Les responsables du théâtre à la Ville de Nantes connaissent mal ce milieu et cherchent un prestataire pour le leur raconter (à moins qu’ils ne l’aient déjà trouvé, ce prestataire, vu le cafouillage du marché public). Mais il ne devra pas regarder ce qui se passe dans les communes voisines.
Élection ! Là est la clé, assurément ! On se demande si le montant des subventions n’est pas indexé parfois sur le potentiel de nuisance de la troupe plutôt que sur ses réalisations. Prenez Royal de Luxe : qu’il fasse quelque chose ou rien du tout, il palpe des montants de subventions annuelles à six chiffres. Ce qui n’est peut-être pas cher payé, dans le fond, au regard du tort électoral que pourrait causer un courroux de Courcoult.
Cependant, tout le monde ne demande pas de subventions. Il existe donc une frange de troupes qui n’ont rien à perdre et ne doivent rien à personne : c’est là qu’est le danger. Dans une municipalité nourrie aux thèses gramsciennes, les élus nantais s’en inquiètent sûrement. Le règne de Jean Blaise a certainement fait des dégâts dans le monde culturel, mais à quel point ? Maintenant qu’il s’en va, et à un an et demi d’élections municipales où la coalition au pouvoir a bien des chances d’exploser, il serait urgent de mieux évaluer la situation. Et éventuellement les opinions…
Une armée mexicaine pour le théâtre
La Ville de Nantes vient de lancer un appel d’offres concernant la « Réalisation d’un diagnostic théâtre sur la Ville de Nantes » (notez bien : « la Ville de Nantes »). Ce diagnostic vise à établir un état des lieux de « l’écosystème du théâtre à Nantes », à mieux comprendre ses enjeux et ses besoins et à « favoriser la mise en place d’un programme d’actions ».
Étrange aveu : Depuis des décennies, Nantes consacre des millions d’euros de subventions à un « écosystème » (c’est plus chic que « microcosme ») qu’elle avoue mal connaître ! Elle possède pourtant un élu adjoint à la culture, un conseiller municipal délégué au spectacle vivant, une directrice générale adjointe Culture et arts dans la ville, une directrice de l’accompagnement des projets et des réseaux artistiques et une chargée de mission Théâtre et livre ! Connaître et servir cet « écosystème » fait partie de leur job. Et à eux tous, ils n’auraient qu’une vision approximative du monde du théâtre à Nantes ?
En réalité, ça se pourrait bien. Dans les 116 pages du Rapport d’activité 2023 de la Ville, le théâtre est mentionné une seule fois, pour dire que le conservatoire municipal comprend un département spécialisé… Avec cette « Réalisation d’un diagnostic théâtre sur la Ville de Nantes », élus et fonctionnaires municipaux vont suivre un cours de rattrapage accéléré. Il est prévu un « pilotage stratégique » organisé « autour de l’élu adjoint à la culture, du conseiller municipal délégué au spectacle vivant, du DGA Culture et arts dans la ville et de la directrice de l’accompagnement des projets et des réseaux artistiques » au sein d’une « instance (…) animée par l’équipe projet ». L’équipe projet, elle est « constituée de : la directrice de l’accompagnement des projets et des réseaux artistiques, la chargée de mission théâtre et livre » et a pour mission… le « pilotage de la démarche », sous les yeux d’un « comité de suivi » formé de… « l’équipe projet + 8 à 10 acteurs culturels du territoire ». Une organisation façon catoblépas, qui ne garantit pas une utilisation optimale du temps de travail des fonctionnaires.
Une procédure ouverte vite refermée
Il semble d’ailleurs qu’il y ait beaucoup d’ahans dans ce dossier. L’avis de marché a été publié le 18 octobre sur le site des marchés publics électroniques de Nantes Métropole. Il en a été exfiltré le lendemain, avant qu’un nouvel avis ne paraisse le surlendemain. Le premier avis portait sur une procédure ouverte, le second sur une « procédure NC », autrement dit non concurrentielle. Dans le premier cas, les candidats devaient démontrer leurs capacités techniques et professionnelles en détaillant leurs prestations récentes. Dans le second cas, Nantes choisit qui bon lui semble… Hélas, si toute trace de cette substitution a disparu du site municipal, il n’en va pas de même sur celui du Bulletin officiel des annonces des marchés publics qui a publié un « Rectificatif – Rectificatif – rectificatif » (sic), une sorte de spécialité nantaise.
Ce « diagnostic théâtre » ne couvrira que la ville de Nantes(1). On se demande quelle pourra être sa validité, puisque le spectacle vivant est vivace aussi hors des limites administratives de la commune. Comment appréhender « l’écosystème » du théâtre nantais sans tenir compte de ce qui se fait au Piano’cktail (Bouguenais), à Capellia (La Chapelle-sur-Erdre) ou dans toutes les autres communes de l’agglomération ? Les entreprises privées comme le Théâtre 100 noms sont aussi exclues de l’épure. On sait déjà qu’avec de telles œillères, ce diagnostic n’en sera pas un et reviendra à jeter de l’argent par les fenêtres, côté cour comme côté jardin.
L’an dernier à la même époque, au moins, l’« Étude sur les lieux de création de la métropole » portait sur l’entièreté de l’agglomération. Il est vrai que cette usine à gaz compensait par d’autres handicaps. Au fait, on n’en a plus jamais entendu parler depuis un an, de cette étude. Mais comme elle a en principe été remise en octobre 2024, ce n’est peut-être que partie remise.
Sven Jelure
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(1) Le cahier des charges du diagnostic précise expressément que « les structures de diffusion nantaises sont les suivantes : une Scène nationale (le Lieu Unique), deux Scènes Conventionnées (MIXT-Le Grand T et le TU-Nantes) et une dizaine de lieux en majorité associatifs (TNT, Théâtre de Belleville, Théâtre de la Ruche, Théâtre du Cyclope, Théâtre de poche Graslin, Krapo Roy, Théâtre du Sphinx) d’autres accolant une structure juridique privée à une association (Compagnie du café théâtre, Théâtre Beaulieu) et enfin quelques entreprises purement privées (Théâtre 100 sans noms, Théâtre de Jeanne). Ces dernières, de par leur statut et leurs choix artistiques, restent en dehors du champ d’intervention de notre politique publique. Par ailleurs, la Ville a développé une politique de mise à disposition de lieux qui proposent aussi de la diffusion notamment en théâtre : le Nouveau studio théâtre (trois compagnies pilotent le projet) et le Théâtre Francine Vasse (une compagnie pilote le projet). » Autrement dit, toutes les salles de la périphérie, et les troupes de théâtre qui vont avec, sont exclues.
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