Royal de Luxe a investi massivement en 2023 aux frais de Nantes Métropole

Qu’il fasse quelque chose ou rien du tout (la dernière « Actualité » de son site web date du 21 septembre 2023), Royal de Luxe est ponctuel sur un point : il publie ses comptes au Journal officiel chaque année, comme la loi l’y oblige. Toujours un peu en retard sur le délai légal, mais c’est une broutille. Cette année, il présente une nouveauté : l’idée géniale immobilisée sur dix ans.

En 2022, on s’en souvient, Royal de Luxe avait présenté sur les bords du Rhône un spectacle bâti sur la rencontre entre deux gros chiens mécaniques, l’un créé des années plus tôt, l’autre construit pour l’occasion. En 2023, la troupe a donné non pas un mais deux spectacles avec ces deux machines : à Anvers au mois d’août et à Nantes au mois de septembre.

Johanna Rolland et Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole, avaient tenu à affirmer que le spectacle de Nantes était nouveau, « une vraie création ». Au vu du spectacle, on se demandait pourquoi, tant les parentés étaient évidentes avec ceux de Villeurbanne et d’Anvers. Mais au vu des comptes de Royal de Luxe pour 2023, on comprend mieux : c’est là qu’est la vraie nouveauté.

Comme les années précédentes, ces comptes ont de quoi faire rêver les dirigeants d’associations désargentées et leurs comptables scrupuleux. Royal de Luxe dort toujours sur un tas d’or : 846.418 euros de disponibilités au 31 décembre 2023, soit +34,5 % par rapport à fin 2022.

L’année 2023 a été bonne ! D’abord parce que l’association retrouve des adhérents : elle perçoit 4 euros de cotisations, comme en 2021, contre zéro en 2022. En revanche, ses spectacles ne lui rapportent « que » 824.761 euros, dont 538.580 euros pour le spectacle nantais. C’est beaucoup moins que les 1.312.459 euros de 2022, et cela montre au passage qu’Anvers a payé beaucoup moins cher que Villeurbanne et Nantes pour avoir à peu près le même spectacle. Cependant, une pluie d’argent s’abat sur le « nouveau » spectacle nantais de la troupe.

Elle provient d’une convention entre Nantes Métropole et Royal de Luxe qui mérite de rester dans les annales. Décidée par le conseil métropolitain le 7 avril 2023, elle comprend les 538.580 euros H.T. mentionnés ci-dessus et une subvention d’investissement de 1.270.000 euros H.T. Celle-ci est basée sur un « coût prévisionnel du projet » établi par Royal de Luxe. Le voici :

En fait de « prévisionnel », on voit que le poste principal, de loin, est le Bull Machin. Or ce chien mécanique géant dont Nantes Métropole affecte de parler au futur en avril 2023 a été au centre du spectacle montré à Villeurbanne en septembre 2022, à tel point que ce spectacle était intitulé Le Bull Machin de Villeurbanne. Non seulement il existe déjà, mais la compagnie l’a créé pour les habitants de Villeurbanne et pas pour ceux de la métropole, qu’on invite pourtant à le financer a posteriori. Et comme les 1.336.350 euros du Bull Machin représentent plus de la moitié du total du projet, soit 2.606.350 euros, parler d’un « nouveau » spectacle est abusif.

Puisque le Bull Machin est un investissement aux yeux de Royal de Luxe et de Nantes Métropole, il doit avoir été inscrit comme une immobilisation dans les comptes 2022 de l’association. Or l’actif immobilisé total de l’association au 31 décembre 2022 ne dépasse pas 22.525 euros ! Le bilan 2022 devient faux rétroactivement ! Il n’a pas été publié de compte rectificatif à ce jour. Cela vaudrait mieux, car on imagine que Nantes Métropole réserve ses subventions à des entités aux comptes impeccables…

Royal de Luxe a encore des idées, et ce qui est rare est cher

Hormis le Bull Machin, les autres dépenses d’investissement alléguées s’élèvent à 1.270.000 euros : pilpoil le montant de la subvention accordée. Cependant, les achats et charges externe de Royal de Luxe ne s’élèvent qu’à 885.289 euros en 2023, alors que bien entendu ils doivent recouvrir aussi des tas d’autres choses que le « nouveau » projet. Deux hypothèses, donc : soit Royal de Luxe a truandé Nantes Métropole en gonflant ses prévisions de dépenses (mais l’association est censée avoir fourni les factures), soit l’investissement a essentiellement été effectué en matière grise : il a sûrement fallu énormément de travail créatif pour ne pas faire le même spectacle qu’à Villeubanne…

Confirmation : une immobilisation incorporelle de 1.076.986 euros apparaît subitement dans les comptes 2023 de Royal de Luxe. Or 1.076.986 euros, c’est à peu près les deux tiers du montant des frais de personnel de l’année. Royal de Luxe aurait donc consacré les deux tiers de son activité de 2023 à la création tout en organisant quand même deux grands spectacles, à Anvers et Nantes, au lieu d’un l’année précédente ? À quoi il faut ajouter que le montant global des salaires a baissé de 8,2 % d’une année sur l’autre, et l’effectif de 12,5 %, ce qui ne paraît pas cohérent avec un gros travail créatif en 2023.

Et alors ? Une seule idée géniale ne pourrait-elle pas valoir 1 million d’euros ? Rien que d’avoir inventé le nom Le Bull Machin de Monsieur Bourgogne, tiens, un nom entièrement nouveau par rapport à celui du tout autre spectacle qu’était Le Bull Machin de Villeurbanne

Cet éclair de génie destiné à  trois jours de spectacle nantais va être amorti progressivement sur dix ans ! Normal, puisqu’il s’agit d’un investissement et que la logique comptable doit rester maîtresse du terrain. Pourrait-il servir à nouveau un jour ? Pendant ces dix années, Royal de Luxe s’est engagé à reverser 50.000 euros à Nantes Métropole chaque fois qu’il revendrait le spectacle (celui-là exactement, hein, pas celui d’Anvers et de Villeurbanne) pour au moins 720.000 euros. Johanna Rolland et Fabrice Roussel croiraient-ils au Père Noël ?

Les salariés mieux lotis que le proprio

On aurait tort pourtant d’accuser Nantes Métropole de tout céder à Royal de Luxe. D’un seul coup d’un seul, la valeur d’une année de location de ses locaux du Bas-Chantenay occupés par la troupe bondit dans les comptes de 96.717 euros à 251.885 euros. Elle n’avait pas bougé depuis l’origine. Mais comme il s’agit d’une mise à disposition gracieuse, Royal de Luxe ne paiera pas un sou de plus. C’est juste le cadeau consenti par les contribuables (ce qui est prêté à Royal de Luxe n’est pas loué à quelqu’un d’autre) qui est multiplié par 2,6.

Enfin, Royal de Luxe confirme en 2023 son orientation salariale de 2022. Ses comptes indiquent un effectif moyen annuel indiqué en équivalent temps plein (ETP). Les intermittents du spectacle, rémunérés au cachet, doivent y être inclus selon un calcul spécial. La troupe dit avoir fait travailler 150 intermittents du spectacle dans l’année, mais sûrement pour de courtes durées puisque son effectif ETP n’est finalement que de sept personnes – trois cadres et quatre employés ; elle figure dans la tranche « entre 6 et 9 salariés » de la base de données Sirene. Le montant global des salaires en 2023, hors charges patronales, a été de 1.041.662 euros, soit une moyenne de 148.809 euros par personne, encore mieux que l’année précédente(141.789 euros). S’il y a un poste à pourvoir, je suis candidat.

Sven Jelure

 

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