Pour le Conseil des acteurs du tourisme, au mois de février, le Voyage à Nantes avait préparé un bilan de fréquentation très flatteur. Trop ? Le Voyage à Nantes traîne derrière lui une longue tradition de bilans douteux, erronés, ou même franchement trafiqués. Pourtant, de toute évidence, 2019 a été une bonne année pour la fréquentation touristique à Nantes. Comme dans beaucoup de villes.
Les nuitées d’hôtellerie ont augmenté de 4,7 % entre 2018 et 2019. Presque aussi bien qu’à Bordeaux, où elles ont augmenté de 4,8 %. Au fait, Bordeaux précise qu’il s’agit de nuitées « taxées ». En effet, les demandeurs d’asile et les mineurs non accompagnés logés dans des hôtels ne paient pas de taxe de séjour. Leur nombre a énormément augmenté à Nantes depuis quelques années ; ils représentent des milliers de nuitées, qui peuvent peser lourd dans les statistiques. Le Voyage à Nantes ne précise pas si les siennes couvrent toutes les nuitées ou seulement les nuitées taxées. En tout cas, la progression de l’hôtellerie nantaise est due pour une bonne part aux étrangers.
Pourquoi le Voyage à Nantes présente-t-il le nombre de nuitées comme un indicateur essentiel ? Ce nombre ne révèle qu’une partie de la réalité du tourisme à Nantes, puisque les gens qui logent à l’hôtel ne sont pas tous des touristes. Sans même évoquer les demandeurs d’asile, on y trouve des voyageurs de commerce, des familles en visite chez les cousins, des salariés en formation, etc. Mais le nombre de nuitées présente quand même un avantage sérieux : c’est à peu près le seul chiffre sûr dont on dispose.
Des données peu fiables
Le reste est calculé par l’Auran. Cette agence d’urbanisme de la région nantaise est présidée par l’ex député socialiste Patrick Rimbert et dirigée par Benoît Pavageau, qui fut directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault. Non spécialiste des enquêtes, elle se débrouille avec une méthode maison, qui associe mailing sur adresses électroniques recueillies par le VAN, mailing sur la base de contact du VAN et questionnaires en face-à-face sur le terrain en été. Une enquête analogue avait déjà eu lieu en 2014 ; il était bien temps de réactualiser les données ! En 2014, cependant, l’enquête par questionnaire effectuée auprès de 791 passants avait occupé trente-cinq « journées enquêteurs ». En 2019, dix-sept journées seulement. On peut donc supposer que le nombre de personnes interrogées en 2019 doit être de l’ordre de 384 (difficile de faire mieux, sauf à consacrer moins de 18,5 minutes à l’administration et au traitement de chaque questionnaire). Un tout petit échantillon donc. Et, comme il est formé de personnes hélées dans la rue, sa représentativité est très incertaine.
Faisons néanmoins semblant de prendre pour argent comptant les statistiques présentées. Selon elles, 71 % des touristes de passage à Nantes séjournent en hébergement payant. Par ailleurs, chaque touriste séjourne en moyenne 3,7 nuits à Nantes et 660.288 nuitées ont été enregistrées pendant l’été 2019. Nantes aurait donc vu passer 251.346 touristes pendant cette période. Dont 185.996 (74 %) viendraient pour faire du tourisme. Le voyage à Nantes brasse plus d’air que de touristes…
Il n’y a pas que les touristes, cependant : il y a aussi les « excursionnistes » qui viennent passer à Nantes la journée mais pas la nuit. Selon l’« estimation des grands volumes de fréquentation estivale 2019 » établie par l’Auran, les excursionnistes sont deux fois moins nombreux que les touristes, soit 125.673. Parmi eux, 10 % sont seulement en transit, 10 % sont de passage pour La Loire à vélo et 33 % viennent visiter des parents ou des amis. Il n’en resterait donc que 47 % (59.066) venus pour voir la ville. Parmi eux, seulement 20.108 (16 % des excursionnistes) seraient venus pour l’événement estival Voyage à Nantes.
Un Voyage très surévalué
Entre les touristes et les excursionnistes, le Voyage à Nantes aurait donc attiré dans la ville l’été dernier 185.996 + 59.066 = 245.062 visiteurs ! Petit rappel ironique : Dans le numéro 215 de Nantes Passion, on pouvait lire ceci : « Avec 2,7 millions de visiteurs annuels estimés en 2010, Nantes est une des seules destinations touristiques françaises à se maintenir dans ce contexte de crise ».
Les amateurs de chiffres pourront s’amuser à calculer les retombées économiques du Voyage à Nantes d’après les statistiques de l’Auran. L’exercice sera cependant théorique, vu le peu de fiabilité de l’échantillon enquêté. Ainsi, selon l’Auran, les dépenses des excursionnistes s’élèveraient à 37 euros par jour et par personne. L’enquête de 2014 les avait estimées à 27 euros. Le Voyage à Nantes les chiffrait à 42 euros en 2012. Des écarts d’une ampleur peu vraisemblable.
En guise de conclusion, un dernier chiffre quand même. Jean Blaise et le Voyage à Nantes prétendaient faire de Nantes la cinquième destination touristique française. « On est armés pour entrer dans le Top 5 des destinations françaises », répétait encore Aurélie Péneau, directrice marketing de Nantes Tourisme en 2014. L’échec est patent. Le tourisme à Nantes progresse parce que le tourisme progresse partout : la marée soulève tous les bateaux à la fois. Mais les budgets confiés au Voyage à Nantes pour réaliser son opération estivale et promouvoir la ville en France et à l’étranger sont très peu efficaces.
Sven Jelure
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