Grande bouffe au musée d’arts

Contrairement au Voyage à Nantes et à son « Disgusting Food Museum » emprunté aux Suédois de Malmö, le musée d’arts n’en fait pas des tonnes pour sa propre exposition alimentaire locavore, « Saveurs d’artistes, dans la cuisine des peintres ». Exposition ? Même pas : simple « accrochage du moment ». On dirait le café du coin qui affiche son plat du jour.

Ses cartels sont plutôt alléchants, pourtant. « S’y joue en effet la gastronomie qui articule le gaster (le ventre et ses impératifs) et le nomos (la culture et ses lois culinaires » assure le musée à l’entrée. On attendrait du rebondi, du plantureux, de l’épanoui. Hélas, il semble que Weight Watchers soit passé par là.

Une salle unique réunit une vingtaine d’œuvres. Une vaste installation attire l’œil irrésistiblement : l’Hommage au jardin d’hiver de la baronne Salomon de Rothschild, de Daniel Spoerri. Le spécialiste des « tableaux-pièges », qui a lui-même fait dans la restauration, a collé sur deux tables de bridge les reliefs d’un modeste repas entourés de tout un bric-à-brac. Et comme l’installation est posée devant un grand miroir, elle se trouve multipliée par deux. Tout cela est collé ensemble depuis 1972, mais on n’a évidemment pas l’occasion de voir souvent cette accumulation un brin encombrante.

Pour le dire de manière chic, comme le musée, « Daniel Spoerri désacralise le processus artistique et offre paradoxalement au rituel du repas, dans sa forme la plus quotidienne, une pétrification périssable, élevant la banalité au rang d’œuvre. » Mais rassurez-vous, visiteurs de la HAB galerie qui vous esclaffez devant les poissons pourris ou la table à manger du cerveau de singe, ce « rang d’œuvre » est finalement très distrayant, et vous passerez un bon moment à détailler la foultitude des détails de l’installation : cendriers pleins à ras bord, bouteilles de Tuborg, babouches, etc.

Le reste de l’exposition ne fait pas non plus dans l’excès alimentaire. une jeune fille pèle une carotte, une autre récure un chaudron, un bourgeois lève son verre, une bande de mauvais plaisants tente de nourrir à la cuiller un chat emmailloté (le rapport avec la cuisine est peut-être davantage dans le nom du peintre : Niccolo Frangipane)…

Le pire, c’est la Cène. À propos de peintres et de nourriture, les repas bibliques sont évidemment incontournables. « Ces banquets évangéliques peuvent se parer d’une véritable composante divertissante » note savamment un cartel. Alors, pourquoi le musée a-t-il choisi sa Cène la plus diététique ? Pour treize convives, à peine une petite galette sur un coin de table : on fait mieux comme « composante divertissante ». Il ne manquait pourtant pas d’autres choix possibles. Il aurait pu exposer son Repas chez Simon le pharisien par Philippe de Champaigne, autrement plantureux, ou à la rigueur l’un de ses Souper à Emmaüs.

Ah, mais à bien y regarder, il y a même là une deuxième Cène, un panneau de bois multicolore signé Gaston Chaissac. Même avec beaucoup d’imagination, on n’y devine rien de la scène biblique. Que fait-elle là ? Tout s’explique quand on apprend que le panneau de bois a été une table de cuisine dans une existence antérieure. Mais si les bornes sont aussi élastiques, pourquoi n’avoir pas exposé aussi le Gorille enlevant une femme, d’Emmanuel Frémiet ? « Il emporte dans les bois une petite dame pour la manger », constatait Nadar. Ce n’est pas de la grande cuisine, mais au moins c’est spectaculaire.

Pour appuyer Les Tables de Nantes, « l’événement qui pense vos assiettes » (et qui carbonise vos chefs étoilés), le musée aurait mieux fait de mettre les petits plats dans les grands. Allez, allez, Sophie Lévy, lâchez-vous un peu !

Musée d’arts de Nantes, 10 rue Georges-Clemenceau, Nantes. Salle 25. Jusqu’au 2 février 2020.

Sven Jelure

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