prélèvement des sommes collectées, destiné à couvrir les frais de gestion et de fonctionnement du fonds ». On imagine mal qu’il ait fixé ce taux à 100 % ! Et il est déjà étonnant qu’il l’ait fixé à 40 %. C’est probablement le cas, pourtant, car devant l’importance du taux de prélèvement dans les comptes de 2020 et 2021, le préfet de Loire-Atlantique s’est certainement assuré, comme la loi le prévoit, qu’il ne constitue pas un dysfonctionnement grave…
Mais pour 2022, si Karine Daniel ne trouvait pas de nouveaux mécènes d’urgence, c’était le crash assuré. D’autant plus que Nantes Métropole doit impérativement veiller à ce que le fonctionnement du Fonds soit irréprochable : après la mésaventure du fonds de dotation de La Folle Journée, de nouveaux écarts feraient vraiment désordre.
Mais au lieu de redoubler d’efforts, le Fonds semble avoir baissé les bras, et depuis un moment. Il a cessé de publier ses « chapitres » semestriels sur les progrès de l’Arbre aux Hérons à l’intention des donateurs. Son site web n’est mis à jour qu’a minima. La seule « Actualité » indiquée en 2022 remonte au mois de mai. Sa version anglaise, qui annonce toujours un « opening in 2023 » paraît quasiment abandonnée depuis mars 2021 – hormis les statistiques de la page d’accueil, mises à jour automatiquement depuis la V.F. Sa page Facebook n’a plus qu’une activité ralentie depuis le mois de mars : aucune publication à ce jour en septembre, trois en août, deux en juillet (contre sept en septembre, sept en août et onze en juillet l’an dernier).
Quant au héron prototype qui devait servir à réaliser des essais en public tout au long de l’été 2021 (oui, bien 2021), il paraît abandonné depuis des mois. Nantes Métropole en a pris possession en mai dernier, sans exiger des constructeurs l’achèvement des études.
Bien entendu, l’argent n’est pas seul en cause : Nantes Métropole est très capable d’en jeter davantage par les fenêtres ! Comme le rappelait Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, « à titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros » ! Il y a donc d’autres causes à l’abandon du projet. Les connaîtra-t-on un jour ?
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Avoir un grand musée dans une ville de notre importance ne me semble pas mettre de l’argent par les fenêtres. Ce qui était proprement stupéfiant c’était une une attraction foraine au prix d’un musée en nous faisant croire de plus que c’était culturel. Amitiés. Alain
La comparaison est de Fabrice Roussel, 1er vice-président de Nantes Métropole ! Je ne suis pas sûr que ce soit une simple étourderie : comme vous le notez, la ville s’attache depuis des années à confondre « ludique » et « culturel ».
Cela dit, on peut très bien jeter de l’argent par les fenêtres en construisant un musée ! Le budget du musée d’arts de Nantes a plus que doublé, en grande partie à cause de la salle de réunion qu’on a tenu à construire en sous-sol, et qui finalement n’a presque jamais servi.
Comme vous la savez le musée devait se faire en deux parties sur 2 mandatures et le budget final est la somme des deux morceaux initiaux. Les travaux ont été réalisés en une fois en raison de contraintes techniques mal anticipées mais il est faux de dire que le budget final a doublé. La salle en sous-sol sert régulièrement.
Mais non ! Il était question de deux « phases », rénovation et extension, mais pas de deux mandatures.
Remontons aux sources, ce que disait Jean-Marc Ayrault lors du conseil municipal du 3 avril 2009 qui a décidé le projet :
« M. le député-maire – Très bien. Merci, Monsieur Jossic. Je présiderai personnellement ce jury, parce que je pense, qu’en effet, il s’agit d’un grand enjeu pour nous. Ce sera le grand projet de c mandat.
Pour le précédent mandat – vous le savez – c’était la fin de la rénovation du château et l’ouverture du musée de l’Histoire de Nantes. Eh bien, lors de ce mandat, le grand projet, c’est le grand musée d’art à Nantes. »
Le dossier de presse distribué lors de l’inauguration du musée rappelait : « En vue de la restauration et de l’extension du Musée des Beaux-Arts, lors de sa séance du 3 avril 2009, le Conseil municipal a approuvé le programme de l’opération »
Le fait est que le projet devait alors coûter, je cite l’adjoint à la culture, « un montant total de 34,6 M € HT, pour un montant de travaux seuls s’élevant à 26,7 M € HT » et qu’il a finalement coûté 88,5 milions d’euros.